dimanche, décembre 31, 2006

de circonstance...




illustration L.B.

jeudi, décembre 28, 2006

Contre-coeur et Cloche-pieds


Contre-coeur et Cloche-pieds sont mes amis depuis dimanche dernier. Ou plutôt, ils sont venus se coller à moi comme à chaque période de vacances scolaires. Je déteste les vacances. Qui m'obligent à céder, que dis-je, à m'amputer (temporairement, heureusement !) de ce qui met du mouvement et de la vie dans la maison.

DES ENFANTS. Tous. Sauf une, bien sûr. En deux lots, ils s'en vont tous les 5 s'égailler dans un autre nid, non sans les câlins appuyés d'usage, les au revoir murmurés dans le cou "tu vas me manquer, maman". "à dimanche, mon roudoudou, c'est pas long une semaine". "Mais oui bien sûr on fera Noël à votre retour".

Et d'un coup d'un seul, la maison se retrouve vide de leurs cris, de leurs galopades, de leur vivant chahut.

A nous les grasses matinées. A nous les repas décalés, à nous les expérimentations culinaires sans regards suspicieux, à nous les repas légers sans le "y a que ça à manger ?!"
Du calme. Trop de calme. Du vide. Trop de vide d'un coup.

Depuis ces années, je ne m'y fais pas, je ne me fais pas aux chambres vides, à l'immédiat silence qui suit le chaleureux brouhaha. Au panier de linge sale qui ne se remplit plus guère. Cuisiner pour deux. A la salle de bain qui reste nette. A la table de la cuisine qui reste propre. Au lait qui reste entamé dans le réfrigérateur. A nos voix qui taillent dans le silence. A leurs chambres vides, à leur désordre refroidi. Au manque d'eux je ne me fais pas. Au manque d'eux tous, car tous les 5 font partie de nous.

Famille protéiforme. A deux rarement. A trois deux fois par mois. A huit le plus souvent. A 5 ou à 6 parfois. C'est à huit que nous sommes le mieux. Tous. Toute autre configuration, c'est comme de la ratatouille sans aubergines. C'est bon aussi, mais ce n'est pas de la ratatouille.

Et au fil des jours nous nous installons inconsciemment dans l'attente. Même avec une double vie sans eux. Même si nous avons un besoin vital de ces appels d'air pour souffler. Nous régénérer.
Vivement dimanche... que je puisse râler, crier, gronder, éteindre les lumières derrière leur passage, refermer la porte du réfrigérateur après eux, faire tourner la machine à laver deux fois par jour et faire du pain tous les jours dans ma chouette machine à pain.

Et leur dire "Pfiou iou iou... Vivement le 8 janvier que vous retourniez à l'école vous défouler !"

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mardi, décembre 19, 2006

Elena

Elena la douce faisait voler ses mains au dessus de la table. On aurait dit qu’elles volaient mais elles caressaient, s’agitaient, tourbillonnaient, pétrissaient la glaise. Son petit visage de chat était concentré, le regard mobile, les doigts, agiles, longs, secs comme un coup de trique, noueux et diaphanes parfois se fâchaient contre la motte d’argile.
Alors, ils pressaient, pétrissaient plus fort encore, elle soupirait, jurait, défaisait, roulait en boule, roulottait encore sur la table, en faisait un boudin tout en me parlant…Prenait la pâte des deux mains, pressait fort, souriait, posait à nouveau sur la toile cirée à pamplemousses jaunes, souriait encore et repartait. « il faut écouter ses mains, les laisser parler sans leur couper la parole. Si on les laisse faire elles disent de jolies choses ». Tout en me parlant, elle jouait avec la glaise. Elle bavardait, ses yeux bruns tournés vers moi, et ses mains… ses mains avaient leur vie propre. Elles avaient malaxé et malaxé encore, trempées dans le bol d’eau à proximité, étaient revenues, luisantes, caresser la terre et la tordre en tous sens. Du boudin trapu surgissait une tête, puis des jambes. Un tronc. Sans bras. "Je les rajoute à la fin, les bras, ne t'inquiète pas". Et des mains d’Elena s’échappaient de petits personnages longilignes, torturés, difformes, aériens comme un papillon anorexique. Comme elle. Ou presque. Et pendant ce temps nous parlions. Un peu, à voix basse.

Elena ne parlait pas fort, Elena n’aimait pas le bruit. Ni la lumière. Les volets étaient toujours à demi fermés. A demi ouverts, disait-elle.
C’est moi qui traversais la ville pour lui rendre visite. J’aurais aimé, je lui ai proposé maintes fois, la voir en extérieur, donner à notre amitié un tour moins intime parfois. Nous essayer à la foule, au cinéma, boire un verre en terrasse en regardant les passants, les jambes allongées sous la table ronde et le dos calé contre les volutes en fer forgé de la chaise, faire des bulles à la paille dans notre Orangina et nous dire « il n’y pas grand monde en ville cet été hein tu trouves pas ». Prendre le temps de rêver devant les vitrines des magasins et regarder couler l’eau de la fontaine place Grenette « Tu te souviens à la dernière manif ils avaient mis de la mousse dans l’eau ! » L’inviter chez moi, lui présenter des amis…

Mais tout cela n’était pas possible avec Elena, parcequ’Elena ne sortait guère plus de chez elle que pour aller aux cours dont elle ne pouvait se dispenser. Et c’était une telle épreuve qu’il était hors de question qu’elle remette ça pour un prétexte autre que vital. Les rares fois où je la croisais au pied de l'escalier monumental près du grand amphi, «Tu ne veux pas rester on prend un thé à la cafète et après tu rentres c’est pareil de toutes façons t’es déjà dehors…»

Alors c‘est moi qui allais chez elle. A l'arrêt du vieil ascenseur toussotant, sitôt tirée la grille de fer grinçante, sa porte s’ouvrait dans un fracas de verrous qui claquent et sa silhouette frêle apparaissait dans le cadre, en contre-jour. Tu es belle, Elena et tu ne le sais pas, tu ne veux surtout pas le savoir. Mais parfois j'ai peur que tu te brises en miettes menues. J'aurais envie de te gaver comme une oie pour remplir ton corps et faire surgir de plus féminines rondeurs.

- Tu veux du thé ?

Elle versait le thé d’une petite théière à une petite tasse et me regardait le boire. Seule.

- Tu n’en prends pas ?

Non , elle n’en prenait jamais et je le savais, c’était juste pour l’entendre le dire, comme pour lui faire du mal, souligner sa singularité. Parcequ’Elena ne mangeait pas. Ou si peu, juste de quoi faire tenir son corps debout. L’indispensable ration de calories, sans plaisir. C’est juste qu’elle n’avait jamais faim, «même petite je ne mangeais rien», elle n’aimait pas manger, ça ne lui procurait aucun plaisir. On dit souvent que ceux qui n’aiment pas manger n’aiment pas les gens. Pas toujours. Elena aimait les gens, Elena était généreuse avec qui se donnait la peine de l’approcher. Elle aimait les gens à les sculpter à longueur de nuit. Et ses personnages filiformes, son âme, disait-elle, ses danseurs aux bras et jambes démesurés, au visage grimaçant, ces animaux de légende qu’elle sortait de son imagination (Elena, tu as de bien effrayantes pensées), licornes toutes en pattes, femmes allongées au corps tordu comme du vieux bois, elle les alignait, partout où elle pouvait. Sur les tables, sur les étagères de l’appartement , sur le plan de travail de la cuisine, toutes à divers stades de séchage.

- Elena, tu devrais exposer, c’est tellement… émouvant.
- Non, c’est mon âme. Je n’expose pas mon âme, on risquerait de vouloir me l’acheter.

Lorsqu’elle avait mal aux mains d’avoir trop frappé la terre, elle écrivait. Elle écrivait comme elle sculptait. Sous des mots délicats et légers comme ses cheveux, elle racontait des histoires à plomber. Des histoires de garçon boucher un peu simplet amoureux de son métier. Et de la belle Marie. La belle Marie qui lui disait toujours non. Alors le garçon boucher, amoureux de son métier et de la belle Marie a un jour confondu ses deux amours et la belle Marie s’en est allée rejoindre le crochet de métal de la chambre froide. Ainsi, il pourrait à loisir la caresser et lui palper les chairs.

- Tu devrais envoyer aux éditeurs, Elena, c’est tellement…émouvant.

Elle envoyait aux éditeurs, avec un exemplaire qu’elle s’envoyait à elle-même et qu’elle conservait scellé, comme preuve, cachet de la Poste faisant foi.

Pendant plus de deux ans nous avons été amies dans la pénombre, Elena l’Argentine qui rêvait de repartir dans le pays de sa naissance, ou à défaut en Espagne. Et puis ma vie m’a rendue moins disponible, pour elle et pour mes autres ami(e)s.

Quand je me suis mariée, Elena m’a offert une grande boîte à spaghetti. Bizarre, une boîte à spaghetti. Quinze ans plus tard, c’est le seul cadeau de ce mariage qu’il me reste, intact et d’une utilité quotidienne. Et à Elena je penserai aussi longtemps que chez moi nous mangerons des pâtes. Et au-delà.

J’ai essayé de la retrouver. Perdu sa trace, corps et biens.

Elena, la douce…

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jeudi, décembre 14, 2006

Que la patience soit avec toi !




Citadine. Je crois que je suis définitivement une citadine. J’ai découvert la campagne (les vacances chez mémé, ça ne compte pas) une fois bien atteint l’âge adulte. Tout à fait par hasard, d'ailleurs. Jusque là, je n’avais rien contre la ruralité et un excès de chlorophylle, seulement une jolie collection d’images d’Epinal et d’idées préconçues. L’appartement familial accueillait des plantes en tous genres, ma mère plantait des noyaux d’avocat, qui avaient eu la gentillesse de germer au préalable dans un bain de siège suspendus dans des verres à demi remplis d’eau ; elle taillait et bouturait avec succès de belles choses vertes qui faisaient ressembler le salon à un jardin tropical. Et j’étais admirative, « moi aussi, un jour…j’aurais tous les talents ».
Jamais un noyau d’avocat planté d’allumettes par mes soins n’a voulu germer, le cul pourtant bien à l’humide. Jamais. Pas une seule petite fois.

Mes tentatives en pot s’avéraient également des flops complets. Je devais tomber sur une mauvaise série de plantes forcées en pépinière, pas possible autrement. J’y mettais pourtant tant de cœur qu’elles en crevaient toutes d’être trop aimées. Systématiquement. Elles se passaient le mot entre elles. Je traîne ainsi depuis des années un rachitique et ridicule ficus, aussi déguigandé que dégarni, dont je refuse de me séparer malgré les moqueries récurrentes de l'homme que j'aime.

J’avais pourtant potassé les magazines de jardinage pendant des mois, que dis-je, des années, ceux avec de superbes photos colorées, des cosmos et des pivoines plein les jardins, en un fouilli méticuleusement organisé. J’avais accumulé une connaissance théorique certaine sur le sujet, j’étais fin prête pour l’expérimentation in vivo, la vraie confrontation avec un vrai jardin.

Le premier « vrai » jardin qui me soit tombé sous la main n’était qu’une malingre pelouse, cramponnée bon an mal an à une pauvrette terre de remblai, aride comme le Grand Canyon. Qu’importe, j’avais la foi. Première confrontation avec la vraie réalité du jardinage, vérification de la morale La Fontainienne «Patience et longueur de temps font mieux que force et que rage». Après une année d’efforts plus ou moins soutenus (plutôt moins que plus, avouons-le, la patience étant la moindre de mes vertus…), j’ai vu éclore un bouquet de marguerites, famélique mais néanmoins fier et droit contre le crépi de la face nord de la maison. Les autres choses semées en mars, avec toute mon affectation pourtant, avaient refusé d’être mes amies. Tant pis, d’ailleurs, nous partions sur de mauvaises bases : c’est la terre qui ne voulait pas de ce que je lui confiais. Bizarre tout de même, que le voisin n’ait pas la même terre que moi… Dis, do’teur, pou’koi ça pa poussé ?
A peine tiédie dans mes ardeurs, j’avais également fait une autre découverte : pour planter/semer, il faut creuser. Au moins un peu, quand même. Se baisser n’était pas le problème, un petit tabouret fait très bien l‘affaire. Mais… IL Y A DES HABITANTS DANS LA TERRE. Ahan. Et pas n’importe lesquels. Les pires. Phobique je suis. Pétrifiée devant tout ce qui n’a ni-pattes-ni-ailes-ni-nageoires… vous me suivez ? (et on s'épargne la psychologie freudienne à deux cesterces qui dit que... hein !) De l’anaconda à l’asticot, en passant par la couleuvre et le lombric… même la limace. Et l’escargot baveux. Et dans un jardin, impossible de faire l’impasse d’une telle cohabitation.

De guerre lasse, je m’en suis allée voir si l’herbe était plus verte ailleurs, sous les embruns de la Côte d’Opale. Alors, j’ai élargi ma connaissance livresque des plantes de bord de mer et j’ai tellement hésité sur celles à mettre au jardin sableux que le temps s’en est filé, le vent de la Manche a emporté mes quelques espoirs de hampes graciles.

Jamais démoralisée, j’ai conservé mon envie intacte en sommeil, en jachère. Pendant ce temps, j’ai continué de suivre les expériences maternelles avec beaucoup d’intérêt. Par exemple, je protège ma planète, comment se passer d’anti-pucerons chimique ? Et là vous répondez en cœur : « la coccinelle !» Pour ses rosiers, ma mère est allée, munie d’un petit filet à papillons, sautiller dans les prés à la cueillette des coccinelles ; ou alors elle est allée consciencieusement acheter une petite boite de coccinelles chez le marchand. Eh bien non, moi aussi je croyais ça. Mais ce sont les larves de coccinelles qui se nourrissent de pucerons, si vous comptiez adopter un troupeau de jolies bêtes à bon Dieu rouges et noires, ôtez vos illusions citadines. La larve de coccinelle est nettement moins élégante. Une fois déposé à l’aide d’un pinceau sur le rameau infesté le translucide machin (comptez bien une heure de labeur, de bons yeux bien efficaces, restez bien concentrés, surtout), vous n’avez plus qu’à allumer un cierge en espérant que

1/ il ne pleuve pas dans l’heure qui suit,
2/ qu’il n’y ait pas un coup de vent dans la demi-journée,
3/ qu’un malicieux oiseau ne vous ait a pas vu lui dresser la table du festin.
Sinon, adieu veaux vaches cochons !

Par la suite, j’ai à nouveau mis en pratique mes super talents et je m’étais vaillamment lancée dans une première pour moi : le jardin potager. Aaaah, régaler sa famille de légumes frais cueillis, de salades croquantes au bon goût de salades, de courgettes dodues et de radis roses et charnus. VANITE, TOUT CELA N’EST QUE VANITE ! Jeune Padawan, le jardinage t’apprend une chose, primordiale, indispensable : la PATIENCE. Que la force soit avec toi jeune Jedi, plus long ton chemin est, plus grande ta force sera. Ensuite, il te faudra faire preuve d’humilité, lorsque bataille tu devras livrer contre les hordes invisibles des limaces gloutonnes du côté obscur, qui attendent que tu dormes du sommeil du juste pour anéantir TOUS tes efforts. Et encore de la patience… patience toujours … et humilité encore et à l’infini. Tu ne domptes pas la terre, c’est elle qui te matte. Tu sèmes, et tu attends. Tu attends… tu attends… tu attends que ça veuille bien avoir l’aimable obligeance de daigner sortir de terre, de pointer un bout de feuille tendre.

Ainsi, nous avons semé du gazon fin novembre. Fin novembre, dans une région où il commence à geler 15 jours plus tard, ça n’est pas vain du tout, non non non ! Et j’apprends le véritable sens de l’expression « regarder pousser l’herbe ». Jamais je n’ai passé autant de temps à regarder, émue, pousser MON herbe, chercher dans la graine à terre le frisotti de germe qui fait dire que « mais non, Chéri, ils nous ont pas vendu 15 kgs de graines mortes, regarde, là, là, mais siiii, là, regarde bien ! » Et de m’extasier un après-midi sans crainte du ridicule « regaaaaaaarde !! ça pouououousse ! » comme devant la première crotte au pot du petit dernier.

Dans mon grand élan, je m’étais dit que je ferais bien un composteur. Ma mère, toujours elle, en guise de pré-Noël, vient de m’offrir un livre riches d’enseignements, « Jardiner bio, c’est facile ». Et là, on te montre comment tu peux fabriquer ton composteur toi-même avec des palettes, si si. Et d’appétissants schémas indiquent les différentes étapes de mûrissement du compost. Etape 1, ça chauffe, ça monte entre 50 et 60°C, ça fermente, ça pourrit , quoi, ça se décompose. Jusque là, ça va, je peux supporter, il suffira de mettre le composteur au coin du jardin, juste à coté de la futur piscine de la maison hollywodienne de notre futur voisin (je n’y peux rien , c’est le seul endroit de MON jardin où logerait un composteur sans altérer la vue que l’on a depuis le canapé…). Etape 2, il commence à y avoir des bêtes dans le mélange, des insectes tout aussi, semble-t-il, divers qu’utiles…à ce stade, l’affaire me contrarie un peu … Etape 3, les lombrics grouillants, princes des jardins et rois des composts, sont à l’œuvre pour fabriquer le bon humus. Là, c’est trop fort pour moi, niveau 3, je capitule, je me reconnais petite joueuse. Je vois, en feuilletant dépitée, ledit ouvrage , que l’on peut acquérir un composteur à 3 sections (une par étape), pas plus gros qu'une grosse poubelle, aaaaah, voilà qui me va… mais une lecture plus approfondie me signale qu’ils peuvent être déjà « garnis de lombrics » !! On n'y échappe donc pas...

J’ai jusqu’au printemps pour me débarrasser d’une phobie et me lancer dans la lombriculture intensive en guise de thérapie ou alors… renoncer encore une fois à recréer le jardin de Monet à Giverny à mon domicile…

"Calme. Ressens ce que tu vois autour de toi. La patience et la faculté de raisonnement d’un Jedi sont ses meilleures armes."

Oh, merci Maître Yoda !

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mardi, décembre 12, 2006

Amie fid'Elle

- ...

- Ouh là, oui, ça fait un bail… depuis bien avant la naissance de nos enfants. C’était la nouvelle copine de T., un type de la bande. Je vous plante le décor : une bande de copains, le noyau dur de 5-6 gars, greffés de leurs copines du moment. Elle, c’est la dernière arrivée, après le groupe s’est stabilisé, pérénisé. Hahahha, non, perénnisé n’est pas le bon mot du tout… excusez-moi, ça me fait rire.. hmhmhmmhmh… ! Oui, bon, c’est drôle comme le monde est petit, elle était au lycée avec la moitié d’entre nous mais on ne se fréquentait pas à l’époque , c’est vrai que si T. ne nous l’avait pas présentée a priori il n’y avait aucune raison pour qu’on accroche plus que ça.

- …..

- Si si si, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. On s’entendait bien, elle était sympa. Mais elle ne parlait pas beaucoup. Nous on était une bande de fêtards, les garçons se connaissaient depuis l’adolescence, on avait déjà fait plein de trucs ensemble. Elle ne parlait pas, elle restait assise dans son coin, elle n’allait pas trop vers les autres mais elle discutait bien en tête à tête. Je crois que c’est le monde, les grandes assemblées qui la rendaient muette, elle devait être timide et nous devions l’impressionner. Surtout ça faisait bizarre de le voir avec elle, lui l’extraverti total, très « show off », le mec qu’il fallait inviter en soirée pour mettre l’ambiance, avec elle, une nana si discrète. Et puis bon, faut dire ce qui est, jusqu’à présent il ne nous avait pas habitués à ce genre de filles, les autres étaient plus… comment dire… des poupées, quoi, des talons , des jupes bien courtes, gentilles aussi mais pas le même genre du tout ! Et là tout d’un coup tout le monde s’est dit « celle-là il va pas la lâcher comme ça, il tient le bon bout »

- …

- noooon, mais au moins cette fille allait lui mettre du plomb dans la tête, le stabiliser un peu. Et puis on a appris à la connaître, nous la bande-bis, la bande des filles, on a commencé à sympathiser toutes ensemble. Bien sûr, on était moins soudées que les garçons, après tout, nous étions là par hasard, on va dire. Effectivement, il s’est stabilisé, il a pu garder un boulot plus de 3 mois, et sa copine était toujours là au bout de 6 mois. Ils ont tout de suite parlé de se marier, pour nous tous c’était bon, c’était une affaire qui roulait. Petit à petit on s’est tous installés en couple, les enfants sont arrivés, tous la même année ! Finalement on a toujours tout fait ensemble au même moment !

- …

- non, rien, rien du tout. On ne pouvait rien voir, ça allait bien chez eux. Ils ont eu 3 enfants, comment on aurait pu penser à un truc pareil ?! Après coup peut être des indices infimes, si, mais sur le moment ça ne voulait rien dire… tenez, par exemple, nous faisions des soirées déguisées, pour le Nouvel An ou pour n’importe quel autre prétexte à fête. Donc, chaque fois il se déguisait en fille. On ne peut tout de même pas suspecter tous ceux qui se déguisent pour une soirée costumée, tout de même. C’était fou, vraiment, le cœur qu’il y mettait, il poussait le truc jusqu’à se raser bras et jambes, je le maquillais, ça lui allait très bien. Bon, comme ça peut aller à un mec taillé comme un bûcheron, hein , ce n’est pas un mec menu et androgyne du tout, c’est pour ça que... quand même, ça n’est pas très crédible ! !


- …

- ben non, elle ne disait rien, elle ne participait pas au déguisement de son mari mais elle s’exclamait aussi au final. Après ils sont partis dans le nord, on a commencé à moins se voir mais à plus se téléphoner. C’est là en fait qu’on a sympathisées, elle et moi. Comme quoi, parfois il faut être loin des gens pour les apprécier ! Chaque fois qu’ils redescendaient c’était des retrouvailles. Et mieux je la connaissais, plus je me demandais ce qu’elle faisait avec lui. Pas l’inverse, je savais que lui avait trouvé la bonne personne, elle assurait la stabilité, lui était en fait resté égal à lui-même. Immature, finalement. Tous les garçons de la bande, avec l’âge se sont plus ou moins assagis, responsabilisés, du moins. Lui, tel il était quand je l’ai connu à 20 ans, tel il était encore 10 ans plus tard. Petit à petit on a commencé à devenir vraiment proches, F. et moi. Dans mon couple ça n’allait plus très bien, quand on en parlait avec les autres filles on se rendait compte qu’on était toutes à peu près au même point. La bande de copains ça va quand on a 20 ans, quand on en a 30 et plus, des enfants, un boulot prenant, on a plutôt envie d’être tranquille le week end entre nous. C’était encore comme si nos hommes ne pouvaient pas se passer les uns des autres, nous étions là pour préparer les sandwich pour leurs randos en VTT et laver les vêtements au retour ! Et puis, les vacances tous ensemble aussi, ça va un temps ! Faire des enfants au même moment, s’acheter les mêmes voitures…pfff !

- …

- oui, on est partis avec eux aussi, une ou deux fois. Oui, deux fois. C’était avant qu’ils ne déménagent.

- …

- ça avait l’air d’aller, c’était le début de leur histoire aussi… Bref. Il y a 6 ans j’ai quitté mon homme, j’avais besoin d’air, besoin de me retrouver. La bande la bande… j’avais pas épousé les copains. Lui si… C’est drôle, je n’ai gardé de contacts qu’avec les filles, les mecs ont resserré les rangs pour avoir moins peur, comme si tout d’un coup ils réalisaient que leur femme n’allait pas forcément passer sa vie à les materner. Et c’est là qu’elle a commencé à me dire qu’elle en avait ras-le-bol d’avoir un 4è enfant adulte. Elle est venue me voir une fois, les enfants ont joué ensemble et elle m’avait dit que son mari avait peur que je lui mette de mauvaises idées dans la tête, fréquenter une nana qui a quitté son mari c’est contagieux, c’est subversif ! Non mais franchement ! N’empêche, ça nous a bien fait marrer, ils sont naïfs parfois ! Et puis je n’ai plus eu de nouvelles, je crois qu’elle avait vraiment la tête dans le guidon. Moi je me dépatouillais avec la garde alternée difficile à mettre en place, avec le costard que mon ex était en train de me tailler pour me punir, bref, on avait chacune nos soucis qui nous collaient aux bottes.

- …

- C’est elle qui m’a appelé un jour, ou elle m’a envoyé un SMS, je ne sais plus. Elle m’a dit qu’elle partait aussi et elle me demandait si j’allais bien. J’ai aussi reçu un coup de fil de T., il ne m’avait jamais appelé, et là il me demandait si j’étais au courant pour F., si je savais qu’elle le trompait, si je le connaissait. C’était très glauque et j’étais très mal à l’aise. J’ai pas osé l’envoyer bouler mais j’aurais du, vraiment. C’est par mon ex bien plus tard que j’ai su la voie qu’il était en train de prendre, se travestir, vouloir même se faire opérer… j’ai tout de suite pensé aux enfants, ça m’a fait peur pour eux, pauvres gars. N’empêche, personne n’a rien vu venir, du moins pas ça, je savais bien qu’elle n’était pas très à l’aise dans son couple mais bon, on peut toujours redresser la situation si les deux font un effort, s’ils le veulent , s’ils s’aiment encore… Mais qu’il parte dans ces délires-là, non, on est tous tombés de haut ! on s’est même dit avec Véro que ça pouvait être une sorte de chantage désespéré de sa part à lui, il avait tellement à perdre en termes de confort de vie au quotidien que je pense qu’il aurait été prêt à n’importe quoi pour que rien ne change.

- …

- oui, bien sûr qu’on est restées en contact, elle et moi. D’ailleurs, les filles de la bande sont toutes restées en contact entre elles, mec ou pas mec ! lui je l’ai revu une fois à une soirée, l’année dernière, franchement c’était pitoyable. Il parait que ça lui est passé en ce moment mais ça le reprendra, c’est sûr. Avec elle on s’était vues la veille de son accouchement, ça remonte à un bail quand même, heureusement qu’il y a les mels pour garder le contact ! Il faut qu’on se fasse une bouffe un jour proche, oui oui, il faut qu’on s’en occupe ; mais bon, entre nos obligations respectives ce n’est pas facile. Moi j’ai repris les répétitions, il y a aussi les ateliers que j’anime, après ce sera le marathon des représentations… les mercredi je les garde pour mes garçons. Elle c’est pareil, timing ric-rac mais on va y arriver, y a pas de doutes. Elle a l’air bien maintenant, ça bouillonne dans sa nouvelle grande famille, ça brasse !

- …

- Ah oui, y a pas photo, elle a l’air bien mieux maintenant ! Il faut que je lui envoie un mel, qu’on essaie de se faire un truc avec nos enfants pour les vacances de Noël . Je vais lui demander à quel moment elle a les enfants, on les emmènera faire du ski ensemble. Et je vais appeler Véro aussi, faut qu’on se fasse à nouveau truc toutes les trois.

- …

- Mais je vous en prie. Si vous la voyez avant moi, faites-lui de grosses bises, dites-lui la première qui appelle l’autre.. !

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dimanche, décembre 10, 2006

Joli dimanche






Temps gris, la brume s'accroche aux montagnes toutes proches, le brouillard n'est pas loin...
L'herbe semée au jardin commence vaguement à pousser, en tâches pelées sur la terre lourde et noire
Maison calme et chaude,
Les enfants sont dans leur chambre, en état d'hibernation
Trainé au lit avec petit déjeuner copieux en amoureux et wifi sur portable
Quelques contrariétés qui n'empiètent même pas sur une journée qui a bien commencé
De la musique à danser
Une douche brulante à prendre et un porc au caramel à préparer pour 12 personnes,
Des cadeaux d'anniversaire à emballer et le champagne est au frais.

Bon dimanche à vous aussi.

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mardi, décembre 05, 2006

Angèle










l'image vient de

Enfin, j’ai pu le faire. Tu vois, ça y est, je suis venue.

Il m’a fallu des mois pour trouver l’élan. Pourtant, de nous tous je suis celle qui est la moins loin. Même ceux des antipodes sont accourus cet été, ils ont sauté dans le premier avion, les uns du Brésil les autres du Québec. Pas moi. Lâchement, je suis restée à ma place, confortablement aveugle. Bien sûr, pendant plus d’un an j’ai trouvé mille prétextes. Tout le monde a fait semblant d’y croire. Lâchement, j’ai profité des bienfaits de la technologie pour t’envoyer chaque mois un bouquet frais déposé par coursier. Mais ça n’a pas suffit à faire taire ma conscience.

Il m’a fallu des rappels, «tu sais, elle aimerait bien voir la petite » ; pour un peu j’aurais répondu «si ce n’est que ça je te la prête et tu me la ramènes demain». Bien sûr que non. «Oui oui, je vais y aller…» Mais quand ?! J’ai repoussé, passé plus de 60 week-ends comme on joue à saute-mouton. Seulement, voilà, je suis lâche. Très très lâche et je le sais, je le reconnais et je fais avec. Mal, mais je fais avec. Seulement voilà, j’ai du mal avec la mort imminente, la vie qui s’éteint à vue d’œil et ceux qu’on aime qui s’en vont par petits morceaux… Chaque fois que je te vois, je perds un peu plus le souvenir de toi. Non, ça n’est pas tout à fait ça. Chaque fois que je te vois, tu t’éloignes un peu plus du souvenir que je conserve. Et lorsqu’à intervalles réguliers tu sombres encore un peu plus, de mon coté je fais un pas en arrière.

Pour me retrouver au chaud avec mes souvenirs, lorsque de tes petites mains rondelettes tu me confectionnais des «poupées de pâte», ces éphémères poupées de chiffon faites en un tour de main magique avec le torchon de la cuisine, les goûters de biscuit de Savoie maison fourré de confiture d’abricot maison, toujours trop sucrée, accompagnée de limonade en bouteille de verre diluée d’eau «faut pas boire trop gazeux c’est pas bon», la polenta sauce champignons-lapin ; même les moments où je rageais intérieurement, lorsque je devais faire l’animal de cirque devant tes copines venues pérorer et présenter également leur descendance de sexe opposé «tiens, un conscrit à toi, ben soye pas timide, fais lui la bise, allons don’ ! » et pour vanter la marchandise, ta fierté, j’avais 14 ans et tu exhibais mes bras caramel aux voisines, «regardez comme elle est belle, mais regardez-moi ça ! Ah ça elle est pas grosse, si elle voulait bien s’emplumer un peu…sinon y en aura point un qui voudra d'elle», devant un adolescent cramoisi qui n’allait plus ouvrir la bouche de tout l’après-midi.

Ce sont ces moments-là que je veux conserver, comme ces dizaines de pull-over à torsades et col V que tu nous a tricoté à tour de bras, et leur cohorte d'écharpes assorties («ça me gratte, mémé, et j’ai trop chaud», «mais, dis pas n’importe quoi, c’est de la 100% pure laine, ça gratte pas la bonne laine »), unis ou à rayures (le plus souvent à rayures, «c’est plus joli avec de la couleur ») jusqu’à nos 20 ans (voire plus tard pour celles et ceux d’entre nous qui n’osaient pas dire non…). A Noël, pour te faire plaisir, nous arborions tous notre pull, accompagné de notre plus beau sous-pull en jersey, une superbe brochette de cousins-cousines tous vêtus de la même façon autour de la bûche praliné («parce que le chocolat ça se digère pas bien»).

Je garde tout ça, et beaucoup d’autres choses encore, tes bras consolateurs, ta petite maison de cité ouvrière qui nous a accueillis après qu’un matin de janvier, un avion nous a déposé à Lyon, avec juste une valise de T-shirts pour refaire notre vie et fuir une dictature …

Je garde aussi tes bons conseils, si judicieux, «une femme, faut qu’elle fasse des études, pour être indépendante», assorti de «mais faut qu’elle fasse quand même un bon mariage avec un gars travailleur, pas un bon-à-rien qui lui bouffera la laine sur le dos».
Je garde en mémoire tes coups de gueule qui souvent dépassaient ta pensée, tes histoires de voisine «va pas parler avec la M., sa grand-mère c’est une faiseuse d’histoires». Avec M. on se donnait rendez-vous au bout de la rue, pour ne pas faire d’histoires, ni peiner nos grand-mères.

Petit à petit, l’usure a eu raison de toi. Elle a commencé par s’attaquer à ta mémoire. Subtilement. Discrètement. De quoi faire de ton quotidien toute seule un danger. Et quand ça n’a plus été possible, à ton corps défendant, tes enfants t’ont trouvé un bel endroit, la mort dans l’âme, dans un parc qui surplombe la vallée, au milieu des rosiers, des tilleuls, des oliviers… et d’autres pensionnaires guère plus vaillants. Petit à petit, l’érosion fait son office, la nature poursuit son œuvre d’anéantissement. Elle t’a ôté l’usage d’un bras ; puis des jambes ; puis de l’autre bras ; en même temps ta mémoire et ta parole s’émoussent. Irrémédiablement.
Cet été nous avons tous cru que… d’ailleurs, ils nous ont dit « pas la peine de la transporter à l’hôpital ».
Fille de la Grande Guerre, tu es solide. Je le sais. Tu as toujours voulu faire croire que tu étais une petite chose fragile mais moi, je voyais ta force dans tes yeux sombres comme les yeux en bouton de mon nounours. Dans tes yeux qui pouvaient se couvrir d’orage en un quart de seconde, lancer des éclairs d'apocalypse qu’il n’y avait pas besoin de mots. D’ailleurs, ta douzième arrière-petite-fille a tes yeux foudroyants.

La semaine dernière, un événement m’a enfin donné la force de venir. Peut être pour la dernière fois. Je ne t’ai pas reconnue tout de suite et j’en suis encore toute contrite. Tu étais avec d’autres pensionnaires dans la grande salle face à la forêt. Mes yeux ont fouillé les fauteuils, fouillé encore… «ah mais elle est là, Mme R.», a finit par me dire une aide-soignante (je ne sais pas si c’est comme ça qu’on les appelle.) Effectivement, mon regard avait zappé le gros fauteuil roulant (pas possible, ça ne pouvait être toi là-dedans), avec la toute petite chose pliée en deux, courbée. Les mains noueuses étaient croisées sur la couverture de crochet, le visage penché sur les genoux, les bras de guingois et les épaules de traviole. Je me suis approchée, accroupie et je me suis présentée en te caressant la joue. Je ne suis pas sûre que tu m’aies reconnue tout de suite, mais tu as reconnu ma fille et tu l’as présentée à l’assistance, ton douzième petit lutin. Et tout de suite tu m’as regardé d’un air de supplique, et dans la lucarne de lucidité que te laisse parfois la maladie, tu as dit tout bas, en articulant bien, en agrippant tes mains aux miennes,
«Vivement que ch’foute le camp d’ici ! »

Et je sais bien que tu ne parlais pas de rentrer chez toi, dans la petite maison des papeteries Navarre. Mais j’ai fait semblant. Et depuis dimanche je suis muette.

ça t’coupe la chique, hein ! tu m’aurais dit en d'autres temps.

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vendredi, décembre 01, 2006

The show must go on...

Quand Sœur Anne en a parlé, j’avais déjà l’idée en tête d’un billet sur les usagers de la route, mes co-routiers de tous les jours. Et puis un billet en entraînant un autre, l’idée est restée de coté. Mais aujourd’hui le sujet s’impose brutalement à moi.

Depuis plus de quatre ans, j’emprunte tous les jours la jolie route qui serpente à travers les vignes, une petite départementale étroite mais pas si confidentielle que cela, qui longe l’autoroute sur dix kilomètres entre les massifs des Bauges et de la Chartreuse, nous fait économiser 1,65 euros par trajet. La petite route tournicote, entre vignobles de Savoie et chevaux qui paissent ; des juments et leur petit qu'on voit pousser au fil des jours, des ânes, des vaches qui sortent la tête de leur champ, de l'autre coté des barbelés, pour brouter l’herbe du bas-côté, certainement plus goûteuse. Il est même arrivé de voir des daims, transplantés temporairement par un propriétaire à la grande demeure toute proche. Des renards et des lièvres, souvent. A chaque début de printemps un héron, toujours au même endroit, annonce à l’automobiliste un peu observateur que l’hiver s’achève.
Et tous les matins je m’emplie de ce paysage, de sa quiétude, de cet apaisement que me procure la montagne. Je suis fille de la roche comme d'autres sont filles de la mer. Sous ses allures débonnaires, cette petite route de campagne est impitoyable pour qui la prend pour autre chose que ce qu’elle est.

Toutes les années, des drames s'y étalent. Plusieurs fois par an, dans la précipitation du matin, l’automobiliste oublie que ce n’est qu’une petite route de campagne ; alors les pneus crissent, les tôles se froissent, les pieds de vignes se brisent, la terre se ravine… dans le meilleur des cas. Je ne vais pas me lancer dans l’énumération morbide de ce que j’y ai vu en quatre années… les marques à la peinture orange sur le bitume témoignent des différents points d’impact, ou des points de chute. Hier mon sang encore une fois n’a fait qu’un tour lorsque j’ai déposé mon lapin chez sa nounou et que j’ai entendu le concert des sirènes… il en vient rarement, sur cette petite route de campagne, sauf quand… En passant, j'ai aperçu les ambulances, les voitures de gendarmerie, les camions de pompiers. Je les ai vu s'affairer...

Hier matin, un garçon de seize ans y a perdu la vie, en scooter, percuté par un motard trop pressé… Il était du village qui jouxte le notre, celui dont nous venons de déménager mais où il nous reste nos habitudes et nos amis, celui où mes enfants vont encore à l’école, où ils y ont tous leurs copains, d’où mes collégiens prennent le car de ramassage. Mon fils le connaissait, il prenait le car avec lui l’an dernier. «Il était trop sympa, il était super gentil», m'a-t-il dit dans la voiture. Et puis il a appuyé sur ses yeux avec la partie charnue de ses paumes, il a gardé le visage tourné vers la fenêtre tout le temps de trajet de retour à la maison, hermétique et le regard fixe. J’ai vu sa mâchoire se crisper. Tough guy. «Il est venu nous dire bonjour samedi à la récré, il est passé chercher son brevet. En fait c’était la dernière fois que je lui serrais la main et je ne le savais pas.» Tu vois, mon poussin, je ne veux pas t’acheter de scooter, ce n’est pas que je n’ai pas confiance en toi… «ben alors t’as qu’à m’acheter une mobylette… naaaaan, j’rigoooooole… » Arrivés à la maison, il m’a laissé le prendre dans mes bras, respirer à fond, le nez dans ses cheveux, il a même posé sa tête sur mon épaule quelques secondes (oui, il devient plus grand que moi…) oui maman, ça va.

Plus tard dans la soirée, en montant faire un bisou à chacun des poussins de ma nichée endormie, mon cœur s’est douloureusement serré. Comme il s’était serré lorsqu’au retour en fin d’après-midi je suis repassée, en ralentissant fortement comme par respect, sur les flaques de sable étalées sur l’asphalte. Bien maigres témoins.

Le mois dernier, la fille de ma meilleure amie perdait un camarade de collège, fauché à vélo par un chauffard ivre, quelque part dans le Ternois… il y a six mois, ma belle-fille perdait trois camarades de lycée qui venaient d’étrenner leur permis tout neuf un après-midi après les cours. Et il y a tous les autres, tous les jours, partout, qui se donnent l’illusion de l’immortalité dès lors qu’ils manient une automobile. Ou une moto. Plus de 5 000 personnes chaque année en France dont la mort ne doit rien à la fatalité.

Non, décidemment mon poussin, s’il était besoin de le redire, tu n’auras pas de scooter. Et tant qu’on y est, je vais ranger ton vélo. Et ton skate board. Et te garder bien au chaud à l’abris dans la maison, tu n’en sortiras plus.

Comment ça c’est pas possible ?

Absente ce week end, pas de surfbloging pour moi. Je viens de me décider à aller enfin voir ma grand-mère de 93 ans qui se termine par à-coups, d’AVC en accident vasculaire cérébral, dans une maison de retraite quelque part à l’ombre des oliviers.

Before it’s too late

Accessoirement , c’est ma fête aujourd’hui. Très accessoirement…

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