samedi, août 19, 2006

Les voyages forment la jeunesse

Allez, j'vous z'a'r'mé eun' tchotte d'histoire de Elle

De nouvelles aventures de Elle... à rebrousse-temps.


Près de 4 mois qu'elle attendait, elle l'avait enfin, cette fameuse lettre. Son destin pour les années à venir était là, entre ses mains. LEUR destin, parcequ'une mutation frappe souvent la famille entière. Et sa famille, elle était en train de grandir, de se concrétiser, là, dans son ventre. Elle avait pensé, à moitié confiante, que dans ces circonstances, ILS n'oseraient pas la catapulter par delà ses montagnes... quand même, ILS ne sont pas comme ça. Elle avait «fait ses voeux», comme on jargonne dans le métier. Voeu 1 : Tout poste dans l'Académie de G... sait-on jamais... Ensuite, elle avait eu le choix. Néo-certifiés, vous n'avez que 150 points, vous n'aurez que les académies déficitaires...Nancy-Metz/Créteil-Versailles/Angers-Tours/Lille... G, c'est 500 points. Allez, on va dire Lille en 2, Nancy-Metz en 3, Angers-Tours en 4... Am Stram Gram...

Par mesure de précaution tout de même ils avaient fait faire des devis de déménagement. Destination le Nord. On n'a qu'à dire. Au hasard.
- C'est votre boite qui paie ?
- Euh.. non... c'est nous avec nos petits sous...
- Dans ce cas c'est 8 000 francs (on était encore en francs à l'époque)
- Oups... euh, pour quelles prestations ?
Finalement, ils étaient arrivés à caser l'enlèvement, le garde-meuble (arrosage des plantes compris) et la livraison pour 6 000 francs. Tope là.
- Je vous rappelle dans 2 semaines pour confirmer la destination.

Elle ouvrit l'enveloppe en montant les escaliers. « Titulaire académique » « Académie de Lille ». Ca voulait dire qu'elle ne connaitrait son affectation que la veille de la rentrée. Au mieux. N'importe où entre Boulogne-sur-Mer et Tourcoing, ou Dunkerque ou Arras ou Cambrai ou Le Touquet...
- Ne t'inquiète pas, mon contrat se termine en Juillet, je chercherai du boulot là-bas tout de suite. Sinon je m'occupperai du bébé, on fera des économies de nounou. Il lui avait dit.
Oh, ce n'est pas qu'elle s'inquiétait vraiment, elle se sentait plutôt investie d'une responsabilité soudain pesante. Il fallait qu'ils se fassent mutuellement confiance. Mais s'aimaient-ils assez pour ça ? Elle espérait que oui, très fort elle l'espérait.

Et ils étaient montés en repérage, chercher un toit. En route, ils avaient pique-niqué au bord de l'Yonne, près d'Auxerre. Ils roulaient vitres ouvertes en écoutant Enya et Simple Minds et Jean-Louis Murat. Elle gardera longtemps un joli souvenir léger de ce trajet d'été. Ils avaient regardé la carte des deux départements, avaient décidé qu'Arras serait vaguement à mi-chemin, dans un sens ou dans l'autre. Il y avait ce superbe appartement neuf au centre d'Arras, dernier étage, vue panoramique... Un seul inconvénient : il n'y avait que des fenêtres. Pas de balcon, pas de porte-fenêtre pour humer l'air de son corps tout entier. C'était bizarre, d'ailleurs, tous ces immeuble sans balcons. Elle en avait fait la remarque à l'agent immobilier.
- un balcon ?! Mais pour quoi faire ? Lui avait-elle répondu, interloquée...
Finalement ils avaient eu le coup de coeur pour cette petite maison de la proche banlieue arrageoise. Mitoyenne en briques, «coquette» comme disent les annonces. Biscornue et pimpante. Et surtout, fait assez rare pour être souligné, elle disposait de VOLETS ! Et puis c'était très calme, au bout de l' impasse qui menait au cimetière.
- Les tapisseries viennent juste d'être refaites par les héritiers, la dame qui vivait ici est morte il y a 6 mois.
- Dans la maison ?!!!!
La jeune fille qui faisait la visite se rendit compte qu'elle en avait trop dit.
- Ben... oui, je crois... je ne suis plus sûre.
Finalement ils l'ont prise quand même, la maison de la morte. Même si pendant ses longues nuits d'insomnie (on dort peu et mal, en fin de grossesse...) elle avait gardé les yeux grands ouverts, fixé le plafond, scruté les coins, les ombres, à la recherche d'un quelconque ectoplasme, un poltergeist. Pour un peu elle aurait même regardé sous le lit, mais sa vaillance avait des limites, et de toutes façons elle aurait eu du mal à se plier en deux. La maison avait de bonnes ondes.
- c'est rien qu'des couenneries, tout ça, aurait dit sa grand mère.

Les meubles ne sont pas arrivés le jour prévu. Ni le lendemain. Ni le surlendemain. Septembre approchait, elle n'avait rien à se mettre d'autre que les vêtements d'été qu'elle avait pris dans sa valise pour 3 jours. Ils étaient à l'hôtel, avec le chat, dans une de ces chaines d'hôtels-boites-en-plastiques-pas-chers-et-bien-pratiques. Ils en profitaient pour retapisser la maison, ce vinyl bleu marine à fleurettes jaunes de la cuisine, a-t-on idée d'en mettre aussi au plafond...

Tout de même, elle se demandait si ça avait une bonne idée, ce concours. Elle boirait ses années de bizutage jusqu'à la lie... elle l'avait voulu, elle avait bossé dur toute seule, des nuits et des jours, elle sacrifiait sa vie sociale, la carrière professionnelle de son mari... elle avait froid, son camion de déménagement était perdu dans la nature, ils n'avaient plus un rond, son ventre lui faisait mal en fin de journée... Tout cela en valait-il la peine ? Tout ça pour quoi , au fond ? Bénéfice net ? zéro, pour l'instant. Zéro chiffre d'affaires, même. Demain sera un jour meilleur. Certainement. Il ne fallait pas qu'elle ait des doûtes, elle n'avait pas le droit. Alors pour se donner du courage elle s'allumait des cigarettes. Il y a longtemps qu'elle aurait du arréter, elle le savait. Qu'on me laisse ce petit temps à moi, ces maigres minutes de destruction irresponsable. Cette culpabilité supplémentaire avec laquelle me flageller les jours bleus. MAUVAISE FILLE !

- Tout ça c'est quand même bien toi qui l'as voulu, non ? Lui dira -t-il des années plus tard, aigri par les longs mois de chômage, par le manque d'argent, de reconnaissance, de confiance en lui. Des reproches ? C'était lourd pour ses épaules à elle, finalement, cette responsabilité du bonheur familial. Certainement, c'était de sa faute à elle. TOUT ETAIT SA FAUTE A ELLE SEULE. Maintenant, assume.
Personne ne lui avait rien demandé, elle endossait ça toute seule, elle la prenait toute seule, cette satanée responsabilité. Sacrificielle. Puisqu'elle n'arrivait pas à la partager, elle la portera toute seule, la responsabilité du déséquilibre. Comme une gageure. Un défi personnel à la con. Ce n'est que bien plus tard., beaucoup, beaucoup plus tard, lorsque tout ça serait digéré, recraché au loin, qu'elle reconnaitra qu'il était très prétentieux de vouloir faire le bonheur des autres.
On ne peut pas être responsable de tout, ça n'est pas possible... Encore moins coupable. Même par amour.

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7 Comments:

Blogger tanette said...

Merci de ton passage chez moi, et pour la précision sur le nom de ce petit animal. Bienvenue dans la blogosphère. A bientôt.

19/8/06 21:01  
Blogger LiliLajeunebergere said...

Merci pour ce petit bout de toi supplémentaire.... la conclusion est à méditer ;-)

21/8/06 09:40  
Blogger Anitta said...

La conclusion est à méditer, oui, et tout ce qui vient avant aussi...!

21/8/06 14:48  
Blogger Anitta said...

Ce qu'il y a de bien, aussi, quand on a lu/vu le billet suivant avant celui-ci, c'est qu'on se dit qu'il en reste encore forcément beaucoup à raconter...

21/8/06 21:54  
Blogger FD-Labaroline said...

Lilidiciel et Anitta, Mes choses à raconter ne manquent pas, entre avant-hier et cet aujourd'hui... aurais-je le courage de replonger dans cet autre moi pour tout écrire ...? Je l'espère.

22/8/06 13:12  
Blogger Anitta said...

Et nous donc !

24/8/06 01:40  
Blogger *isadora* said...

Il me touche beaucoup, ce post. Il me rappelle aussi un autre moi, à tel point que c'en est troublant.

Je reviendrai te lire :)
Bienvenue dans le monde des écrivailleurs ;)

27/8/06 08:59  

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