La théorie des dominos
(allez, promis, les prochains seront beaucoup plus légers !)
Elle se souvenait précisemment du moment où ... de cet instant, ce déclic d'un quart de seconde où la certitude vous plombe. Elle était enceinte de 7 mois et demi, un deuxième garçon, juste après le premier qui ne marchait pas encore. Fatiguée, physiquement et moralement, lasse, susceptible et bourrée d'hormones, au bord des larmes en permanence. Et puis ces nausées, toujours, lui minant le moral et l'appétit.
La nuit commençait à tomber. Elle s'en souvient parce qu'elle a toujours du mal à conduire entre chien et loup. Elle a pris la voiture, après avoir hurlé une nouvelle fois, renversé par terre l'étagère de la salle de bain en verre et métal, achetée avec son premier salaire, non, ses premières piges. Peu importait au fond le prétexte de cette nouvelle crise, trop de fatigue certainement à se gérer seule au quotidien, et une colère contre elle-même.
Elle a roulé pour sortir du hameau. La Fiesta rouge a traversé le village suivant puis s'est dirigée vers Hesdin. Les arbres le long de la petite route, les champs qui quelques semaines plus tard seraient couverts de blé ou de lin (c'est beau, un champ de lin, graciles et longues tiges à fleurs bleues couleur lavande), le ciel qui a cette couleur et cette lumière bien spécifique à la région... Elle a arrété la voiture sur une petite place, en face d'un caviste qui tirait son rideau, près d'un vieux lavoir. Petit à petit elle s'est apaisé. La tempête a fait place à une plate étendue d'eau, comme un lac de montagne, vert miroir en surface, fond insondable et sombre profondeur vertigineuse.
Plus tard, des mois et des années plus tard en plusieurs occasions, des hommes de l'art médical lui demanderaient à propos de ce petit garçon pétri d'angoisses qui ne voulait pas dormir, comment s'était passé sa grossesse, ce qui avait bien pu le bouleverser, in utero... «Rien, je ne vois pas, grossesse impeccable sans stress ni événement particulier». Elle ne pouvait pas dire que c'est ce jour-là qu'elle a su qu'elle ne vieillirait pas avec son mari, qu'elle a réalisé qu'elle s'était trompé de chemin...
Plus calme, parce que la certitude est apaisante, elle a remis le contact. Elle a pris cette fois la grande route en direction d'Arras, elle a tourné juste avant Saint-Pol-sur-Ternoise, a fait encore 5 km et a bifurqué à gauche après la pharmacie. En pénétrant dans le lotissement des 15 maisons HLM aux volets colorés, elle s'est dit que le Ternois était tout de même une bien belle région ,elle aurait pu tomber pire mais c'était un peu loin... loin de ses amis qui ne voulaient pas monter « au-delà de Paris », loin de sa famille, de ses montagnes... tout son petit cocon dans lequel elle se serait bien blottie, là tout de suite.
Lentement elle a rentré la voiture dans le garage, lentement, pour gagner du temps. Et là elle a fait son choix. Pour le reste, on verra plus tard. Alors, elle a revêtu un habit nouveau pour elle, comme une robe de bure plombée, ce deuxième vous qui s'appelle Sens du devoir. Elle a enfoui bien profond le petit oiseau qui piaillait une demi heure auparavant et elle a pris à coeur son nouveau rôle, en sachant, bonne comédienne, que rien ni personne ne saura jamais que c'était un contre-emploi, un nouveau défi personnel. Hypocrite... Cette faculté toute nouvelle qu'elle se découvrait à la duplicité et à la dissimualtion la fit sourire, « j'aurais du continuer le théatre, moi ! »
Lorsqu'elle entra dans la cuisine par la porte de service, elle remarqua tout de suite la table dressée avec bougies et l'odeur d'excuses et de contrition qui s'échappait des casseroles sur le feu.
Il s'approcha tout près, pressa ses grands bras autour d'elle. Clac clac... dans sa tête un bruit de verrou, comme le bruit sec des crochets de chaussures de ski. A y est, hermétiquement tous ses cadenas s'étaient fermés. Rien n'y entre, rien n'en sort surtout. Comme dans un sous-marin.
«Je te promets, je vais essayer de t'aider un peu plus », a-t-il murmuré. Trop tard... beaucoup trop tard... Au contact de cette étreinte, son corps avait esquissé une légère tension. Oh, imperceptible. En même temps qu'elle avait fermé ses verrous, elle avait vidé sa tête, ses pensées, états d'âme et sentiments avaient reflué loin de la surface, vers le petit oiseau en hibernation, dans son double fond.
Elle lui a souri en s'asseyant à la table. « c'est joli les bougies », a t-elle dit. Et puis « mmmhhh, ça a l'air bon. » Il lui a souri en retour, rassuré. La crise était passée, les hormones de la grossesse, certainement.
Ce qu'ils ignoraient à ce moment là tous les deux, c'est que le premier domino venait de tomber.
Elle se souvenait précisemment du moment où ... de cet instant, ce déclic d'un quart de seconde où la certitude vous plombe. Elle était enceinte de 7 mois et demi, un deuxième garçon, juste après le premier qui ne marchait pas encore. Fatiguée, physiquement et moralement, lasse, susceptible et bourrée d'hormones, au bord des larmes en permanence. Et puis ces nausées, toujours, lui minant le moral et l'appétit.
La nuit commençait à tomber. Elle s'en souvient parce qu'elle a toujours du mal à conduire entre chien et loup. Elle a pris la voiture, après avoir hurlé une nouvelle fois, renversé par terre l'étagère de la salle de bain en verre et métal, achetée avec son premier salaire, non, ses premières piges. Peu importait au fond le prétexte de cette nouvelle crise, trop de fatigue certainement à se gérer seule au quotidien, et une colère contre elle-même.
Elle a roulé pour sortir du hameau. La Fiesta rouge a traversé le village suivant puis s'est dirigée vers Hesdin. Les arbres le long de la petite route, les champs qui quelques semaines plus tard seraient couverts de blé ou de lin (c'est beau, un champ de lin, graciles et longues tiges à fleurs bleues couleur lavande), le ciel qui a cette couleur et cette lumière bien spécifique à la région... Elle a arrété la voiture sur une petite place, en face d'un caviste qui tirait son rideau, près d'un vieux lavoir. Petit à petit elle s'est apaisé. La tempête a fait place à une plate étendue d'eau, comme un lac de montagne, vert miroir en surface, fond insondable et sombre profondeur vertigineuse.
Plus tard, des mois et des années plus tard en plusieurs occasions, des hommes de l'art médical lui demanderaient à propos de ce petit garçon pétri d'angoisses qui ne voulait pas dormir, comment s'était passé sa grossesse, ce qui avait bien pu le bouleverser, in utero... «Rien, je ne vois pas, grossesse impeccable sans stress ni événement particulier». Elle ne pouvait pas dire que c'est ce jour-là qu'elle a su qu'elle ne vieillirait pas avec son mari, qu'elle a réalisé qu'elle s'était trompé de chemin...
Plus calme, parce que la certitude est apaisante, elle a remis le contact. Elle a pris cette fois la grande route en direction d'Arras, elle a tourné juste avant Saint-Pol-sur-Ternoise, a fait encore 5 km et a bifurqué à gauche après la pharmacie. En pénétrant dans le lotissement des 15 maisons HLM aux volets colorés, elle s'est dit que le Ternois était tout de même une bien belle région ,elle aurait pu tomber pire mais c'était un peu loin... loin de ses amis qui ne voulaient pas monter « au-delà de Paris », loin de sa famille, de ses montagnes... tout son petit cocon dans lequel elle se serait bien blottie, là tout de suite.
Lentement elle a rentré la voiture dans le garage, lentement, pour gagner du temps. Et là elle a fait son choix. Pour le reste, on verra plus tard. Alors, elle a revêtu un habit nouveau pour elle, comme une robe de bure plombée, ce deuxième vous qui s'appelle Sens du devoir. Elle a enfoui bien profond le petit oiseau qui piaillait une demi heure auparavant et elle a pris à coeur son nouveau rôle, en sachant, bonne comédienne, que rien ni personne ne saura jamais que c'était un contre-emploi, un nouveau défi personnel. Hypocrite... Cette faculté toute nouvelle qu'elle se découvrait à la duplicité et à la dissimualtion la fit sourire, « j'aurais du continuer le théatre, moi ! »
Lorsqu'elle entra dans la cuisine par la porte de service, elle remarqua tout de suite la table dressée avec bougies et l'odeur d'excuses et de contrition qui s'échappait des casseroles sur le feu.
Il s'approcha tout près, pressa ses grands bras autour d'elle. Clac clac... dans sa tête un bruit de verrou, comme le bruit sec des crochets de chaussures de ski. A y est, hermétiquement tous ses cadenas s'étaient fermés. Rien n'y entre, rien n'en sort surtout. Comme dans un sous-marin.
«Je te promets, je vais essayer de t'aider un peu plus », a-t-il murmuré. Trop tard... beaucoup trop tard... Au contact de cette étreinte, son corps avait esquissé une légère tension. Oh, imperceptible. En même temps qu'elle avait fermé ses verrous, elle avait vidé sa tête, ses pensées, états d'âme et sentiments avaient reflué loin de la surface, vers le petit oiseau en hibernation, dans son double fond.
Elle lui a souri en s'asseyant à la table. « c'est joli les bougies », a t-elle dit. Et puis « mmmhhh, ça a l'air bon. » Il lui a souri en retour, rassuré. La crise était passée, les hormones de la grossesse, certainement.
Ce qu'ils ignoraient à ce moment là tous les deux, c'est que le premier domino venait de tomber.
Libellés : Elle
10 Comments:
J'en reste (presque) sans voix... Ce moment-là, cet instant bien précis, cette seconde bien particulière, j'ai l'impression que tu as su la capter (capturer ?) comme aucun/aucune autre. Et la retranscrire de très forte manière... C'est très prenant et, très égoïstement, j'espère bien que tu feras mentir l'exergue de ton billet ! De toute façon, une théorie des dominos avec un seul domino... ;o)
Merci Anitta. Egoïstement également, ravie que l'histoire t'aie touchée. Une théorie des dominos n'a pas qu'un seul domino, en effet. La suite des aventures de Elle par petits bouts, plus tard.
comme quoi, un blog tout nu peu importe, ce qui compte ce sont les mots qui sont dedans, j'ai bien fait de cliquer chez jeunebergere pour découvrir ce beau début d'histoire(s).
Bienvenu, Tirui et à bientôt, ici ou ailleurs :-)
si ça se trouve je l'ai croisée la fiesta rouge
(ce blog semblant occuppé je ne le squatterai pas)
Oui Michel, si ça se trouve.. ;-)
si al arpasse par chi,
teul dit à ch'al bergère pour qu'al peuch m'l dire in sait jamais quequ'fos qu'j passereu par là
bon ach'theure j'vais aller vir cha qi'y a d'eut din tin blog
(ch'é dur d'faire des trucs ainsi
Bravo Michel, y a pas de doutes, t'es bien d'là-bas ! Bel exercice, merci !
Vraiment très beau texte, si vrai.... Comme les autres, j'espère qu'on aura la suite de la théorie quand même!
Ouch ! super bien écrit, je m'y retrouve...
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