dimanche, janvier 28, 2007

5 choses...



Je réponds à l'invitation d'Isadora,

5 choses que vous ne connaissez pas de moi...

1/ Vous vous demandez certainement depuis tous ces mois à quoi je peux bien ressembler physiquement, vous souhaitez mettre un visage ou une silhouette sur des blogomots... Voilà, je suis un mélange de Gwyneth P. l'actrice et de K. Moss le mannequin, grande, mince et blonde. Et de Sade aussi (pas l'écrivain !), de la chanteuse Diam's et de Monsieur Spock (le pote de Capitaine Kirk du vaisseau Enterprise)...avec ça, faites votre marché !




2/ J'ai très peur du noir...

3/ Je suis l'arrière-arrière-arrière petite-fille d'un trafiquant d'esclaves.

4/ Quand j'avais 10 ans j'ai découpé les photos des catalogues et je suis allée les vendre aux voisins de mes parents... la honte suprême a été quand mes parents m'ont demandé de refaire le tour pour leur rendre l'argent. Je ne m'en étais jamais vantée mais quand mon ainé avait 8 ans, il a fait le tour des voisins pour leur vendre les pubs de notre boite aux lettres. Je l'ai envoyé rendre l'argent. Et je ne lui ai jamais dit que j'avais fait la même chose au même âge...

5/ J'ai un 3è oeil derrière la tête et des oreilles bioniques, c'est très pratique.

Allez hop, la patate chaude à kinenveu !
Et ce n'est pas parce que je ne désigne personne qu'il faut faire celui/celle qui n'entend pas, hein, je vais faire le tour de vos blogs pour vérifier que les devoirs sont bien faits !

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vendredi, janvier 26, 2007

Une vie de Nono : le jour de l'initiation





Je me dis des fois que ce serait bien si j’avais un grand frère au lieu d’avoir une petite sœur. Mais on ne choisit pas, d’avoir des frères ou des sœurs. On ne choisit même pas d’en avoir ou pas, d’ailleurs. Moi si on m’avait demandé j’aurais aimé un grand frère, au lieu d’une petite sœur. Comme Djess mon meilleur copain (en vrai il s’appelle Jessie mais tout le monde l’appelle Djess), il a un grand frère et parfois il ne vient pas avec moi parcequ’il est avec son frère. Ils font des trucs ensemble mais Greg (Greg c’est le grand frère de Djess, Gregory il s’appelle en vrai mais tout le monde l’appelle Greg) ne veut pas que je vienne avec eux.

Vire-moi cet abruti de là, il a dit la dernière fois, Greg. Ça m’a fait de la peine et ça m’a laissé sur place, je ne pouvais plus bouger mes jambes, mes pieds étaient comme collés au sol. J’ai juste ouvert la bouche comme un poisson je crois et … ça m’a fait comme si j’allais pleurer. Mais Greg ne me regardait même plus, il s’était tourné vers la télé. Je crois que je l’avais dérangé quand il est venu ouvrir la porte et il était déçu, il croyait que c’était quelqu’un d’autre. Alors il hurlé « Djeeeeesss, vire-moi cet abruti de lààààà ! » Et Djess est sorti de sa chambre, heureusement parceque je commençais à avoir les pieds qui pouvaient bouger et ça me faisait pschiiiit doucement dans le crâne avec comme un truc qui me poussaient les yeux hors de ma tête. Comme la fois avec JB... Même s’il est grand et costaud, même s’il a des copains qui parlent fort quand ils viennent en bas avec leurs voitures et leurs lunettes de soleil et leur musique qui joue très fort.
Mais j’ai bien pris mes cachets, vous avez vu, je vous avais dit que j’allais bien les prendre. Je fais bien attention parce que la dernière fois, je voulais pas faire mal, mais j’ai fait comme avec maman. Il m’arrive de ne pas pouvoir contrôler, les abeilles et tout ça mais c’est quand j’ai senti sa peau toute douce claquer sous ma main et que j’ai vu comme elle me regardait, c’est moi qui ai eu peur cette fois. Je le voulais pas, mais c'est arrivé quand même. Elle sait pourtant ce qu’il ne faut pas faire. Ou dire. Mais c’est plus fort que moi.

Djess, c’est mon meilleur ami, il dit que je fais mon Hulk et qu’il va m’offrir des chemises élastiques. Je l’aime bien Djess mais j’aime pas quand il dit ça pour se moquer. Il me connaît bien, Djess, on n’est plus au collège ensemble parce que je suis parti ailleurs et quand ça me vient, il se met en boule par terre avec ses bras sur sa tête et il bouge plus. Après je lui dis « lève-toi Djess t’es débile ou quoi, je vais pas te tuer ! » Alors il lève les yeux, il me regarde d’un drôle d’air, toujours le même regard chaque fois et quand il se lève il parle doucement et il dit «c’est pas grave, je sais que tu fais pas exprès, c’est pas de ta faute »

C’est pour ça que je l’aime bien, Djess, il ne m’a jamais dit t'as eu un accident de poussette ou t'es un résidu de bidet comme les autres me disent. Je sais pas exactement ce que ça veut dire mais je devine que c’est méchant, à la façon dont ils le disent en rigolant tous.

Avec Djess on va chez lui quand son frère n’est pas là et on joue à W.O.W sur l’ordinateur de Greg. Nos personnages préférés c’est des orcs et des morts-vivants, des fois on a aussi des voleurs et des guerriers. Mais on ne peut pas jouer très longtemps, Djess a toujours peur que son débile de frère revienne. D’autres fois, on reste dans la chambre de Greg quand même et on fouille un peu. Il y a toujours des trucs chouettes dans les chambres des grands frères, c’est aussi pour ça que j’aimerais bien avoir un grand frère au lieu d’une petite sœur.
Un jour on a trouvé une boîte en métal toute plate avec des petits trucs dedans, on aurait dit des boulettes, ou des toutes petites crottes toutes molles, c’était de la même couleur et ça avait une odeur terrible. Il est courageux, Djess, il m’a dit « tiens mâche un morceau », il a en pris un il l’a mis dans sa bouche pas dégoûté et il a commencé à mâcher. «vas-y, prends, goûte, tu vas voir, c’est drôle». Mais ça avait surtout un mauvais goût, j’ai pas trouvé à quel moment c'était drôle, j’ai failli recracher mais Djess m’a dit non t’es fou au prix que ça coûte ! Je savais pas que ça coûtait cher la crotte de bique. Djess a dit attends pour faire passer le mauvais goût y a un aut' truc et il est allé chercher une bouteille dans la cuisine. Au début on aurait dit de l’eau c’était de la même couleur mais c’était tiède et un peu épais, pas comme de l’eau. Et avec une belle étiquette dorée, ils mettent pas des étiquettes dorées sur les bouteilles d'eau, même les bouteilles en verre. On s’est assis par terre tous les deux dans la chambre de Greg et on a bu pour enlever le mauvais goût des crottes de bique. Au début ça m’a brûlé la bouche la langue les dents j’ai ouvert la bouche en très grand en faisant haaaaaaa haaaaaa comme pour lancer des flammes pendant que mes yeux me piquaient de larmes. Finalement ça a tout chauffé à l’intérieur de moi, la bouche la gorge l’estomac même les poumons je sentais, et les oreilles aussi. Du coup j’ai pu en reprendre encore puisque c’était déjà tout anesthésié. La deuxième fois ça a moins chauffé, je me suis senti très très calme, comme si j’avais pris 4 cachets d’un coup. Tiens, ça me faisait le même effet que les cachets mais avec du goût. J’ai regardé Djess il me regardait aussi en riant et il avait les yeux tous brillants et les joues toutes rouges et j'avais jamais remarqué que ses dents étaient immenses comme ça. Alors tous les deux on s’est mis à rire comme des baleines. J’aimais bien ça, j’ai ri très très fort, de plus en plus fort, j’aimais bien entendre ma voix rire comme ça. Elle se mélangeait à la voix de Djess dans ma tête comme une musique.
Je crois que c’est ce jour-là que je suis rentré chez moi en volant comme Peter Pan parce que j’avais des jambes en chamallow, c’est le jour où ils avaient allumé des lumières bleues et vertes dans la rue. Quand je suis rentré à la maison ma sœur m’a demandé « pourquoi tu ris ? raconte-moi ce qui est drôle » Sa voix était bizarre, t'as du coton dans la bouche, je lui ai dit. Ma mère m’a regardé et elle a dit à ma sœur Va prendre ta douche ma poussinnette. A moi elle m’a dit Va dans ta chambre et comme je n’avais pas faim je me suis mis sur mon lit mais il s'est mis à bouger. J'arrivais pas à l'arréter de bouger, je lui ai dit pourtant mais j’étais vraiment pas bien, ça tournait aussi dans mon estomac et dans ma tête. J’ai voulu me lever pour aller à la salle de bain mais j’ai pas pu ouvrir la porte de ma chambre je crois qu’elle était fermée à clé mais de toutes façons c’était déjà trop tard.

...

Je crois que c'est la fois où j’ai attrapé la gastro.

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mercredi, janvier 24, 2007

Encore...


Mercredi 24 Janvier... tout poudré de blanc.

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mardi, janvier 23, 2007

La première !







Mardi 23 janvier, 17h35, quelque part au pied du Massif de la Chartreuse
La 1ère.


Désolée pour la photo floue, entre chien et loup, à choisir avec ou sans flash, je préfère sans. Vous aurez mieux demain, promis.


Message pour BricolGirl : je sais que tu adores alors je t'attends avec ta pelle à neige, si tu pouvais passer dégager ma voiture avant 7h45 demain matin, que je puisse aller travailler... je t'en serais reconnaissante ;-)

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dimanche, janvier 21, 2007

Doélévi

Chapitre 1

Le départ




La photo est toujours là, sur le mur tapissé de la petite pièce qui servait de salon. Dans la maison de mes grand-parents, aujourd'hui vide et froide. Elle sourit depuis 34 ans aux fleurs sculptées du lourd buffet art nouveau qui lui fait face. Juste au dessus du canapé de skaï brun. Les couleurs sont fanées, la photo avec le temps se teinte de sépia. Les deux fillettes sont vêtues à l'identique, une chasuble de jersey bleu pour l'une, rouge pour l'autre, sourire berchu pour l'une, oeil de canaille emprisonnée pour l'autre. Pour son coté pratique je suppose, ma mère nous habillait très (trop) souvent de la même façon, seules les couleurs différaient. Cet année-là, j'avais 8 ans, ma soeur en avait 5 et la photo, faite dans les règles de l'art chez un photographe grenoblois, avait trôné tout l'été dans sa vitrine Cours Jean Jaurès.


Cet été-là nous devions partir, quitter la France, découvrir ailleurs l'autre moitié de nous-mêmes. Mes parents nous avaient toujours dit «vous n'êtes pas «à moitié», vous êtes «en double», à la fois d'ici, et de là-bas». Nous avions toujours pris ça pour une chance. Deux cultures pour le prix d'une. Et cette conception a permis d'affronter et de laisser couler maintes réflexions idiotes rencontrées sur notre chemin. Je trouvais ça fabuleux, ce voyage, je n'avais pas encore empli ma courte vie de tout ce qu'il y avait d'intéressant ICI, et déjà on m'annonçait que j'allais découvrir les joies du LA-BAS, avec un ancrage identique à celui d'ICI.

Je ne me souviens pas dans quelles conditions cela nous avait été annoncé. Je n'ai pas le souvenir d'une souffrance, d'un adieu à faire aux camarades de classe (je déménageais à chaque rentrée, au grès des mutations de mes parents, je savais transformer les liens amicaux et en nouer de nouveaux sans trop de douleurs ; cette faculté m'a beaucoup servi par la suite...)


Cet été-là donc, ma soeur et moi l'avons passé, alternant entre la petite maison de citée ouvrière de mes grands-parents, la vieille maison familiale dans la forêt et ensuite, l'appartement de fonction dans l'école de mon oncle, en montagne, sur le plateau du Vercors. Pendant que notre insouciance enfantine courrait les bois, mes parents empaquetaient, encantinnaient, revendaient, donnaient, transportaient les gros objets et la Simca 1100 familiale jusqu'au bateau à Marseille... ils prenaient de l'élan pour les années à venir.


Cet été-là, ma copine Michèle et moi chantions Sheila à tue-tête en sautillant sur les trottoirs de l'avenue Navarre, Comme les Roi Mages, en Galilée, suivez des yeux l'étoi-leu du «verger», je te suivrais, où tu iras j'irais, fidè-leu comme une ombre jusqu'à destinatioooooon . Cet été-là, nous avons mangé le lapin que ma cousine avait gagné à la tombola de l'école. Sans lui dire. «C'est de la viande, Minouchette». Cet été-là, nous dévalions les pentes du pré, allongés sur le flanc, en regardant tournoyer les nuages jusqu'à l'ivresse. Le foin frais coupé égratignait nos peaux tendres et nues. Nous parcourions les bois en maillots de bain colorés et en sandalettes à la recherche des renards. Et des loups. Et accessoirement des lutins facétieux. Pour vaincre la peur. Et faire des blagues aux plus petits. Ouououououhhh, j'ai vu un truc bouger là-bas... siiiii...! Avant de disparaitre nous accroupir derrière un rocher moussu en gloussant. Nous faisions des concours de corde lisse en nous moquant des plus jeunes, patauds, pleurnichards et mauvais perdants ! Nous grimpions en douce dans le cerisier géant de la grande-tante revêche et nous crachions les noyaux contre sa porte en nous immobilisant dans le feuillage pour nous cacher !


Cet été-là, ma mère a coupé un mètre de ses cheveux. Elle était rentrée un jour les cheveux courts comme un garçonnet. Mais elle avait gardé sa voix et son odeur de maman. C'est tout ce qui m'importait. «Ce sera plus pratique comme ça là-bas». C'est mon père qui en a été le plus ébranlé. Elle n'a pas coupé les miens tout de suite. Elle le fera quelques mois plus tard, sur place, n'y tenant plus de mes gesticulations quotidiennes.

Puis l'été s'est achevé trop rapidement, mon père parti en éclaireur, ma mère restait régler les derniers détails. La rentrée là-bas n'avait pas commencée. Ici elle frémissait. Je me réjouissais à l'idée de partager pendant ces deux dernières semaines la classe de CE2 de mon cousin et de mon oncle l'instituteur. De cette courte période j'ai gardé, jusqu'à nos mariages respectifs, une forte connivence avec mon cousin et ses copains. Connivence d'enfance qui ressurgira dix ans plus tard au cours de nos soirées étudiantes et d'épuisantes courses de ski de fond sur le plateau.


Je ne le savais pas mais c'était la fin d'une époque. La joie immense de découvrir une autre branche de la famille se teintait de nostalgie pour ce que je pressentais révolu. Mais ce qui me mettait le plus en confiance c'était que j'allais, du moins le croyais-je, vivre dans un pays où je pourrai passer inaperçue, où ma couleur ne serait pas suspecte ; où l'on ne me demanderait plus «Tu es de Tombouctou ?» alors que je n'avais jamais entendu parler de ce «Bouctou» supposé être ma source. Non, je n'allais pas à Mombouctou. Pas plus qu'au Kamtchaka. J'allais juste au Dahomey. En Afrique. Vers d'autres grands-parents, d'autres cousins-cousines, un autre quotidien. Une autre moi. Une autre nationalité. M'imbiber.

Pendant les six années qui allaient suivre, j'allais me métamorphoser, traverser fillette une partie de l'histoire agitée de ce continent à l'indépendance jeune, croiser le chemin d'événements politiques marquants. Et en ressortir presque indemne.


Pendant ces six années, la petite fille de huit ans, avec ses nattes et ses boucles mousseuses, allait grandir, murir à l'ombre des manguiers, apprendre à faire des ricochets dans l'eau et à tuer les margouillats au lance-pierre.

Et à avoir peur.

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jeudi, janvier 18, 2007

Et bien alors ..?!

Personne pour remarquer ma (nouvelle) bannière animée ?! Aaaaaaaaaah ben c'est bien la peine de se fatiguer, tiens... d'aller vous chercher des meubles pour que vous soyez plus à l'aise ici.

Finalement, c'est plutôt bon signe, ça prouve que vous venez pour la cuisine, pas pour le décor !

Le Chef vous remercie.

Néanmoins, je vais tout de même continuer de meubler petit à petit...

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mardi, janvier 16, 2007

Une vie de Nono : La tempête

Photographie Ian Bitton

Je sais qu’il a raison le docteur quand il dit que c’est mieux si je prends mes cachets. C’est vrai que ça va mieux, je suis plus calme. Mais je n’ai pas envie de les prendre, enfin c’est plutôt que j’oublie parce qu’en fait moi ça ne me dérange pas de les oublier. Des fois je suis très énervé, je ne sais pas pourquoi mais il y a des jours où c’est tout coincé à l’intérieur de moi, j’ai comme des bourdonnements dans la tête, comme des milliers d’abeilles qui voudraient s’échapper. Et parfois je les laisse s’échapper mes abeilles et ça me fait vraiment du bien. D’un coup ça soulage. Mais les autres disent que des fois je disjoncte et que je deviens violent. Que je crie. Que c’est pour ça qu’il faut bien que je prenne mes médicaments, c’est même pour ça que la CPE du collège me demande chaque fois à la récré si j’ai pris mes médicaments. Des fois je dis oui mais c’est faux, ce matin ma mère avait posé le cachet rond à coté de mon bol mais elle n’a pas regardé un instant et je l’ai glissé dans la poche de mon pyjama.
Et zut, j’ai oublié de le jeter après, elle va fouiller mes poches c’est sûr elle fait ça chaque fois et elle va téléphoner au collège et un pion va venir me chercher dans la classe. Pour que j’aille prendre mon cachet à l’infirmerie. Parce qu’ils m’ont coincé de partout, verrouillé. Ils sont tous au courant, l’infirmière a une boite de mes cachets et elle m’en donne à midi avant la cantine.

Elle me tend un verre d’eau de ses grosses mains et elle me regarde boire

- Tu as bien avalé, elle me demande toujours avec son regard de rat. Elle m’énerve un jour je vais… un jour elle va me soulever la langue et me fourrer ses boudins dans la bouche pour voir si j’ai bien avalé leur saleté de cachet blanc.

Mais je suis plus malin que ça ils croient tous que je suis débile. Même Madame Lemur ma prof principale, pourtant en général elle est gentille elle ne me crie pas dessus mais parfois elle me parle comme si j’étais un demeuré. Comme la fois où Tibo m’avait tellement énervé à farfouiller dans sa trousse en reniflant que j’avais pris son compas et… l'autre nain s'est mis à braire. Elle m’a dit en parlant doucement et en articulant bien les mots « On n’est pas en cours de maths, range ton compas s’il te plait. Tiens, donne-le moi comme ça le compas ne t’embêtera plus » et elle a tendu la main en me regardant comme si elle n’avait pas peur. J’aurais pu lui planter dans la main le compas j’ai eu envie un moment mais quelque chose m’a retenu. J’ai juste planté le compas dans la table et Tibo l’a récupéré en roulant de ces yeux ! On aurait dit qu'il allait chialer. La classe était silencieuse, on entendait juste la voix de M. Colin en 109 à coté et son feutre qui cognait contre le tableau blanc.

Des fois je fais peur aux gens et même si j’ai pas envie de les frapper c’est trop facile quand ils se mettent à avoir peur ça me donne envie de les frapper. Juste comme ça, pour qu’ils aient ce qu’ils attendent. Et puis moi ça me défoule, ça libère mes abeilles. Faut pas décevoir les gens, tout le monde dit que je suis violent, caractériel, incontrôlable et instable. Alors voilà quoi, je suis ça je n’y peux rien.
Une fois, ça c’était dans mon autre collège, celui où ils faisaient tout le temps des conseils de discipline j’y ai filé une gifle à la dame du CDI. A l’époque je ne prenais pas encore mes médicaments, ils ne savaient pas encore que c’était une maladie d’être violent, je ne leur avais pas dit que j’avais déjà des abeilles dans la tête. Elle m’avait dit de me taire que si je voulais bavarder j’allais dans la cour. Elle parlait trop près de moi, je sentais son chaud et elle bougeait ses mains comme des oiseaux qui s’enfuyaient. Et je n’aime pas qu’on parle trop près, qu’on me colle. Comme dans la queue de la cantine. Je leur ai dit, pourtant, j’aime pas qu’on me colle, qu’on me bouscule, j’aime pas sentir les gens trop près. Alors la fois où dans la queue de la cantine Mélanie m’a collé je lui ai filé un coup de coude dans le ventre pour qu’elle recule. Cette chochotte elle est devenue toute blanche et elle s’est pliée en deux mais elle est pas tombée parce là c’est moi qui l’ai collé et je lui ai dit si tu mouftes je remets ça en pire. Et dans la queue de la cantine personne n’a moufté et tout le monde m’a laissé de la place. Les pions n’ont rien vu.

C’est pas comme la fois où l’ambulance est venue chercher JB juste parce que je l’avais poussé. Bon, le mur était juste derrière sa tête, OK mais c’est pas de ma faute, attends, c’est le mur qui … moi j’ai juste poussé un peu comme ça… Il a valsé contre le mur et il est tombé comme un sac. Pouf. Il m’avait insulté il avait encore dit comme les autres que j’étais tombé du landau quand j’étais bébé et que mes fusibles avaient grillé. Alors je l’ai poussé un peu avec mes deux mains sur ses épaules. Si, juste un peu comme ça, attends…j’avais pas vu le mur derrière, lui aussi il avait qu’à… tu me crois pas que j’ai pas poussé fort ? T’es en train de penser que je mens c’est ça ? Tu vas croire JB un mec que tu connais même pas et moi je te raconte mon truc et tu ne me crois pas… Si si je vois bien que tu ne me crois pas, comme tu me regardes, je sais quand les gens pensent le contraire de ce qu’ils me disent Et puis arrête de reculer putain je t’ai déjà dit que … hé, arrête de faire des yeux comme ça sinon c’est là que je vais t’en coller une !


Je suis désolé. Je sais, c’est mieux si je prends bien mes cachets. Surtout le matin. Oui je sais, à seize ans je dégage. Mais j’aime bien venir en cours, moi. Apprendre des trucs. Je ferai quoi après tout seul chez moi ? Non, ma mère vous a déjà dit pas en institut spécialisé, y a que des débilos là-bas. Et moi je suis pas comme eux. Je suis juste un peu énervé quand je prends pas mes cachets. Mais là je vais bien les prendre, je vous promets.

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mardi, janvier 09, 2007

Epilogue d'Elle (2/x)

Retable du Villaret à Montgirod (photo extraite de )





Baby Doll


Il était assis face à la salle, le dos contre le mur de lambris vernis. Au-dessus de lui était accrochée une grande gerbe de blé décorée de fleurs en mousseline, à ossature fil de fer. Les mêmes fleurs aux improbables couleurs que celles qui composaient les chemins de table, piquées dans de petits pots de faïence blanche à anses et au ventre rebondi. Il avait d’un geste posé sur la table voisine le bouquet champêtre factice et poussiéreux, le cendrier de verre fumé et le serviteur huile-vinaigre de métal chromé. Il avait dégagé la table pour mieux faire circuler ses mains, à la recherche des siennes à elle. Ils s’étaient arrêtés dans l’unique pizzeria d’une petite ville de la Tarentaise qui tenait plutôt du gros bourg . " La capitale historique de la Tarentaise ", vantaient les prospectus touristiques. "Au pied des grandes stations de ski et du Parc Naturel de la Vanoise".

C’est un peu par hasard que leur ballade les avait déposés là, au terme d’une journée à la rencontre des vieilles pierres religieuses, des retables baroques et des tabernacles de bois doré. Une douce journée de septembre mais qu’elle vivait sur la pointe des pieds. Ils avançaient ensemble depuis six mois, lui reculait parfois. Seul. Cette histoire toute neuve, il la trouvait trop forte, trop colorée, trop lumineuse, trop subite. Effrayante. Mais à son corps défendant il en avait besoin. Il avait un besoin vital d’elle, alors même que parfois il tentait de fuir, se réfugiait dans sa grotte mentale, laissait résonner le téléphone dans la pièce, lui disait «non pas demain…», lui disait «je ne crois pas que…». Luttait contre le manque d’elle, ce sentiment tout nouveau et incontrôlable. Désagréable parce qu’incontrôlable, lui toujours maître de ses émotions, de ses sentiments, de sa vie. Depuis quelques mois d'ailleurs, tout lui échappait. Ce en quoi il croyait , ce qu’il avait mis tant d’énergie à bâtir, comme on construit sa vie pierre par pierre, laborieusement, comme un vaillant petit maçon. Alors bon, s’il pouvait reprendre tout ça en main, redevenir le maître de ses sentiments, de son chemin personnel, ce serait bien. Ce serait un pas de fait sur la voie de la guérison. Il lui fallait reprendre tout ça de main d’adjudant, mettre une bonne couche d’emplâtre à l’oubli sur la douleur et la nave va.
Mais voilà, il n’en était pas ainsi. Du moins, les choses ne prenaient pas ce tour-là du tout. Qu’est-ce qu’il avait eu cette envie de prendre des nouvelles ! Et il s’était, comme Alice dans le tunnel, laissé glisser, happer sans réagir. Pour voir. Après tout, ça n’était pas si désagréable. Mais à présent il réalisait qu’il ne pouvait plus détacher ses pensées d’elle. Elle restait là, en surimpression, partout, tout le temps. Parfois alors il ruait, il prenait du large. « Au bout de ton élastique», disait-elle, patiente. «Et lorsque l’élastique reviendra à son point initial, je serai là». Sûre d’elle, présomptueuse, orgueilleuse «Je sais que c’est toi pour moi et moi pour toi». Le pire c’est qu’elle semblait avoir raison, la bougresse. Elle semblait mieux le connaître et le comprendre qu’on ne l’avait jamais fait. Pis, elle semblait lire dans ses états d’âme. Comme lui en elle.

Ils en étaient là de leurs découvertes ce dimanche de septembre, attablés dans une pizzeria au décor faux rustique montagnard. Même la clarine, cette grosse cloche que portent les tarines dans les pâturages, était accrochée sur l’un des murs. Art populaire local. Avec le moule à beurre en bois d’épicéa sculpté, la grolle conviviale et la poterie vernissée.

Tout à trac - était-ce la tendresse de la journée, l’ambiance romantique de la bougie près des verres à pieds, ses mains dans les siennes, le Porto…- il lui dit :

- Est-ce que tu as envie de faire un enfant avec moi ?

(Tu parles, Charles !)
Elle était dos à la salle, elle ne pouvait même pas laisser divaguer son regard sur les autres clients pour diluer le choc. Elle n’avait que ses mains dans les siennes et la gerbe de blé sur le mur pour se noyer le regard. Ses yeux à lui en face d’elle. Imploser. Elle implosa. A l‘extérieur, impassible ou presque, juste souriante. Juste un feu d’artifice incontrôlable fit pétiller ses yeux. Elle savait dompter le cheval sauvage au galop, elle savait dompter le taureau furieux de ses émotions. En réponse, elle sourit. Elle avait les mains froides. Il savait qu’elle avait aussi les pieds froids et qu’elle s’entortillait dans la couette en dormant. Il savait qu’elle avait des casseroles aux chevilles, une vraie quincaillerie qu'elle trainait là. De la bonne grosse marmite en fonte qui vous ralentit bien l’allure à la série de casseroles en alu qui font un boucan du diable. Il savait tout ça. Et pourtant, il envisageait un enfant d’elle. Pour l’élever avec elle (enfin, ça elle ne lui avait pas fait préciser mais ça lui semblait couler de source…)
Oups. C'était bien de son envie à lui qu'il s'agisssait-là ? Ou était-ce un piège ? Sadique. Pour mieux lui répondre, une fois qu'elle aurait dit ouiouiouioui : "ben moi non... dommaaaaage".

Leur vie à deux a véritablement commencé à ce moment-là. Des ambitions communes, des pensées, des envies et des gestes qui convergent. Elle avait appris que ça n'est pas partager le quotidien qui crée le couple. Si le couple n’existe pas avant. Le couple ne se fabrique pas comme on suit un patron de couture. Ou une notice de montage. Il est. Point. Ou il n’est pas. Point. Y a pas à tortiller du... pour aimer droit !

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samedi, janvier 06, 2007

Travaux manuels





Bon appétit !

****

(Addendum même jour 23h08)

LA RECETTE

(pour 4-5 personnes)

Ingrédients :
* un rôti de porc ou du porc à braiser (moi je prends du rôti, y a moins de gras à trier-j'aime pas le gras de viande !)
* du Nuoc Mam (du bon, acheté dans un magasin spécialisé et vous demandez à la dame "du bon"!)
*1 ou 2 carottes
* 1 gros oignon
* 1 paquet de GRANDES galettes de riz
* du gingembre (frais mais si vous n'avez qu'en poudre c'est bien aussi)
* du mélange 5 épices (ça c'est un rajout perso)
*
poivre
* 1 gros oeuf
* 1 paquet de vermicelles chinois (pas les nouilles, on ne confond pas, on prend les fins et translucides, genre cheveux d'anges, pas la nouille à soupe)
* 1 sachet de champignons noirs (non , PAS des champignons parfumés, les champignons noirs, on a dit !)
*
de l'huile de friture (genre celle qui sent pas, voyez ?)

Pour la sauce à plongette : Nuoc Mam, poivre, jus d'un demi citron, eau, sucre

Laitue (la batavia va aussi, évitez le pissenlit ou la frisée ou la mâche, aucun intérêt !)

INDISPENSABLE : le robot-mixer

Préparation :
Mettez à tremper les vermicelles dans un saladier d'eau et laissez-les tranquilles pour l'instant.

Détailler le porc en gros dés
Coupez les carottes en ce que vous voulez (dés, fleurs, juliennes, roues de charriot... selon l'inspiration de toute façon ça sera tout haché !)

Idem avec l'oignon

Idem avec le gingembre s'il est frais (coupez petit quand même, voire rapez carrément si courageux !)

Faites tremper une poignée de champignons noirs dans un bol d'eau chaude (si pas patient vous mettez un coup au micro onde !)

Mettez tout ça en vrac dans le robot avec l'oeuf
VRRRRTTT... VVRRRTTT.... allez,encore un peu. On touille, on recommence. Mettez quelques giclées de Nuoc Mam qui va servir de sel. Poivrez généreusement.

On mélange bien. On goûte voir si c'est assez salé (si si, allez, on goûte), au besoin on rajoute du Nuoc Man.

C'est à ce moment-là qu'on prend ses vermicelles tous ramollis et devenus tous blancs et on les coupe en petits bouts. Tchouik tchouik.
Une 1/2 c.à c de mélange 5 épices.

On mélange à nouveau le gloubi.

On appelle ses amis/enfants/amant(s), mari, belle-mère... ceux qu'on a sous la main, on les installe autour de la table TRES PROPRE (ils se seront lavé les mains au préalable...)

On leur donne le paquet de galettes (ATTENTION HYPER FRAGILE)
des plateaux avec un fond d'eau chaude dedans pour ramollir la galette... Et ils plient comme sur la photo ! (l'équivallent d'une c. à s. posée au bord, on roule un peu serré jusqu'au milieu, on rabat les cotés et on fini de rouler un peu serré mais pas trop sinon ça se déchire)
Il vaut mieux mettre pas assez de farce que trop, si l'épaisseur de galette est trop fine (genre une seule couche) ça se dépiaute à la cuisson.

Pendant ce temps, ne vous croisez pas les bras, vous surveillez l'opération pliage d'un oeil tout en mettant votre huile à chauffer dans 2 poëles si besoin.

Et vous faites frire A FEU DOUX. Bien au large, à l'aise, pas à 12 nems par poële. Qu'ils ne se touchent pas.

C'est long... c'est très long... Résistez à la tentation de monter le feu sous vos poëles, la galette amoureusement pliée éclaterait (comme photo ! ) et ce serait dommage!

N'OUBLIEZ PAS LA HOTTE ASPIRANTE !

Pendant que ça cuit, n'hésitez pas à vous préparer un bon apéro bien mérité !

Pendant que vos invités trient et lavent la salade.

Préparez la sauce pour faire trempette, goûtez, rectifiez à mesure (pas plus de 2 c. à s. de Nuoc Mam, c'est quand même vachement salé)
Vous pouvez y rajouter de la carotte rapé mais gadget inutile.

Servez (genre 2h après de début des opérations...) avec des feuilles de menthe si vous avez, sinon personne ne vous en voudra tellement vos invité se régaleront.

Et là vous vous direz à juste titre, "mais tudju comme c'est troooop faciiiile !"
Pas encore trouvé de vin qui aille avec, si vraiment vous y tenez évitez le rosé ou le blanc, ça le tuerait ; prenez un rouge tanique. Un Bourgogne. Mieux, un Côte du Rhône. Ou un Chautagne de Savoie (mais ça vous connaissez pas, hein !)

Pensez bien à solidifier votre huile avec le produit adéquat acheté en grande surface avant de mettre à la poubelle (et pas dans vos canalisations, vilains !)
Vous pouvez faire aussi à la friteuse, mode cuisson minimale ("champignons") même dans de la Vég** mais ça prend le goût. (Et puis après de toute façons faut jeter votre Vég***)

Voilà.
Demain je fais (enfin ,ce soir, là tout de suite pour demain midi) Charlotte aux poires.
Mais ça suffit pour cette fois !

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vendredi, janvier 05, 2007

Ma mère est une sorcière

- FFFFCHIIIIT, JUNE, DESCEND ! (June est une jeune chatte dotée de 2 neurones mais qui ne fonctionnent pas tous les deux en même temps)

- (Zébulon) Haaaan, Mamaaaan, comment t'as fait pour voir qu'elle était sur la table ?!

- Parceque tu sais bien que...

- Non, c'est pas vrai , ça se peut pas que t'aie des yeux derrière la tête...

- Ben, et sinon comment j'aurais fait pour voir le chat sur la table, hein ?!

- Mais quand même ça se peut pas... t'as les cheveux qui gênent tu devrais rien y voir...

- Bien sûr que si on voit à travers les cheveux !

... un silence... Puis...

- Comment ça se fait que je les ai jamais vu, tes yeux de derrière la tête, hein ?!

-Parce que je ne te les ai jamais montré et puis les parents ne les montrent pas sinon ils ne fonctionnent plus , ce sont des yeux magiques.

- Ben ça... j'y crois pas trop...

-Alors hein, dis-moi comment je fais pour savoir ce que tu fais quand je ne te regarde pas, ou même quand tu es dans une autre pièce que moi je sais quand tu fais des bêtises...

- Ah ben ça c'est vrai.

... Nouveau silence.

- Alors moi aussi quand je serai adulte j'aurais comme toi et je pourrais voir au boulot quand on m'attaque ?


(alors là j'aurais du lui dire "pourquoi veux-tu qu'on t'attaque au boulot, ce n'est pas la guerre d'aller bosser")


- Ah non, ce sont des yeux qui ne fonctionnent que quand tu as des enfants.

- Alors quand je serai un papa et que je me promènerai dans la rue avec ma femme et mes enfants je verrai si quelqu'un nous suit...

(Cet enfant est angoissé, vous ne trouvez pas ?!)

- Non, ces yeux-là ne marchent que pour surveiller ses enfants, ou en tous cas des enfants dont on doit s'occuper.

- Et les chats aussi...

- Oui, les chats aussi.

- Ah...

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mardi, janvier 02, 2007

Epilogue d'Elle (1/x)

Torquemada




Elle devait avoir encore des bouts de cheveux collés sur le front, dans le cou, qui lui piquaient. Elle sortait de chez le coiffeur. Un oeil dans le rétroviseur, un oeil sur la route, elle vérifia. S'épousseta de la main. Non qu'elle eut vraiment à coeur de paraitre au mieux à leurs yeux. Non. Juste paraitre propre, quoi. Vaguement présentable. Potable. D'ailleurs, si elle avait pu s'en passer, de cette visite-éclair, elle aurait volontiers cédé sa place. De toutes façons, elle passait juste récupérer les blousons des garçons, oubliés la dernière fois que leur père les avait emmenés voir leurs grands-parents. Elle se demanda un bref instant comment elle les appellerait désormais... « beau-papa et belle-maman » ne convenaient plus. D'ailleurs, elle avait toujours contourné la chose en ne les appelant pas. Ils n'étaient ni beau ni belle. Ils lui avaient bien proposé au début de son mariage «joli-papa et jolie-maman». Elle en avait gloussé intérieurement. Tant d'humilité, c'eût été dommage de n'y faire point honneur. Elle continuerait de faire comme elle avait toujours fait depuis 13 ans : elle ne les appellerait pas. De toutes façons, ils allaient être amenés à ne plus avoir trop l'occasion de se fréquenter. Chacun dans son pré-carré. Dans son monde. Dans son biotope. Et et vaches seront ...

Elle gara sa voiture un pied sur la pelouse du petit parking . Il n'y avait plus de place nulle part. Elle inspira à fond, souffla lentement l'air pour se calmer, comptant jusqu'à dix. Se frotta les yeux, le front, les tempes et les joues dans un même geste, soupira une dernière fois. Toutes les voitures étaient là. Les belles-soeurs, les beaux-frères. Le Clan. Elle allait juste récupérer trois petits blousons, elle n'aurait même pas à rentrer, encore moins les voir, les saluer, tailler la bavette. Alors, pourquoi appréhender autant ? Hein, pourquoi ? Après le crissement de ses pas sur le gravier, c'est la sonnerie de l'entrée qui émit son pépiement ridicule. Twitwitwitwiwiwiiii.... Elle respira à fond et se maudit à nouveau de sa peur palpable. Elle n'eut pas le temps de rassembler plus de courage que déjà la porte s'ouvrait toute grande.


- Bonjour F. Entrez, entrez...


C'était dit sans chaleur. Sans sourire.

Par politesse. Par habitude. L'habitude de faire ce qu'on attendait d'elle. Elle n'aurait pas du. Elle n'aurait pas du entrer. Elle aurait du se souvenir de leur dernier échange téléphonique. Elle aurait du se souvenir qu'elle n'y avait pas d'amis. Sous leurs airs doucereux. C'est lorsque la porte d'entrée se referma derrière elle qu'elle les aperçu tous, par l'encadrement qui donnait sur le salon. Les (futurs-ex) belles-soeurs. Les beaux-frères. Le futur-ex beau-père. Immobiles, raides et droits dans leurs fauteuils crapaud recouverts de velours or. Sous les nombreux portraits d'aïeux qui ornaient les murs tapissés. Cette image hors du temps lui rappela soudain et brièvement les romans de Daphné du Maurier. Anachronique.

Timidement, sur un pied, elle dit bonjour à la cantonade, crispée. Tous se levèrent, vinrent à sa rencontre pour l'embrasser, lui dire bonjour. Non. Ils passèrent près d'elle, Suivez-nous, nous devons discuter. A la cuisine. Mais oui, bien sûr, que croyait-elle ? Elle n'était plus assez respectable pour être invitée à poser son roturier postérieur sur les antiques fauteuils du salon familial. Autour de la grande table de ferme, elle n'avait pas l'embarras du choix ; on lui avait désigné le banc, le bout du banc. Le bout du bout du banc, comme dirait l'humoriste. Contre le mur. Et dos au mur. Au coin. Au pied du mur...

Près d'elle vint s'assoir... elle ne sait plus lequel d'entre eux. Et ils se mirent en place, en une chorégraphie non concertée mais mue par l'appartenance au Clan, cet imperceptible moteur qui resserre les rangs de l'Entre-Soi, l'instinct de survie de ceux qui «se reconnaissent ». La danse des abeilles. Un bref regard alentours (elle n'aurait pas du entrer, non, elle n'aurait pas du...) lui fit réaliser avec effroi que le clan s'était subtilement étalé de façon à refroidir toute velléité de fuite de sa part ; J. se tenait subtilement adossé contre la porte d'accès ; N. se tenait debout les bras croisés en face d'elle, devant la gazinière, les autres étaient répartis assis autour de la table. Elle commençait à se sentir mal. Jugée. Hérétique. Alors, elle fit ce qu'elle savait si bien faire. Refluer au fond d'elle-même, laisser là son corps tenir compagnie aux autres et s'enfermer à l'intérieur d'elle-même. Absente. Autiste. Peut être est-ce cela qui lui avait permis de survivre, finalement. Garder enterré profond ce qui faisait sa moelle, sa sève, son élixir de vie. Son "operating system". Son "back up" de secours.


De cette heure et demie qu'elle passa sur le banc de la cuisine, l'Infidèle face aux troupes de Torquemada, elle ne se souvient aujourd'hui plus des mots précis. Juste qu'elle se mit en boule, comme le faisait son fils lorsqu'il arriva au CP dans cette nouvelle école, et qu'à la récréation il se laissait frapper, roulé à terre, par quelques caïds de la bourgeoisie locale. S'offrant aux coups, comme pour signifier « Je suis au-dessus de ça ». Elle se mettait en boule, fermait ses yeux et ses oreilles, les mots glissaient sur elle, les mots, les phrases, les injonctions. Même si elle n'entendait pas, les mots faisaient mouche, ils atteignaient directement son coeur. C'est plus tard qu'elle se rendra compte qu'ils les avaient gravé là, au burin, en maîtres qu'ils étaient marquant leurs esclaves au fer. Des mots épars ressortent encore aujourd'hui, « vous vous étes mariés pour le meilleur et pour le pire, vous avez connu le meilleur, maintenant assumez me pire » ; « il n'était pas comme ça avant, vous l'avez castré, étouffé » ; « vous n'avez pas le choix, vous DEVEZ rester et assumer votre couple et ce que vous en avez fait » ; « vous n'avez PAS le droit ». Et puis des révélations insinuées comme «chacune d'entre nous a son lot de douleurs conjugales et nous les assumons ». Les cadavres commençaient à entre ouvrir les portes des placards de cette famille qui n'avait jamais été la sienne.


Lorsqu'elle pensa qu'ils en avaient terminé, elle se leva. Sonnée. Hébétée. Assommée. K.O. Mais debout. De rage. De dégout. Elle sortit sans dire au revoir. Elle titubait, ses pas cahotaient sur les graviers de l'allée et elle mit du temps à trouver la clé de la voiture au fond de son sac ; elle mit du temps à la glisser dans la serrure tellement ses mains tremblaient et son coeur s'emballait. De rage. De colère. De dégout. Plus qu'à eux, c'est à elle qu'elle en voulait. Elle s'en voulait de n'avoir pas senti le traquenard, de ne pas s'être levée et esquivée plus tôt, de leur avoir laissé le temps de déverser leurs mots, de n'avoir pas eu de répartie alors qu'elle avait tant à leur dire.


Elle laissa cet épisode derrière elle, non digéré. Il ne le sera jamais. Ni sur l'instant ni plus tard elle ne comprendra ce moment-là. Elle était heureuse que la lapidation n'existât plus, que le pilori ne s'installait plus sur la place du village, ordonné par le seigneur du château.


Elle ouvrit la fenêtre de la voiture, arrêta la climatisation. Nous étions au début du mois d'Aôut, le vent chaud du dehors lavait les souvenirs à grandes brassées. Bénéfique. Comme bénéfiques le seraient les trois jours vers lesquels elle partait, trois jours d'improvisation à deux sur les pierres chaudes du pays d'Ardêche. Trois jours hors du temps, hors de la crasse, avec celui qui...


à suivre

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