mercredi, août 30, 2006

Pas ce soir...

Sculpture de Charles Gadenne, le jour.-1991

Elle...
Après qu'elle eut couché les garçons , elle alla s'assoir non loin de lui, sur le seuil de la baie vitrée, les genoux repliés sous le menton, le pull passé par dessus les genoux , et les bras pour ceinturer le tout. Il avait allumé une cigarette et la fumée la dérangeait, alors elle se tenait légèrement écartée. Pourtant, il avait arrêté en même temps qu'elle il y avait plus de 3 ans, avant la naissance du premier ; mais très vite elle avait repéré l'odeur à nouveau. Elle n'avait rien dit, il ne fumait pas devant elle. Puis il a recommencé à fumer à la maison, jamais à l'intérieur toutefois.

-ça va ? Lui demanda-t-il en souriant.
- oui, ça va, elle répondit. Pourquoi ça irait moins bien que d'habitude ? Aucune raison. Aucune raison OBJECTIVE.

Finalement, ils n'étaient restés qu'une année dans la maison aux volets colorés, l'isolement du «petit-pays-aux-petits-esprits» avait eu raison d'elle. L'isolement, le repli sur soi, sur eux-même, l'aboutissement d'un cheminement en décalé, déphasé... Elle avait tout de suite obtenu la mutation demandée et à présent elle voyait la mer tous les jours, elle entendait les mouettes, les sirènes des bateaux et la corne de brume. En sortant du lycée, elle passait juste cinq minutes se ressourcer d'embruns, d'iode fraîche et vent qui pique. Et elle jetait le pain sec aux oiseaux voraces avant de rentrer. Oui, c'était bien mieux ici , dans cette ville du bord de mer, plus portuaire que plaisancière, d'où l'on pouvait voir les côtes anglaises les jours de vue dégagée.


Elle avait découvert la sérénité des balades sur les falaises, le vent violent du Cap Gris-Nez, le bout de la jetée par tempête, les ferries qui font la traversée vers l'Albion, les excursions au marché de Dunkerque avec sa copine-voisine So', écouter siffler les éoliennes de Malo-Les-Bains en mangeant des frittes sauce Andalouse au bout de la digue de mer, passer admirer avant de rentrer chez elles les corps de bronze nus de Charles Gadenne dans les jardins de l'Arsenal à Gravelines ...

Virées régulières entre filles. Elles se retrouvaient elles-mêmes, ni des mères, ni des épouses, justes deux filles qui faisaient du shopping en se goinfrant de cochonneries ! Souvent elles se parlaient de leurs enfants, de leurs époux, de leurs rêves, de leurs désillusions. Comme une consolation, même si ça ne résolvait rien pour aucune. D'ailleurs, demain soir elle irait au ciné avec So'. Elles aimaient les mêmes films, elles y allaient avec avidité, sans l'autorisation de personne, sans même demander à celui qui partageait leur vie s'il désirait venir... Elles avaient la même aspiration, mais pour conjurer le sort elles n'en parlaient jamais. Pourtant, elles ont par la suite suivi un chemin identique.

Elle avait aussi rencontré Ninie, dans le lotissement des maisons aux volets colorés, Ninie qui était venue se présenter à elle un soir, avec ses deux enfants;
- Bonsoir, avait-elle dit. Vous n'avez pas l'air comme les autres du lotissement alors j'avais envie de faire votre connaissance, elle lui avait dit comme ça, tout dré.
Ca l'avait fait rire et elles étaient devenues très amies. Elles s'étaient soutenues dans l'isolement, elles ravitaillaient à la fin de chaque mois en bougonnant les familles voisines sans emploi (même lorsqu'ils avaient du monde à dîner et qu'ils venaient leur emprunter des pommes de terre pour douze personnes...)
Ninie aussi avait vite craqué et elle était partie avec mari et enfants dans une grande maison de pierre deux villages plus loin, plus près de la ville, vers Thérouanne. Ensemble elles avaient balancé du Carmina Burana à fond les enceintes pour faire taire la Céline Dion de la jeune voisine...

Mais ce soir-là, elle ne pensait pas à Ninie, à peine à So'. Elle regardait le pignon de sa maison voisine, celle de So', au bout du jardin. Tiens , c'est drôle, ils n'ont pas crépi jusqu'en haut, se fit-elle la remarque.
- Demain soir je vais au ciné avec So'.
- Bon, OK. Il a répondu. Vous allez voir quoi ?
- Oh, chais pas, un truc avec Harrison Ford je crois.

A la séance de 22h, les enfants seraient déjà couchés.
Il n'avait pas terminé sa cigarette, ils ne se disaient rien d'autre, lui pensait peut être que leur communion se passait de mots, elle se disait que c'était triste de n'avoir rien à lui dire. Parfois ils se racontaient mutuellement leurs journées maintenant qu'il travaillait à nouveau sur Lille, qu'il partait tôt le matin en train pour revenir tard le soir.

Voilà quelques jours qu'elle avait ces brûlures d'estomac, pas tout à fait des brûlures pas tout à fait des nausées... elle voulait exclure la vérité, mais elle savait bien que ce n'était ni une gastro, ni une indigestion. Elle ne ferait pas test tout de suite non plus... garder le doûte juste quelques jours de plus... se faire croire que ce n'est pas ça...
Elle n'était pas inquiète, ni angoissée, ni paniquée. Elle se disait juste qu'elle aurait du être plus consciencieuse avec cette satanée pilule qu'elle oubliait 1 jour sur 2... Mais bon, trois enfants, c'est bien. Elle savait qu'elle aurait autant d'enfants que ce qu'elle était capable d'assumer toute seule. Et trois, elle se sentait. Pas un plus, toutefois.

Même, ça la rassurait un peu, ça lui permettait de repousser l'échéance de la promesse qu'elle s'était faite, deux ans plus tôt. Elle était prête, mais en même temps pas vraiment prête non plus. Elle savait qu'elle était prête parce que ses antennes avaient recommencé à s'agiter... malgré elle. A son corps défendant. Parcequ'une promesse est une promesse, parcequ'elle était de parole, parcequ'elle détestait le mensonge... en temps normal.
Alors pourquoi était-elle aussi émue et troublée par ce collègue, qui avait l'air de bégayer autant qu'elle chaque fois qu'ils se rencontraient ? Pourquoi ? Normalement elle n'aurait pas du. Ses antennes n'auraient pas du fonctionner, ni attrapper un sourire au passage ni même décrypter un regard... Ses rêves n'auraient pas du être incontrôlables... on ne doit pas rêver des mains d'un autre !

Elle savait que ce n'était pas le moment, ni le lieu, à 900 km de tout. Oh, pas pour elle. Lui n'était pas prêt à survivre au naufrage de sa bouée, de son radeau. Pas prêt à nager seul. Elle le savait sujet à de fréquentes dépressions, elle s'était déjà suffisamment abîmée dans le maternage et le soin de blessures dont elle n'était pas responsable. Elle n'aurait pas la force de supporter cette culpabilité-là. Elle savait qu'elle serait bourreau, mais elle attendrait que le temps soit plus clément.
Depuis qu'elle s'était mise en stand-by, qu'elle avait appris à contrôler son image, qu'elle avait appris son rôle et l'art de la parfaite (dis)simulation, elle pouvait rester ainsi encore de nombreuses années, en hibernation affective.

- Tu viens te coucher ? Je monte. Lui dit-il.

- Non, pas tout de suite, encore un truc à finir.

Avec un peu de chance il dormirait quand elle se glisserait sous les draps ; avec un peu de chance elle n'aurait pas besoin de dire

-non, pas ce soir, chuis fatiguée ...

Les matins se suivent et se ressemblent
Quand l'amour fait place au quotidien
On n'était pas fait pour vivre ensemble
Ca ne suffit pas toujours de s'aimer bien
C'est drôle hier on s'ennuyait
C'est à peine si on trouvait
Des mots pour se parler du mauvais temps
Miossec, Salut les amoureux.- Baiser, 1997

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lundi, août 28, 2006

Finies les vacances...


Vous vous dites sans doûtes que je dois disposer de plein de temps pour bloguer, pour écrire, préparer des textes...

DETROMPEZ-VOUS ! Enfin, si, un peu plus en ce moment parceque

1/ je suis ENCORE en vacances (je sais, pour pas longtemps, merci de ne pas me le rappeler...)
2/ je ne récupère que mercredi la horde de Remuants que je suis chargée de nourrir, de vêtir, de blanchir, d'approvisonner en argent de poche... à défaut d'arriver à les élever. Je jouis donc pour l'heure d'une liberté toute relative.

Voilà de quoi est fait mon quotidien depuis les début desdites "vacances".

1/ Gros travaux : joints-de-placo-ponçage-des-fameux-joints-sous-couche+peinture-allers-retours-sans-fin-au-Brico-du-coin= des ampoules, des calles aux mains, des tendinites aux poignets et des courbatures aux doigts (si si !)
2/Intendance type colonie de vacances.

Ce matin je suis donc allée accomplir la corvée bi-hebdomadaire... à savoir une partie des courses (une partie seulement car, merveille du monde moderne, les surgelés sont livrés à domicile !).

De quoi se nourrit une horde de Remuants ? (prévisions du mercredi au samedi seulement, sinon un seul chariot n'aurait pas suffit...)
- 12 L de lait (et encore, certains veulent du entier, d'autres du demi-écrémé, je ne fignole pas, tout le monde au lait entier, zou !)
- 4 paquets de céréales différents
- 6L de jus d'orange (100% pur jus SVP ! ) et ça c'est exclusivement pour le petit dej le jus d'O. Au goûter, on a soif on boit de l'eau.
- 48 yaourts variés (une majorité de natures)
- 4 kgs de fruits et légumes divers
- 12 oeufs
... etc.

Et c'est sans compter le pain fait maison à la farine bio. Ni les kilos de linge...
Vous ne me croirez jamais,

J'ADOOOORE CA (non, pas le repassage-lessives-repas-courses-etc.)
et j'ai hâte qu'ils reviennent, tous, que la maison fourmille à nouveau de cris, de courses dans les escaliers, de "mots doux" adressés les uns aux autres, de portes qui claquent, de télécommande perdue, de téléphone sans fil oublié dans une chambre !
Même quand je pête un cable, même quand je prends mes cliques et mes claques et qu'avec Chéri on les plante là pour aller au restau gastronomique à coté ("débrouillez-vous, mangez des céréales ou faites-vous des pâtes !" )

REVENEEEEEEZ LES ENFANTS !
Vivement mercredi (mais ne leur dites pas !)

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dimanche, août 27, 2006

E' pericoloso sporgersi (2/2)

Histoire d'ELLE...

Genèse, la suite


Elle admirait chez lui cette liberté qu'il avait par rapport au monde du travail. Cette faculté insouciante qu'il avait de tout envoyer ballader d'une simple lettre recommandée.

- c'est tous des cons. Je ne me soumettrai pas, je suis libre...

C'était récurrent, tous les deux ans. Même lorsqu'ils furent à court d'argent, même lorsqu'ils furent sur les fichiers de la Banque de France... alors elle appelait ses parents à elle à la rescousse, penaude. Même lorsqu'ils étaient passés de 2 à 5 .

- J'ai de la chance de t'avoir, que tu travailles et que tu t'éclates dans ton boulot, ça me permet d'être un peu plus libre et de leur dire merde quand j'ai envie.
Disait-il le sourire satisfait.
Et par six fois il a eu cette liberté, cette chance infantile de pouvoir leur dire merde tout en continuant à mener grand train de vie, digne de son rang... jusqu'à ce qu'elle se mette elle-même à éplucher et surligner les annonces, à lui écrire ses lettres. Au bout chaque fois de six mois de patience et de repas patates-nouilles-riz.

Pour se fondre dans sa tribu, elle rallongea ses jupes en dessous du genou ; elle mit des talons moins hauts ; elle reboutonna ses échancrures de chemisiers; elle bannit de sa garde-robe les couleurs trop vives (sa belle-mère lui avait fait la remarque, « les couleurs criardes, moi je trouve ça vulgaire... mais vous faites comme vous voulez, les goûts et les couleurs... ») Insidieusement, tout doucement.
Mais elle n'a pas cherché à leur ressembler complètement, elle n'aurait jamais pu : elle était un peu trop café au lait (« oui mais vous, ce n'est pas pareil, vous avez fait des études »... disaient-ils d'un air mielleux. Saintes études supérieures qui blanchissent la peau, peut être que si elle avait continué encore quelques années... qui sait ?)

Elle n'avait pas leur religion. Pis : elle n'avait pas de religion du tout. Bonne fille, elle les a laissé pendant treize années s'essayer à la convaincre... inlassablement. En vain. Elle était bonne élève, elle savait faire ce qu'on attendait d'elle et comment le faire pour plaire. Pile poil. Mais ça non, ça n'a pas marché. Elle n'a jamais aimé les fruits de mer... lui en présenter des plateaux entiers tous les jours ne fera pas d'elle une afficionada...

Elle s'est même mariée (ses amis à elle n'étaient pas venus, ils avaient déjà tous fui... elle n'avait pas compris, elle leur en a voulu longtemps...), mais ce n'était pas un vrai mariage, pas à l'église. Alors, parfois, on fermait les portes devant elle.

- Excusez-nous, pas les pièces rapportées. On vous appelera quand nous aurons fini de discuter.
Sous-entendu "entre-nous". Alors elle faisait jouer et goûter les enfants de la maison, tous les enfants, les siens et les autres. Autant se rendre utile... Et on lui disait que ses enfants étaient des bâtards, nés hors mariage et pas baptisés. Mais ça, elle s'en battait l'oeil...

Inlassablement, en ravalant son orgueil, sa fierté, les égratignures récurrentes, elle poursuivait son travail d'anthropologue.
- Mais non , tu te fais des idées, ça m'étonnerait qu'ils aient voulu dire ça... c'est parceque tu ne sais pas les comprendre.
Sous-entendu "normal, tu n'es pas des notres"...

Elle apprenait sans fauter à se servir de tous les couteaux et fourchettes imaginables, à éplucher et manger les pêches et même les oranges avec la fourchette et le couteau... à se servir d'une pince à sucre et à touiller son café sans faire cliqueter la cuillère, ni vasciller la tasse en porcelaine de Wedgewood sur sa soucoupe, le tout en équilibre dans sa main gauche... toutes ces choses très très (f)utiles.

Au bout de dix ans de stage, elle avait mérité d'être invitée à l'un de leur raout bisannuel, celui qui rassemblait la famille au sens large, les descendants de XX et de YY épouse X, nés au XXIIè siècle. Un honneur dont elle a toujours su être à la hauteur, lui-semblait-il. Elle mettait ses belles robes, elle souriait aimablement, elle conversait et répondait poliement aux questions curieuses
- de quelle origine êtes-vous ?
Elle répondait invariablement
- je suis née en Isère.
Ce qui n'était pas faux, même si elle avait plutôt envie de leur répondre
- ma mère est suédoise et mon père islandais...

D'ailleurs, elle aimait assez ces regroupements familiaux, mariages, baptêmes, communions et autres commémorations. Son mari avait opté certes pour une épouse un peu hors normes mais tout de même regardable, qui avait un minimum de conversation, bref, qui ne vous faisait pas honte en public. Et chaque fois qu'il y était autorisé, il aimait à sortir son bel objet exotique. Comme un animal de foire, elle lissait sa belle robe, montrait ses gensives saines et son oeil étincellant. Ensuite elle se faisait transparente et de son bout de mur, elle reprenait ses carnets de notes d'anthropologue...

Malgré tous ses efforts, pis que tout, elle était épouse castratrice ET mauvaise mère : elle travaillait, elle ne laissait pas son mari assumer seul le rôle de chasseur qui lui était naturellement attribué (ils n'auraient pas mangé souvent...), elle faisait élever ses enfants par d'autres puisqu'elle préférait baguenauder à l'extérieur de son foyer... (elle en ferait des délinquants, à coup sûr). Elle lisait des journaux subversifs de gauche comme Le Monde et parfois osait se mêler de la conversation des hommes après le repas.
Ne pas savoir tenir sa place, faute grave. L'infirmité rédhibitoire. De toutes façons, ils l'avaient dit, oh non, pas à elle directement.

- C'est une mésalliance.

Et elle pensait à la littérature anglaise du XIXè siècle, dont la morale prônait que chacun restât dans son milieu social sinon les foudres du destin s'abattraient sur lui... que chacun reste dans son entre-soi... et les vaches seront bien gardées. Elle se disait que c'était des idées du vieux temps, ça, tststst, à l'heure de l'Europe Unie, ça n'avait plus de sens aucun.

Hélas...

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samedi, août 26, 2006

E pericoloso sporgersi (1/2)

Une histoire d'ELLE... Génese.

... à L.

Elle l'avait rencontré quand elle travaillait dans ce journal, ce canard gratuit de news locales, une première à l'époque. Mais qui n'a pas tenu un an. C'était après la fac, elle avait payé son tribut, sa dette à l'éducation reçue, en fille sage et docile. Elle avait fait ses études presque comme maman. Tout le monde était content.

Alors, son diplôme de traductrice en poche, elle s'était émancipée. Elle s'en fût vendre ses mots. A ceux qui en voulaient bien. Elle mettait ses mots sur ces papiers glacés aux couleurs mal assorties, qui transitent par les boites aux lettres avant de finir à la poubelle, à envelopper les épluchures des légumes. Elle devait trouver des mots qui fassent acheter des choses aux gens. Elle s'amusait avec les mots, et en plus elle était parfois payée pour ça ! Jusqu'à cette fois où on lui a demandé de rester avec ses mots, tous les jours, et d'être payée pour ça tous les mois. Elle aurait enfin des vrais événements de la vraie vie à raconter dans un vrai journal que peut être les gens liraient, cette fois. Avec ses initiales en dessous. Des inaugurations de crèches, des vernissages d'expositions, prêter ses mots à des gens qui avaient des choses à dire.

Parfois, on la rappelait à l'ordre.
- Allo ? C'est la maquette. J'ai un problème avec un de tes textes, tu peux passer s'il te plait ?

- ouioui j'arrive...(glups, elle faisait intérieurement)

Elle arrivait, le coeur battant et le pas trainant. Parcequ'il y avait aussi le maquettiste... Il y a parfois des gens que l'on croise dans la rue, dans un bus, au supermarché, sur son lieu de travail... dans des circonstances de passage, des gens qui irradient. Qui dégagent une sorte de lumière. Qui nous attire, sans qu'on sache bien préciser pourquoi, comment. Comme une connexion furtive, fugace, inappropriée mais apaisante. Même si ça ressemble parfois à une occasion manquée. Des atomes qui s'accrochent brièvement, et qui s'éloignent, emportant avec eux ce bout d'étoile. Et l'on se dit que dans d'autres circonstances on pourrait deviser amicalement devant un café, et qu'on serait juste bien ensemble. Qu'on se ferait du bien. Qu'on aurait plein de choses à se dire. Ces instants brefs sont souvent marquants...

Le jeune maquettiste, ça lui faisait cet effet-là avec lui. Alors elle arrivait doucement vers la porte, restait en retrait, se mettait en biais contre le mur, dans cet interstice étroit tout en longueur d'où l'on ne voit que le profil, concentré. Le nez, les lèvres, les mains, la nuque, la ligne flottante des cils, la respiration devinée... Cet instant volé à l'intimité de l'autre, où l'on observe, non pas par voyeurisme mais pour faire le plein, se gargariser les yeux. Et se sentir vivant.

- Y a un problème avec mon texte ?

- C'est trop long, c'est beaucoup trop long. Il faudrait enlever tout ça. Et il montrait un grand bout, trop de mots, savammement choisis par elle et qu'elle devrait ranger dans sa besace à mots, à contrecoeur. Des mots sur le banc de touche, jusqu'au prochain match...

- Bon bon d'accord. Disait-elle sans le regarder. Il était intouchable, sur un nuage, sa femme attendait leur premier enfant...

Si elle avait pensé qu'il garderait d'elle, des années plus tard, une autre image que celle d'une gourde insignifiante, elle en aurait rebondi de joie contre les murs. Si même elle avait pu imaginer qu'il puisse se souvenir d'elle, ça lui aurait suffit pour faire des triples salto arrières.
A défaut du maquettiste, il y avait le directeur artistique, qui promenait ses cheveux longs, son parisianisme et son nombril démesuré dans sa golf GTI décapotable. C'était pour elle son année folle ; comme une liberté toute neuve, débridée. Mais à l'usage, le directeur artistique s'est vite révélé un bien piètre ... divertissement.

Ils se sont rencontrés, tout de suite il lui a dit
- toi je vais t'épouser.
Une boutade, peut être..! mais elle s'est dit
- Oh chic oh chic !
C'était le premier qui lui proposait de l'épouser, de faire des enfants avec elle. Une aubaine pareille, vous pensez, ça ne se refuse pas.
Elle lui fit alors une place dans sa salle de bain. Et dans son coeur. Il était drôle, avec son nom plein de particules, son titre nobiliaire, héritier désargenté d'une éducation et d'une noblesse décallée. Anacronique. Mais elle prenait ça comme une étude anthropologique in situ. Elle y passera treize années en immersion totale.

Même si parfois il débloquait un peu, ça l'amusait. Même quand il disait le plus sérieusement du monde qu'il avait découvert tout seul le principe du voyage dans le temps,

- le temps est une spirale, il suffit de sauter d'un anneau à l'autre. Lui expliquait-il avec force schémas. Il la construirait un jour, sa machine ; d'ailleurs il avait déjà tous les plans infaillibles dans sa tête.

Même quand il disait qu'il connaisait les secrets séculaires de la magie noire, qu'il avait même tué un type comme ça, "sisi je te jure, depuis j'ai arrété, c'est trop dangereux" ; même quand il disait qu'il sortait de son corps la nuit pour se regarder dormir ; même quand il disait qu'il lui était arrivé de s'habiller en fille. De toutes façons, elle avait toujours attiré les types un peu barrés, à l'époque.
De celui qui pendant des mois lui empruntait ("promispromis, je te les rends dès que je peux mais là c'est supersuper urgent") ses maigres salaires d'étudiante-serveuse pour payer ses dealers ; celui qui lui avait dit

- je retourne chez Guillaume...

Celui qui cherchait son âme d'écrivain en se prenant pour Charles Bukowski sans rien écrire... Alors, un original de plus à sa collection... ma foi.

Elle l'a emmené dans les musées, au cinéma découvrir Ken Loach, Almodovar, Steven Frears. Il lui a fait découvrir la littérature de Philip K. Dick. Et son monde à lui. Et les codes de ce monde.
- C'est à nos codes que nous nous reconnaissons entre nous, même de loin nous savons reconnaître l'un des notres. Il faut être né dedans, ça ne s'apprend pas. C'est une classe toute naturelle, une grâce de naissance.

Le Roi est mort... vive le roi ;-(

A suivre...

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jeudi, août 24, 2006

Paliers


J'arrive pas à faire des billets courts, vous avez de la patience de lire jusqu'au bout chaque fois ! ce ne sont plus des "billets" mais des "pavés", désolée !



Comment sait-on qu'on mûrit ? Non, pas qu'on grandit ni qu'on vieillit, non, non, non, qu'on mûrit. Qu'on passe un cap. Quand on est prêt à se défaire de trucs accumulés et conservés avec un fétichisme inquiétant, des machins qu'on se trimballe de déménagement en déménagement, ça servira un jour, on sait jamais...comme la cigarette qu'on garde dans le tiroir après avoir arrêté de fumer. Au cas où.

La première étape de ma vie d'adulte, ça a été le largage contre mon gré de ma collection de cannettes de Coca Cola du monde entier. Quatre années à faire de la retape auprès d'amis, d'amis d'amis d'amis... qui voyageaient plus que moi.. J'en avais des Etats-Unis (ça, fastoche !), du Brésil, de Grèce, du Japon, même une d'Inde, de Norvège, de Suède... Et puis j'ai quitté mes parents... et puis mes parents ont déménagé. Et puis mon père m'a appelée
- Bon euh, tes machins-là tu veux pas les garder...

Ben si, j'aurais bien aimé les garder mais j'étais à 900 km, et il n'allait pas me les envoyer par la Poste !

- Tant que j'y suis, tes cours de fac, je jette aussi ?

Et d'un coup, comme une grande, comme lorsqu'on enlève les petites roues du vélo et qu'on se lance, j'ai psychologiquement fait le deuil de ma collec et de tous ces fabuleux cours (euh, à vrai dire, pas tous !) que j'aurais bien relu en guise de livre de chevet (mes cours d'éco, par exemple, mes cours sur le cinéma italien, mes cours sur la terminologie scientifique en anglais...)
Même pas mal !

Ensuite, j'ai recommencé à accumuler des trucs et des machins. Qui rassurent et qui tiennent chaud. Et puis il y a deux ans, lors d'un emménagement, Chéri m'a dit

- Dis donc, tes cartons de vinyls, là, tu comptes en faire quoi ? Ça prend vachement de place, mine de rien.

Malheureux !! TOUCHE PAS A MES VINYLS !!!! Mes machins qui ont fait 8 déménagements avec moi, même après que mon tourne-disque a rendu l'âme. Mes machins qui datent de ... ouh là... achetés avec mon argent de poche, religieusement.
J'ai rentré les disques dans la maison, je les ai sortis des cartons, je les ai regardé avec émotion un par un (comme lorsque les enfants grandissent et qu'on regarde la première grenouillère, la première paire de chaussures de marche...)

- Hu, cékoiça ? Se sont étonnés les enfants (là, l'expression comme une poule devant un couteau convient à merveille !)

- Des disques.

Ricanements. Gloussements d'un air supérieur.

- N'iiiiiiiimporte quoi ! C'est pô des CD, ça !!

Comme s'il n'y avait de disques QUE les CD. Ah mais..! IGNARES !

- non , ce ne sont pas des CD, ce sont des disques vinyls, qu'on pose sur un électrophone. Ensuite on pose sur le disque un bras articulé et la pointe qui est au bout (en saphir ou en diamant si on a plus de sous), lit les sillons du disque.

- Aaaaahhhh... ouiiiiiiii; comme les trucs de l'Ancien Temps...

Oui... c'est ça... comme dans l'Ancien Temps... L'Ancien Temps c'était juste il y a... allez, il y a 15 ans on vendait encore des vinyls au grand public.

Alors, quand Chéri m'a dit
- Demain je vais amener mes disques à moi au TrocMachin les revendre, je prends les tiens ?

Ben j'ai dit oui.
- Mais je viens avec toi, je veux être là pour leur dire adieu.


Et j'ai ainsi dit adieu, le coeur serré, la gorge nouée, pas seulement à des galettes noires gravées mais à tout ce qu'elles ont accompagné.
Mes disques de Scorpions (oui oui, Scorpions, aaaah, les "sloves" d'amour de Scorpions, des We'll burn the sky, In your park ou Touch your feelings, ça vous a quand même des tripes, ça vous rend tout mou du genou et amoureux, même le Knocking on heaven's door chanté par le bel Axel Rose ne tient pas la comparaison... et les mélodieux Riot of Your time ou Make it real, hein, ça c'est du-rock-du-vrai-du-couillu, les Kyo et autres Evanescence peuvent aller se rhabiller fissa !)

Donc, adieu mes Scorpions, mes Status Quo, mes Iron Maiden... même mon Led'Zep' collector (and she's buy-ying a star-arway to heaaaaveeeennnnn ) cadeau de mon premier bisoubisou ... Tout ça laissait mes parents pantois, eux qui m'avaient élevée au jazz et au blues, à Harry Bellafonte, Ray Charles, Nina Simone, The Platters (only yououououou...), Fats Domino, Count Basie, Billie Holiday, et au cha-cha cubain...

Dans le lot, il y avait ma période suivante, mes Dire Straits (aaah, Dire Straits...), mon Génésis (And then there were three et rien d'autre), puis des Cocteau Twins, Dead Can Dance (c'est gai, hein !), l'album vert pomme des Sugarcubes, le 1er groupe de Bjork, des trucs qui s'appelaient The Saints, Big Country, Jesus And Mary Chain (ramené à notre mémoire par Sophia Coppola dans Lost In Translation) , Bill Pritchard, Joy Division, The Cramps, The Smiths, Adam and The Ants, Depêche Mode de la première heure... Foreigner et Supertramp, The Pogues, Bronskie Beat, Kas Product, Echo and The Bunnymen ... (je parle là d'un temps que les moins de vingt ans...)

Bref bref bref...tout ça pour 20 centimes d'euro le disque. Je suis repartie avec mes 28 euros, les tripes en vrac. Je m'en serais bien retournée mes disques sous le bras mais j'étais avec Cheri, fallait pas que je me dégonfle, hé, mauvietteuh, même pas cap-euh ! 10 balles que j'étais cap, dussè-je le regretter ad vitam !

A peine remise de cette amputation voilà-t-y qu'il faudrait que je remette ça, à l'orée d'un nouveau déménagement. Que j'allège l'empaquetage, que je simplifie le transport. Il faut cette fois que je me déleste de 13 années de revues de déco et de bricolage... 18 boites à archives pleines... plus du rab' qui ne rentrait pas dans les boites. Alors j'ai trié (promiiiiis, je découpe juste des pages...), j'ai fait 3 aller-retour à la benne à papiers, avec à chaque fois l'équivallent de 2 caisses Curver pleines... Et maintenant il ne me reste que des feuilles découpées, une grosse centaine à vue de nez, que je vais ranger consciencieusement dans un classeur scrapbooké à ma façon... pour le cas où... on sait jamais !

Et vous, vos machins, vos marottes, vos fétiches à l'abri de la poussière, pour le cas où... quels sont-ils ? Ttttt.., mais si mais si, toi aussi, tu en as, je le sais !

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mercredi, août 23, 2006

J'ai le trac...


Voilà. J-9 et j'ai le trac. Je ne m'étais pas rendue compte qu'on y arrivait. Mon inconscient a réalisé avant moi et voilà deux nuits que je ne dors plus. Ou très mal. Des kilos d'années à paniquer avant la rentrée. Quand j'étais élève ça se comprenait.. mais maintenant... je suis grande, quoi, bon sang de bois. J'adore mon métier et je le pratique depuis suffisamment longtemps pour pouvoir me cacher derrière le geste rodé.
Mais non, chaque fin d'Août c'est pareil... de l'insomnie à la crampe d'estomac chronique. La veille, c'est pire encore, c'est nuit blanche complète garantie. J'espère qu'il y aura un truc bien à la télé...

C'est pas UNE journée de stress, c'est DEUX : la pré-rentrée et la rencontre de nouveaux collègues. Ensuite la VRAIE rentrée, avec de VRAIS élèves, avec des gros bouts de curiosité dedans... Pour toute ma famille je vais être insupportable pendant 3 jours (voire plus...), mes genoux vont fondre, ma gorge se nouer tellement que j'en deviendrai aphone...
Ridicule, quoi. Ri-di-cule. J'ai mon stoc d'huiles essentielles calmantes, de Fleurs de Bach et de granules (si besoin y doit p'tête bien me rester un vieux bout d'Atarax...). J'ai déjà remplacé le thé et le café quotidien par camomille-fleur d'oranger. Efficacité peu probante à ce jour.
Pfffff, on souffle leeeeeeentement par la bouche... on se vide d'air... on bloque la respiration poumons vides... on compte jusqu'à dix... on reprend de l'air doucement... on bloque poumons pleins et on souffle à nouveau doucement... on vide on vide on vide...
Pfffffffffffffffffffffffffffffffffff............................ ça marche pas...

Vous vous dites, oh, il suffit qu'elle fasse deux rentrées de suite dans le même établissement, ça ira. MAIS NON ! Même pas !
C'est juste l'affaire de quelques heures, quelques minutes, même. Et après je nage, je flotte, je fais des ronds dans l'eau... et la machine se met en route toute seule...
Et c'est parti pour six semaines de haute mer avant la prochaine escale...

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mardi, août 22, 2006

Promised you a miracle

Finalement ils ne sont pas restés longtemps, dans la «petite maison de la morte». Oh, pas parcequ'ils avaient vu une apparition ou que des objets se déplaçaient... Non, rien de tout ça. Elle avait juste eu le temps de poser son petit à l'entrée de l'hiver pour se rendre compte que la maison n'était pas isolée. Pourtant, les hivers n'y sont pas rigoureux mais il faisait 13° au sortir de la couette. Le petit radiateur soufflant fonctionnait à perdre haleine. Le froid humide de la maison lui rentrait dans les os, lui liquéfiait le moral, lui gelait la raison. Le bébé dormait avec des chaussettes aux mains, trouée à la main droite pour qu'il puisse attrapper son pouce... elle osait à peine le laver, le déshabiller...

C'est ce premier hiver qu'ils ont donné leur préavis et qu'ils ont commencé à chercher autre chose. Entreprise qui s'est avérée bien moins évidente que prévu... un seul salaire dans le foyer effrayait les loueurs.
Puis ils ont vu une annonce dans le journal local; «maison mitoyenne avec jardin, 3 chambres, à la campagne». Le prix était étonnemment peu élevé...
- Vous savez, c'est un peu loin d'Arras, leur avait-on dit au téléphone.
Ils avaient demandé l'adresse, étaient passé chercher les clés, s'étaient fait expliquer l'itinéraire une nouvelle fois. Une fort jolie promenade à travers la campagne. Image d'Epinal. Ils ont fini par le trouver, ce village perdu, ce hameau tout en longueur sur la route entre Rien et Nulle Part... Ils ont découvert, en montant à gauche après la pharmacie, un petit lotissement de maisons mitoyennes aux volets colorés. C'était le printemps, ça sentait la vache et l'herbe fraîche, la nature explosait... ça leur semblait bien.
Ils ont dit d'un air enthousiaste qu'ils étaient prêts à emmenager tout de suite. Au Logement Rural, ils n'en revenaient pas.
- Vous ètes sûrs ?
- Oui oui oui oui !
- Vous avez bien visité la maison, les alentours...?
Oui oui, ils avaient fait tout ça. Et elle ça la rapprochait de son collège. Mais lui ça l'éloignait des opportunités d'embauche de la grande ville... le Ternois est un bassin d'emploi moins foisonnant que la banlieue lilloise. Ou même arrageoise... Mais bon, pour l'heure, lui ne cherchait pas trop...

Ils s'étaient tous les deux coulés dans une nouvelle répartition des responsabilités. Pas forcément équilibrée (il y a des rôles que l'on ne redistribue pas aisémment...) Mais elle s'en accommodait. Mécaniquement, comme un automate. Elle avait son bébé, elle se sentait forte et invincible.

En pénétrant dans le lotissement, ils avaient bien vu que tous les rideaux s'écartaient discrètement. Il y avait cette grosse dame très rousse, en «robe d'hôtesse» longue en jersey multicolore, comme ils disent dans les catalogues, qui s'était risquée hardiement sur le pas de sa porte, afin de mieux scruter l'Etranger... Elle portait un petit garçon dans les bras, qui tétouillait tranquillement sa morve. Derrière ses verres épais comme des dessous de plats, la grosse dame n'avait même pas répondu au bonjour enjoué des deux jeunes en voiture rouge... D'ailleurs, elle ne répondra jamais à leurs bonjours...

Alors ils avaient recommencé à faire les cartons, avec empressement, avec avidité. Lui faisait de l'emballage et du babysitting la journée, elle faisait deux fois les 45 minutes de trajet pour rejoindre son collège du val d'Authie. Elle aimait rouler seule, c'était son sas de décompression, son temps de «recentrage», le moment qu'il lui fallait pour redevenir une autre au retour de sa journée. Elle aimait prendre les raccourcis, même si c'était risqué, elle se retrouvait souvent derrière un de ces immenses Massey-Ferguson qui brassaient les champs. Et puis cet automne elle avait découvert que la route pouvait être glissante : la boue mêlée à la betterave écrasée surprenaient le conducteur peu vigilant.

Elle traversait des hameaux aux jolis noms... Rebreuviette, Estrée-Wamin... Elle écoutait Simple Minds et U2. Histoire de préparer la culture musicale du bébé, pensait-elle. Il devait aimer, d'ailleurs il bougeait beaucoup, sur Simple Minds en particulier. Alors elle le passait souvent. C'est sur cette route qu'elle a appris la nouvelle un matin à la radio : Kurt Cobain avait été retrouvé mort à son domicile... Elle en fut peinée, même si elle ne le connaissait pas personnellement. Dommage pensa-t-elle, ils ne feront plus de jolies chansons.

Au printemps ils ont déménagé, abondonnant à regret leurs ballades quotidiennes au bord de la Scarpe toute proche, à regarder glisser lentement les péniches dont elle aimait se dire qu'elles venaient peut être de Hollande ou de Belgique, en descendant l'Escaut... Ils ont laissé la ville pour les charmes certains de la ruralité profonde. Cette ruralité dont un de ses amis, le seul venu la voir «si haut», dira, après s'être perdu et re-perdu, « 'tain, c'est le trou du *** du monde, chez toi !».
Elle avait pris un jour un homme en stop, au village voisin. En montant dans la voiture, il l'avait dévisagée avec douceur.
- vous n'ètes pas d'ici, vous. C'était une affirmation, pas une question.
- Euh... non
- et ça va comment ? Vous vous plaisez ? Les gens sont gentils ?
- Euh...ben... ça va...
Lui dire que les rideaux s'écartaient le long de la rue principale lorsqu'ils promenaient la poussette, que la rue devenait déserte et que Chez Yvette, les conversations s'éteignaient lorsqu'elle entrait chercher du pain ou du sel ou des bricoles ?
- Vous savez, petit pays, petits esprits... mais vous vous y ferez, ça va aller. A-t-il dit en roulant les R.
Et les yeux délavés du vieil hollandais ont souri. Il était là depuis 30 ans, il savait. Rassurant.

Ils se retrouvèrent ainsi en vase clos, avec pour seules distractions celles qu'ils se créaient eux-mêmes... Les yeux dans les yeux, avec justes leurs conversations à eux deux (et les gazouillis du bébé, et la providentielle télévision) pour meubler leur autarcie affective. Comme sur une île déserte. C'est maintenant qu'elle allait peut être affronter les questions qui commençaient à s'insinuer en elle. Il était temps pour elle, pour eux deux, de se poser un peu, de cesser de s'étourdir dans la frénésie du quotidien (s'agiter, c'est bien, ça empêche de penser...), temps pour eux de gratter sous la surface clinquante, quitte à écailler les (fausses) dorures ; temps pour eux de ne plus se contenter de regarder les ombres sur le mur, comme les prisonniers de la caverne de Platon... Ce chemin qui gravit la montagne, elle aurait bien aimé ne pas le parcourir toute seule...

I have kissed honey lips
Felt the healing in her fingertips
It burned like fire
This burning desire
I have spoke with the tongue of angels
I have held the hand of a devil
It was warm in the night
I was cold as a stone
But I still haven't found what I'm looking for
But I still haven't found what I'm looking for

U2, I still haven't found what I'm looking for.- The Joshua Tree, 1988

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lundi, août 21, 2006

Que la montagne est belle...


Garanti sans trucages ni effet aucun. Selon les heures de la journée, le temps, la saison...
Vue directe de ma terrasse, sans intermédiaire entre elle et moi.

samedi, août 19, 2006

Les voyages forment la jeunesse

Allez, j'vous z'a'r'mé eun' tchotte d'histoire de Elle

De nouvelles aventures de Elle... à rebrousse-temps.


Près de 4 mois qu'elle attendait, elle l'avait enfin, cette fameuse lettre. Son destin pour les années à venir était là, entre ses mains. LEUR destin, parcequ'une mutation frappe souvent la famille entière. Et sa famille, elle était en train de grandir, de se concrétiser, là, dans son ventre. Elle avait pensé, à moitié confiante, que dans ces circonstances, ILS n'oseraient pas la catapulter par delà ses montagnes... quand même, ILS ne sont pas comme ça. Elle avait «fait ses voeux», comme on jargonne dans le métier. Voeu 1 : Tout poste dans l'Académie de G... sait-on jamais... Ensuite, elle avait eu le choix. Néo-certifiés, vous n'avez que 150 points, vous n'aurez que les académies déficitaires...Nancy-Metz/Créteil-Versailles/Angers-Tours/Lille... G, c'est 500 points. Allez, on va dire Lille en 2, Nancy-Metz en 3, Angers-Tours en 4... Am Stram Gram...

Par mesure de précaution tout de même ils avaient fait faire des devis de déménagement. Destination le Nord. On n'a qu'à dire. Au hasard.
- C'est votre boite qui paie ?
- Euh.. non... c'est nous avec nos petits sous...
- Dans ce cas c'est 8 000 francs (on était encore en francs à l'époque)
- Oups... euh, pour quelles prestations ?
Finalement, ils étaient arrivés à caser l'enlèvement, le garde-meuble (arrosage des plantes compris) et la livraison pour 6 000 francs. Tope là.
- Je vous rappelle dans 2 semaines pour confirmer la destination.

Elle ouvrit l'enveloppe en montant les escaliers. « Titulaire académique » « Académie de Lille ». Ca voulait dire qu'elle ne connaitrait son affectation que la veille de la rentrée. Au mieux. N'importe où entre Boulogne-sur-Mer et Tourcoing, ou Dunkerque ou Arras ou Cambrai ou Le Touquet...
- Ne t'inquiète pas, mon contrat se termine en Juillet, je chercherai du boulot là-bas tout de suite. Sinon je m'occupperai du bébé, on fera des économies de nounou. Il lui avait dit.
Oh, ce n'est pas qu'elle s'inquiétait vraiment, elle se sentait plutôt investie d'une responsabilité soudain pesante. Il fallait qu'ils se fassent mutuellement confiance. Mais s'aimaient-ils assez pour ça ? Elle espérait que oui, très fort elle l'espérait.

Et ils étaient montés en repérage, chercher un toit. En route, ils avaient pique-niqué au bord de l'Yonne, près d'Auxerre. Ils roulaient vitres ouvertes en écoutant Enya et Simple Minds et Jean-Louis Murat. Elle gardera longtemps un joli souvenir léger de ce trajet d'été. Ils avaient regardé la carte des deux départements, avaient décidé qu'Arras serait vaguement à mi-chemin, dans un sens ou dans l'autre. Il y avait ce superbe appartement neuf au centre d'Arras, dernier étage, vue panoramique... Un seul inconvénient : il n'y avait que des fenêtres. Pas de balcon, pas de porte-fenêtre pour humer l'air de son corps tout entier. C'était bizarre, d'ailleurs, tous ces immeuble sans balcons. Elle en avait fait la remarque à l'agent immobilier.
- un balcon ?! Mais pour quoi faire ? Lui avait-elle répondu, interloquée...
Finalement ils avaient eu le coup de coeur pour cette petite maison de la proche banlieue arrageoise. Mitoyenne en briques, «coquette» comme disent les annonces. Biscornue et pimpante. Et surtout, fait assez rare pour être souligné, elle disposait de VOLETS ! Et puis c'était très calme, au bout de l' impasse qui menait au cimetière.
- Les tapisseries viennent juste d'être refaites par les héritiers, la dame qui vivait ici est morte il y a 6 mois.
- Dans la maison ?!!!!
La jeune fille qui faisait la visite se rendit compte qu'elle en avait trop dit.
- Ben... oui, je crois... je ne suis plus sûre.
Finalement ils l'ont prise quand même, la maison de la morte. Même si pendant ses longues nuits d'insomnie (on dort peu et mal, en fin de grossesse...) elle avait gardé les yeux grands ouverts, fixé le plafond, scruté les coins, les ombres, à la recherche d'un quelconque ectoplasme, un poltergeist. Pour un peu elle aurait même regardé sous le lit, mais sa vaillance avait des limites, et de toutes façons elle aurait eu du mal à se plier en deux. La maison avait de bonnes ondes.
- c'est rien qu'des couenneries, tout ça, aurait dit sa grand mère.

Les meubles ne sont pas arrivés le jour prévu. Ni le lendemain. Ni le surlendemain. Septembre approchait, elle n'avait rien à se mettre d'autre que les vêtements d'été qu'elle avait pris dans sa valise pour 3 jours. Ils étaient à l'hôtel, avec le chat, dans une de ces chaines d'hôtels-boites-en-plastiques-pas-chers-et-bien-pratiques. Ils en profitaient pour retapisser la maison, ce vinyl bleu marine à fleurettes jaunes de la cuisine, a-t-on idée d'en mettre aussi au plafond...

Tout de même, elle se demandait si ça avait une bonne idée, ce concours. Elle boirait ses années de bizutage jusqu'à la lie... elle l'avait voulu, elle avait bossé dur toute seule, des nuits et des jours, elle sacrifiait sa vie sociale, la carrière professionnelle de son mari... elle avait froid, son camion de déménagement était perdu dans la nature, ils n'avaient plus un rond, son ventre lui faisait mal en fin de journée... Tout cela en valait-il la peine ? Tout ça pour quoi , au fond ? Bénéfice net ? zéro, pour l'instant. Zéro chiffre d'affaires, même. Demain sera un jour meilleur. Certainement. Il ne fallait pas qu'elle ait des doûtes, elle n'avait pas le droit. Alors pour se donner du courage elle s'allumait des cigarettes. Il y a longtemps qu'elle aurait du arréter, elle le savait. Qu'on me laisse ce petit temps à moi, ces maigres minutes de destruction irresponsable. Cette culpabilité supplémentaire avec laquelle me flageller les jours bleus. MAUVAISE FILLE !

- Tout ça c'est quand même bien toi qui l'as voulu, non ? Lui dira -t-il des années plus tard, aigri par les longs mois de chômage, par le manque d'argent, de reconnaissance, de confiance en lui. Des reproches ? C'était lourd pour ses épaules à elle, finalement, cette responsabilité du bonheur familial. Certainement, c'était de sa faute à elle. TOUT ETAIT SA FAUTE A ELLE SEULE. Maintenant, assume.
Personne ne lui avait rien demandé, elle endossait ça toute seule, elle la prenait toute seule, cette satanée responsabilité. Sacrificielle. Puisqu'elle n'arrivait pas à la partager, elle la portera toute seule, la responsabilité du déséquilibre. Comme une gageure. Un défi personnel à la con. Ce n'est que bien plus tard., beaucoup, beaucoup plus tard, lorsque tout ça serait digéré, recraché au loin, qu'elle reconnaitra qu'il était très prétentieux de vouloir faire le bonheur des autres.
On ne peut pas être responsable de tout, ça n'est pas possible... Encore moins coupable. Même par amour.

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vendredi, août 18, 2006

Bri-Koh Boyard

Quand il m'a demandé
- si tu vas à Bricotruc, tu peux me prendre de l'enduit à bandes tout prêt, s'il te plait ?
et que j'ai répondu
- OK, de toutes façons je dois aller rendre le nuancier qu'on avait emprunté,
ça semblait être une affaire simple. 10 mn aller, idem retour, mettons 15 mn avec le passage en caisse, allez, on va dire tout ça torché en 45 mn trajet compris. En étant large.

Oooooh malheureuse ! C'était oublier deux paramètres essentiels, fon-da-men-taux, mêmes :
1/ je partage cette Terre (et la route...) avec d'autres êtres humains
2/ n'ayant aucune imagination et étant un pur produit de notre société consumériste, chaque fois que je crois avoir une idée, il se trouve qu'au moins 500 personnes l'ont eu à la même seconde et l'ont mise en oeuvre également au même moment.
C'est ainsi que nous nous retrouvâmes fort nombreux sur la route d'une part, et sur le parking du Bricomachin d'autre part... Damned, bien sûr, nous sommes lundi : ils ont tous bricolé le dimanche, se sont rendu compte qu'il leur manquait gnagna et gnagni, « allez Manman , demain on va au Brico, à l'ouverture à 14h » J'avais déjà rogné mon timing rien qu'en trajet et en recherche de place (si possible pas trop trop loin de l'entrée, hein...) Qu'à cela ne tienne, on y est, on fait ce qu'on a à faire.

Et la joyeuse troupe de se diriger vers l'entrée, pleine d'optimisme : Lapin (15 mois) avait décidé de ne pas rester dans les bras aimants de sa génitrice, Zébulon-Fend-la-Bise (boing boing) 8 ans, faisait des aller-retour dans un rayon de 500m autour de moi.
Ouarf, tudjuuuuu, le moooooonde à l'intérieur du magasin ! Ils sont venus à 12 par voiture ou quoi ?! 40 mn de queue au comptoir « Services » pour rendre un malheureux nuancier, récupérer un pôv' chèque de caution et 100 pétages de zénitude évités plus tard ... (Lapin qui voulait galoper librement, moi qui 80 fois ai affronté le dilemne perdre ma place dans la file ou perdre ma fille, Zébulon-Fend-la-bise qui avait déjà fait 10 fois le tour des rayons alentours en posant à chacun de ses passages près de moi 15 questions à la fois, commençant invariablement par « pourquoi » ou « tu peux acheter », en se suspendant à mon bras comme un singe à une liane.) Bref, après avoir survécu à cette épreuve, je pensais en finir rapidement. Las !

Direction l'exterieur du magasin, rayon « gros travaux ». Parce que si je n'ai pas d'imagination, j'ai de l'observation quand même et je sais, haha, que le gros pot de 20 kgs d'enduit à bandes, mon Chéri le trouve au rayon Gros travaux.
D'un coup une évidence me gifla
- il me faut peut être un chariot...
Peut être...
Epreuve 2 : trouver un chariot. Traversée du parking... -7 mn sur timing...
Epreuve 3 : trouver UN JETON !!
- ******* de **** de ***, où il est ce *** de jeton bonsand'bois ?! (tout ça je le dis dans ma tête, y a des enfants qui écoutent quand même...haaann, mamaaaan, t'as dit un gros moooooot ! ) Et Lapin qui trottinne, et Zébulon-fend-la-bise qui file et que je te zigzague sur le parking... Ouf. Jeton trouvé, épreuves 2 et 3 accomplies, enfants toujours en vie, yeeesss ! Hop, tout le monde dans le chariot, oui, toi aussi, je sais t'es grand mais tu restes là-dedans. Et arrète de te pencher par dessus bord !

Bingo, pile du 1er coup devant les pots d'enduit à bandes, dis-donc ! Eh, c'est pas du beau boulot, ça ? Chuis trop forte ! Coup de fil immédiat à Chéri, histoire de confirmer quand même...
- ça y est, j'y suis. C'est bien la marque Machin écrit en orange ?
- nooon, surtout pas celle-là, il me faut bien la Machin mais c'est écrit en bleu sur blanc, le pot orange va moins bien à étaler.
Ah. C'est une blague. Y a la caméra cachée pas loin... Non ? Non... Et que j' tournai et que j' virai avec mon chariot de traviole lesté de 40 kgs remuants, à la recherche des fameux pots blancs écrits en bleu dessus... ou l'inverse. Pourquoi les vendeurs s'éloignaient-ils chaque fois que je m'approchais d'eux ?

Soyons méthodique : on va faire TOUS les rayons du magasin, s'il a dit qu'il y en avait, y a qu'à chercher. 20 mn et MOULTS zigzags plus tard, ça y est, je l'aiiiii !!! Figure-toi qu'ils ont TROIS rayons dans lesquels on peut trouver des gros pots d'enduit, si si ! et des enduits différents à chaque rayon, forcément éloigné des deux autres (sinon, hé, trop facile le jeu !) Et difficulté supplémentaire, ils n'auraient pas mis les pots en bas du rayon, nan nan, à 1,60 m (je sais, je les avais au niveau des yeux !) J'ai risqué l'écrasement de pieds, la mutilation de la face, me démettre les deux épaules mais j'y suis arrivée ! Tchôôôô... comme c'est lourd 20 kgs, on dirait pas comme ça. Eviter d'écraser les enfants toujours dans le chariot...
Passage à la caisse,
- si vous me demandez de sortir le pot pour passer le bip je vous le laisse là !
Sans rire, non mais.Trop fière de moi, j'étais. Toutes les épreuves réussies, et j'ai même pas perdu des points de vie ! Juste 1H45, trajet compris...

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jeudi, août 17, 2006

La théorie des dominos

(allez, promis, les prochains seront beaucoup plus légers !)

Elle se souvenait précisemment du moment où ... de cet instant, ce déclic d'un quart de seconde où la certitude vous plombe. Elle était enceinte de 7 mois et demi, un deuxième garçon, juste après le premier qui ne marchait pas encore. Fatiguée, physiquement et moralement, lasse, susceptible et bourrée d'hormones, au bord des larmes en permanence. Et puis ces nausées, toujours, lui minant le moral et l'appétit.
La nuit commençait à tomber. Elle s'en souvient parce qu'elle a toujours du mal à conduire entre chien et loup. Elle a pris la voiture, après avoir hurlé une nouvelle fois, renversé par terre l'étagère de la salle de bain en verre et métal, achetée avec son premier salaire, non, ses premières piges. Peu importait au fond le prétexte de cette nouvelle crise, trop de fatigue certainement à se gérer seule au quotidien, et une colère contre elle-même.
Elle a roulé pour sortir du hameau. La Fiesta rouge a traversé le village suivant puis s'est dirigée vers Hesdin. Les arbres le long de la petite route, les champs qui quelques semaines plus tard seraient couverts de blé ou de lin (c'est beau, un champ de lin, graciles et longues tiges à fleurs bleues couleur lavande), le ciel qui a cette couleur et cette lumière bien spécifique à la région... Elle a arrété la voiture sur une petite place, en face d'un caviste qui tirait son rideau, près d'un vieux lavoir. Petit à petit elle s'est apaisé. La tempête a fait place à une plate étendue d'eau, comme un lac de montagne, vert miroir en surface, fond insondable et sombre profondeur vertigineuse.

Plus tard, des mois et des années plus tard en plusieurs occasions, des hommes de l'art médical lui demanderaient à propos de ce petit garçon pétri d'angoisses qui ne voulait pas dormir, comment s'était passé sa grossesse, ce qui avait bien pu le bouleverser, in utero... «Rien, je ne vois pas, grossesse impeccable sans stress ni événement particulier». Elle ne pouvait pas dire que c'est ce jour-là qu'elle a su qu'elle ne vieillirait pas avec son mari, qu'elle a réalisé qu'elle s'était trompé de chemin...
Plus calme, parce que la certitude est apaisante, elle a remis le contact. Elle a pris cette fois la grande route en direction d'Arras, elle a tourné juste avant Saint-Pol-sur-Ternoise, a fait encore 5 km et a bifurqué à gauche après la pharmacie. En pénétrant dans le lotissement des 15 maisons HLM aux volets colorés, elle s'est dit que le Ternois était tout de même une bien belle région ,elle aurait pu tomber pire mais c'était un peu loin... loin de ses amis qui ne voulaient pas monter « au-delà de Paris », loin de sa famille, de ses montagnes... tout son petit cocon dans lequel elle se serait bien blottie, là tout de suite.

Lentement elle a rentré la voiture dans le garage, lentement, pour gagner du temps. Et là elle a fait son choix. Pour le reste, on verra plus tard. Alors, elle a revêtu un habit nouveau pour elle, comme une robe de bure plombée, ce deuxième vous qui s'appelle Sens du devoir. Elle a enfoui bien profond le petit oiseau qui piaillait une demi heure auparavant et elle a pris à coeur son nouveau rôle, en sachant, bonne comédienne, que rien ni personne ne saura jamais que c'était un contre-emploi, un nouveau défi personnel. Hypocrite... Cette faculté toute nouvelle qu'elle se découvrait à la duplicité et à la dissimualtion la fit sourire, « j'aurais du continuer le théatre, moi ! »
Lorsqu'elle entra dans la cuisine par la porte de service, elle remarqua tout de suite la table dressée avec bougies et l'odeur d'excuses et de contrition qui s'échappait des casseroles sur le feu.
Il s'approcha tout près, pressa ses grands bras autour d'elle. Clac clac... dans sa tête un bruit de verrou, comme le bruit sec des crochets de chaussures de ski. A y est, hermétiquement tous ses cadenas s'étaient fermés. Rien n'y entre, rien n'en sort surtout. Comme dans un sous-marin.
«Je te promets, je vais essayer de t'aider un peu plus », a-t-il murmuré. Trop tard... beaucoup trop tard... Au contact de cette étreinte, son corps avait esquissé une légère tension. Oh, imperceptible. En même temps qu'elle avait fermé ses verrous, elle avait vidé sa tête, ses pensées, états d'âme et sentiments avaient reflué loin de la surface, vers le petit oiseau en hibernation, dans son double fond.

Elle lui a souri en s'asseyant à la table. « c'est joli les bougies », a t-elle dit. Et puis « mmmhhh, ça a l'air bon. » Il lui a souri en retour, rassuré. La crise était passée, les hormones de la grossesse, certainement.
Ce qu'ils ignoraient à ce moment là tous les deux, c'est que le premier domino venait de tomber.

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mercredi, août 16, 2006

Plouf !


ça faisait longtemps que je me disais qu'il faudrait, au lieu de jouer les voyeuses sur les blogs des autres, que je me lance à mon tour. Comme lorsqu'on arrive à la piscine, qu'on reste emmitouflée dans sa serviette en sortant des vestiaires, qu'on va s'assoir sur les gradins et qu'on se satisfait de regarder les corps parfaits (en tous cas plus parfaits que le notre, croit-on...) nager comme des champions.
Bon, j'ai quitté ma serviette de bain, j'ai descendu les marches des gradins cahin-caha du bout des talons, à petits pas croisés et je suis assise sur le bords de la piscine, les pieds à fleur d'eau, près de l'échelle. Ouah, je suis arrivée à faire presque toute nue les 20 m qui me séparaient du bassin, sans déclencher les quolibets (en même temps, je ne risque rien, il n'y a personne à la piscine, elle n'est pas encore ouverte au public !)
Bientôt, je me laisserai glisser discrètement dans l'eau, mon corps (re)trouvera spontannément les gestes de la nage... et je sais qu'après quelques mètres j'y prendrai même du plaisir.
Bientôt, mais là c'est plus un manque de temps, je me plongerai dans un nouvel habillage de ce blog. Pour l'instant, je pose mes meubles, je referai les peintures plus tard, afin d'accueillir mes hôtes dans un endroit qui me ressemble un peu plus.
J'y mettrai de la déco toute personnelle, parfois même je laisserai trainer 2-3 choses plus intimes, des objets eclectiques et souvent disparates.
Soyez les bienvenus chez moi.

mardi, août 15, 2006

Madeleine de...

Hier j'ai croisé C. Enfin, quand je dis «croisé», c'est un bien grand mot, je l'ai plutôt aperçue à travers la vitre du café dans lequel j'étais.
Et tout d'un coup, là, moi qui n'avais que très peu pensé à elle depuis près de 20 ans, tout m'est remonté d'un coup dans la gorge, comme un étrange relent...

Nous étions en 4è et 3è ensemble. Pas tout à fait amies, tout juste copines. Elle faisait partie de ces filles émancipées que l'on regardait avec un mélange de fascination et de curiosité... tellement lointaines. Elles fumaient, elles avaient des petits copains, elles choisissaient elles-même leurs vêtements, personne chez elles ne pointaient leur heure de rentrée... Et surtout... elle avait un GRAND FRERE... qui venait l'attendre à la sortie du collège, puis à la sortie du lycée. Dans des circonstances dont je ne me souviens plus, j'avais été invitée chez elle à cette époque. Ils habitaient tout un étage composé de deux appartements réunis. C. partageait avec son frère une entrée indépendante de l'appartement familial et une sorte de studio rien qu'à eux.
Quelques années plus tard, nos chemins se sont croisés à nouveau, entremêlés pendant plusieurs semaines d'été, par l'intermédiare de son frère. M., son frère, qui trainait son romantisme dégingandé à la sortie du lycée; M. qui adorait sa soeur (qui le lui rendait bien... et je constaterai un peu plus tard à quel point ces deux-là s'aimaient...). Cet été-là, j'avais passé mon bac de français, j'avais des points d'avance, je passais en terminale, tout allait bien, mes 18 ans me souriaient à pleines dents. C. sortait avec B. Cet été-là, nous l'avons passé tous les 4, à la piscine, à faire du lèche-vitrine en ville, au cinéma beaucoup (M. avait ses entrées...), à écouter Al Jarreau. M. cuisinait pour nous dans leur studio, invitant parfois quelques copains étudiants plus âgés que nous, fascinants, drôles et cultivés.

Ai-je dis que le frère et la soeur s'adoraient ? C. adorait son copain B; M. m'adorait. Le frère et la soeur étaient très généreux... Nous nous aimions tous...bien. J'ai compris incidemment ce que s'aimer voulait dire pour eux... si nous nous aimions tous, nous étions tous interchangeables... J'ai mis du temps à décrypter ce qui se passait entre nous 4..., ce dont j'étais partie prenante sans m'en rendre compte; il a fallu que je me retrouve un après-midi dans une situation toute nouvelle pour moi, à laquelle je n'avais jamais pensé et qui ne me tentait guère. Cela semblait tellement naturel pour eux 3 que j'ai eu des scrupules à refuser le jeu. Mais mon envie de leur plaire avait ses limites...
Et le charme s'est rompu, je voulais m'émanciper mais ce n'était pas ça que j'envisageais comme découverte du monde ! 3, 4 interchangeables, méli-mélo, salade de bras et d'autres choses...
J'ai recroisé M., inchangé 3 ans plus tard... bonjour et prise de nouvelles furtive et polie... il habitait avec sa soeur, elle était tombée enceinte deux fois mais n'avait pas gardé les bébés... je n'ai pas osé demander s'ils étaient de son copain B, l'une des réponses possibles m'effayait. «Tu veux venir prendre un thé à la maison ? »; « sinon passe un de ces soirs, on se fera une bouffe brésilienne ».

Je ne suis jamais passée et je garde de ces semaines de l'été 1982 une certaine aversion pour l'eau de toilette au vétiver et Al Jarreau.
Et j'ai aperçue C. hier en ville... le même visage sec et émacié, juste vieillie, un peu. L'homme qui l'accompagnait n'était pas son frère...

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