mardi, août 22, 2006

Promised you a miracle

Finalement ils ne sont pas restés longtemps, dans la «petite maison de la morte». Oh, pas parcequ'ils avaient vu une apparition ou que des objets se déplaçaient... Non, rien de tout ça. Elle avait juste eu le temps de poser son petit à l'entrée de l'hiver pour se rendre compte que la maison n'était pas isolée. Pourtant, les hivers n'y sont pas rigoureux mais il faisait 13° au sortir de la couette. Le petit radiateur soufflant fonctionnait à perdre haleine. Le froid humide de la maison lui rentrait dans les os, lui liquéfiait le moral, lui gelait la raison. Le bébé dormait avec des chaussettes aux mains, trouée à la main droite pour qu'il puisse attrapper son pouce... elle osait à peine le laver, le déshabiller...

C'est ce premier hiver qu'ils ont donné leur préavis et qu'ils ont commencé à chercher autre chose. Entreprise qui s'est avérée bien moins évidente que prévu... un seul salaire dans le foyer effrayait les loueurs.
Puis ils ont vu une annonce dans le journal local; «maison mitoyenne avec jardin, 3 chambres, à la campagne». Le prix était étonnemment peu élevé...
- Vous savez, c'est un peu loin d'Arras, leur avait-on dit au téléphone.
Ils avaient demandé l'adresse, étaient passé chercher les clés, s'étaient fait expliquer l'itinéraire une nouvelle fois. Une fort jolie promenade à travers la campagne. Image d'Epinal. Ils ont fini par le trouver, ce village perdu, ce hameau tout en longueur sur la route entre Rien et Nulle Part... Ils ont découvert, en montant à gauche après la pharmacie, un petit lotissement de maisons mitoyennes aux volets colorés. C'était le printemps, ça sentait la vache et l'herbe fraîche, la nature explosait... ça leur semblait bien.
Ils ont dit d'un air enthousiaste qu'ils étaient prêts à emmenager tout de suite. Au Logement Rural, ils n'en revenaient pas.
- Vous ètes sûrs ?
- Oui oui oui oui !
- Vous avez bien visité la maison, les alentours...?
Oui oui, ils avaient fait tout ça. Et elle ça la rapprochait de son collège. Mais lui ça l'éloignait des opportunités d'embauche de la grande ville... le Ternois est un bassin d'emploi moins foisonnant que la banlieue lilloise. Ou même arrageoise... Mais bon, pour l'heure, lui ne cherchait pas trop...

Ils s'étaient tous les deux coulés dans une nouvelle répartition des responsabilités. Pas forcément équilibrée (il y a des rôles que l'on ne redistribue pas aisémment...) Mais elle s'en accommodait. Mécaniquement, comme un automate. Elle avait son bébé, elle se sentait forte et invincible.

En pénétrant dans le lotissement, ils avaient bien vu que tous les rideaux s'écartaient discrètement. Il y avait cette grosse dame très rousse, en «robe d'hôtesse» longue en jersey multicolore, comme ils disent dans les catalogues, qui s'était risquée hardiement sur le pas de sa porte, afin de mieux scruter l'Etranger... Elle portait un petit garçon dans les bras, qui tétouillait tranquillement sa morve. Derrière ses verres épais comme des dessous de plats, la grosse dame n'avait même pas répondu au bonjour enjoué des deux jeunes en voiture rouge... D'ailleurs, elle ne répondra jamais à leurs bonjours...

Alors ils avaient recommencé à faire les cartons, avec empressement, avec avidité. Lui faisait de l'emballage et du babysitting la journée, elle faisait deux fois les 45 minutes de trajet pour rejoindre son collège du val d'Authie. Elle aimait rouler seule, c'était son sas de décompression, son temps de «recentrage», le moment qu'il lui fallait pour redevenir une autre au retour de sa journée. Elle aimait prendre les raccourcis, même si c'était risqué, elle se retrouvait souvent derrière un de ces immenses Massey-Ferguson qui brassaient les champs. Et puis cet automne elle avait découvert que la route pouvait être glissante : la boue mêlée à la betterave écrasée surprenaient le conducteur peu vigilant.

Elle traversait des hameaux aux jolis noms... Rebreuviette, Estrée-Wamin... Elle écoutait Simple Minds et U2. Histoire de préparer la culture musicale du bébé, pensait-elle. Il devait aimer, d'ailleurs il bougeait beaucoup, sur Simple Minds en particulier. Alors elle le passait souvent. C'est sur cette route qu'elle a appris la nouvelle un matin à la radio : Kurt Cobain avait été retrouvé mort à son domicile... Elle en fut peinée, même si elle ne le connaissait pas personnellement. Dommage pensa-t-elle, ils ne feront plus de jolies chansons.

Au printemps ils ont déménagé, abondonnant à regret leurs ballades quotidiennes au bord de la Scarpe toute proche, à regarder glisser lentement les péniches dont elle aimait se dire qu'elles venaient peut être de Hollande ou de Belgique, en descendant l'Escaut... Ils ont laissé la ville pour les charmes certains de la ruralité profonde. Cette ruralité dont un de ses amis, le seul venu la voir «si haut», dira, après s'être perdu et re-perdu, « 'tain, c'est le trou du *** du monde, chez toi !».
Elle avait pris un jour un homme en stop, au village voisin. En montant dans la voiture, il l'avait dévisagée avec douceur.
- vous n'ètes pas d'ici, vous. C'était une affirmation, pas une question.
- Euh... non
- et ça va comment ? Vous vous plaisez ? Les gens sont gentils ?
- Euh...ben... ça va...
Lui dire que les rideaux s'écartaient le long de la rue principale lorsqu'ils promenaient la poussette, que la rue devenait déserte et que Chez Yvette, les conversations s'éteignaient lorsqu'elle entrait chercher du pain ou du sel ou des bricoles ?
- Vous savez, petit pays, petits esprits... mais vous vous y ferez, ça va aller. A-t-il dit en roulant les R.
Et les yeux délavés du vieil hollandais ont souri. Il était là depuis 30 ans, il savait. Rassurant.

Ils se retrouvèrent ainsi en vase clos, avec pour seules distractions celles qu'ils se créaient eux-mêmes... Les yeux dans les yeux, avec justes leurs conversations à eux deux (et les gazouillis du bébé, et la providentielle télévision) pour meubler leur autarcie affective. Comme sur une île déserte. C'est maintenant qu'elle allait peut être affronter les questions qui commençaient à s'insinuer en elle. Il était temps pour elle, pour eux deux, de se poser un peu, de cesser de s'étourdir dans la frénésie du quotidien (s'agiter, c'est bien, ça empêche de penser...), temps pour eux de gratter sous la surface clinquante, quitte à écailler les (fausses) dorures ; temps pour eux de ne plus se contenter de regarder les ombres sur le mur, comme les prisonniers de la caverne de Platon... Ce chemin qui gravit la montagne, elle aurait bien aimé ne pas le parcourir toute seule...

I have kissed honey lips
Felt the healing in her fingertips
It burned like fire
This burning desire
I have spoke with the tongue of angels
I have held the hand of a devil
It was warm in the night
I was cold as a stone
But I still haven't found what I'm looking for
But I still haven't found what I'm looking for

U2, I still haven't found what I'm looking for.- The Joshua Tree, 1988

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4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

çà se précise
pour la géographie
La scarpe moi c'était du côté de Plouvain et le lac Bleu
et au val d'Authie à cette èpoque il n'y avait pas un certain gil han.....??
petite nouvelle de Rebreuve : il y a en ce moment une jolie maison ronde en bois qui s'y construit.(c'était sur la route de ELLE)

22/8/06 20:03  
Anonymous Anonyme said...

ceci dit j'apprécie beaucoup tes textes

je prends beaucoup de plaisir à te lire

22/8/06 20:05  
Blogger FD-Labaroline said...

Merci Michel, je suis touchée. Dommage, j'aurais adoré voir la maison ronde... un vieux rêve hélas pas réalisable ici. La mémoire des visages et des instants, mais pas la mémoire des noms des gens :-(

23/8/06 08:17  
Blogger Anitta said...

Ah oui, le Ternois... Même avec U2 et Simple Minds en fond, ça vous a quand même des airs de vieille chanson de Marylin Manson ! Petits pays, petits esprits... Trouduculdumondeland !

23/8/06 13:29  

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