mardi, janvier 09, 2007

Epilogue d'Elle (2/x)

Retable du Villaret à Montgirod (photo extraite de )





Baby Doll


Il était assis face à la salle, le dos contre le mur de lambris vernis. Au-dessus de lui était accrochée une grande gerbe de blé décorée de fleurs en mousseline, à ossature fil de fer. Les mêmes fleurs aux improbables couleurs que celles qui composaient les chemins de table, piquées dans de petits pots de faïence blanche à anses et au ventre rebondi. Il avait d’un geste posé sur la table voisine le bouquet champêtre factice et poussiéreux, le cendrier de verre fumé et le serviteur huile-vinaigre de métal chromé. Il avait dégagé la table pour mieux faire circuler ses mains, à la recherche des siennes à elle. Ils s’étaient arrêtés dans l’unique pizzeria d’une petite ville de la Tarentaise qui tenait plutôt du gros bourg . " La capitale historique de la Tarentaise ", vantaient les prospectus touristiques. "Au pied des grandes stations de ski et du Parc Naturel de la Vanoise".

C’est un peu par hasard que leur ballade les avait déposés là, au terme d’une journée à la rencontre des vieilles pierres religieuses, des retables baroques et des tabernacles de bois doré. Une douce journée de septembre mais qu’elle vivait sur la pointe des pieds. Ils avançaient ensemble depuis six mois, lui reculait parfois. Seul. Cette histoire toute neuve, il la trouvait trop forte, trop colorée, trop lumineuse, trop subite. Effrayante. Mais à son corps défendant il en avait besoin. Il avait un besoin vital d’elle, alors même que parfois il tentait de fuir, se réfugiait dans sa grotte mentale, laissait résonner le téléphone dans la pièce, lui disait «non pas demain…», lui disait «je ne crois pas que…». Luttait contre le manque d’elle, ce sentiment tout nouveau et incontrôlable. Désagréable parce qu’incontrôlable, lui toujours maître de ses émotions, de ses sentiments, de sa vie. Depuis quelques mois d'ailleurs, tout lui échappait. Ce en quoi il croyait , ce qu’il avait mis tant d’énergie à bâtir, comme on construit sa vie pierre par pierre, laborieusement, comme un vaillant petit maçon. Alors bon, s’il pouvait reprendre tout ça en main, redevenir le maître de ses sentiments, de son chemin personnel, ce serait bien. Ce serait un pas de fait sur la voie de la guérison. Il lui fallait reprendre tout ça de main d’adjudant, mettre une bonne couche d’emplâtre à l’oubli sur la douleur et la nave va.
Mais voilà, il n’en était pas ainsi. Du moins, les choses ne prenaient pas ce tour-là du tout. Qu’est-ce qu’il avait eu cette envie de prendre des nouvelles ! Et il s’était, comme Alice dans le tunnel, laissé glisser, happer sans réagir. Pour voir. Après tout, ça n’était pas si désagréable. Mais à présent il réalisait qu’il ne pouvait plus détacher ses pensées d’elle. Elle restait là, en surimpression, partout, tout le temps. Parfois alors il ruait, il prenait du large. « Au bout de ton élastique», disait-elle, patiente. «Et lorsque l’élastique reviendra à son point initial, je serai là». Sûre d’elle, présomptueuse, orgueilleuse «Je sais que c’est toi pour moi et moi pour toi». Le pire c’est qu’elle semblait avoir raison, la bougresse. Elle semblait mieux le connaître et le comprendre qu’on ne l’avait jamais fait. Pis, elle semblait lire dans ses états d’âme. Comme lui en elle.

Ils en étaient là de leurs découvertes ce dimanche de septembre, attablés dans une pizzeria au décor faux rustique montagnard. Même la clarine, cette grosse cloche que portent les tarines dans les pâturages, était accrochée sur l’un des murs. Art populaire local. Avec le moule à beurre en bois d’épicéa sculpté, la grolle conviviale et la poterie vernissée.

Tout à trac - était-ce la tendresse de la journée, l’ambiance romantique de la bougie près des verres à pieds, ses mains dans les siennes, le Porto…- il lui dit :

- Est-ce que tu as envie de faire un enfant avec moi ?

(Tu parles, Charles !)
Elle était dos à la salle, elle ne pouvait même pas laisser divaguer son regard sur les autres clients pour diluer le choc. Elle n’avait que ses mains dans les siennes et la gerbe de blé sur le mur pour se noyer le regard. Ses yeux à lui en face d’elle. Imploser. Elle implosa. A l‘extérieur, impassible ou presque, juste souriante. Juste un feu d’artifice incontrôlable fit pétiller ses yeux. Elle savait dompter le cheval sauvage au galop, elle savait dompter le taureau furieux de ses émotions. En réponse, elle sourit. Elle avait les mains froides. Il savait qu’elle avait aussi les pieds froids et qu’elle s’entortillait dans la couette en dormant. Il savait qu’elle avait des casseroles aux chevilles, une vraie quincaillerie qu'elle trainait là. De la bonne grosse marmite en fonte qui vous ralentit bien l’allure à la série de casseroles en alu qui font un boucan du diable. Il savait tout ça. Et pourtant, il envisageait un enfant d’elle. Pour l’élever avec elle (enfin, ça elle ne lui avait pas fait préciser mais ça lui semblait couler de source…)
Oups. C'était bien de son envie à lui qu'il s'agisssait-là ? Ou était-ce un piège ? Sadique. Pour mieux lui répondre, une fois qu'elle aurait dit ouiouiouioui : "ben moi non... dommaaaaage".

Leur vie à deux a véritablement commencé à ce moment-là. Des ambitions communes, des pensées, des envies et des gestes qui convergent. Elle avait appris que ça n'est pas partager le quotidien qui crée le couple. Si le couple n’existe pas avant. Le couple ne se fabrique pas comme on suit un patron de couture. Ou une notice de montage. Il est. Point. Ou il n’est pas. Point. Y a pas à tortiller du... pour aimer droit !

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23 Comments:

Blogger Anitta said...

Des fois, bien mieux que dans des palais rutilants ou des auberges joyeuses, c'est dans les pizzérias incertaines de gros bourgs endormis que viennent se nicher de concert, tels deux oiseaux fatigués d'avoir tant volé, le romantisme et l'amour... Très beau récit. Merci :-)

9/1/07 14:30  
Anonymous Anonyme said...

Oui, c'est bien ça, à la virgule près, au souffle près, à l'hésitation près… "elle semblait mieux le connaître et le comprendre qu'on ne l'avait jamais fait"... Définitivement, elle le comprend mieux que personne, mieux que lui-même. Elle pour lui, lui pour elle, nous pour nous. Je t'aime.

PS ; Anita, tu m'a volé la prem's !

9/1/07 14:37  
Anonymous Anonyme said...

Je suis là devant mon écran ... tu peux me dire pourquoi les clients face à moi ont l'air de de se demander pourquoi j'arbore un tel sourire béat ???

Très belle note

Merci

9/1/07 14:59  
Anonymous Anonyme said...

Ah quand même, c'est débloqué ! Ta raison, la recette du couple, si recette il y a, ne se trouve pas dans "Modes & Travaux". Il faut chaque jour inventer, ne pas perdre son ouvrage de vue et chaque jour telle Pénélope (?)y revenir...sans faire tapisserie ,-)
Bises et bonne journée
PS: beau texte !

10/1/07 06:23  
Anonymous Anonyme said...

C'est bricol girl qui est venue faire des travaux chez toi, impossible d'accéder chez toi hier ;o)

Bonjour fd, tu vas bien ?

Bises et bonne journee

10/1/07 13:21  
Anonymous Anonyme said...

Ca fait du bien, de lire ce texte, la reconnaissance (j'aime cette idée, mieux, ce sentiment de toujours s'être connus et de se retrouver un jour).

Ca sent le bonheur, vous deux :)

10/1/07 13:21  
Anonymous Anonyme said...

C'est Tite a raison j'ai voulu poster hier et pas moyen !!!
Sinon pour ton texte beeeeeeeeeeen comme d'hab. c'est bôôôô !

10/1/07 13:48  
Anonymous Anonyme said...

C'est très beau, très bien écrit et surtout très juste...parce que je pense sincèrement que c'est cette envie là qui fait le couple ...
merci...

10/1/07 17:31  
Blogger FD-Labaroline said...

* Anitta, certes, ce n'est pas forcément le lieux qui fait le romantisme :-)

* l, rhâââââ....!

* Titeknacky, ben si ça te rend joviale au boulot tu m'en vois ravie ! Oui, y avait un méchant truc hier soir sur Blogger et aujourd'hui c'est mon ordi et la borne Wifi qui étaient fâchés... :-( En même temps, c'est mercredi alors aprèm speed. A faire le taxi aux diverses activités. L'année prochaine pas d'activités le mercredi, j'en peux plus !

* Bérangère, oui, ça se tricote avec amour, un couple, pas en pensant à autre chose la tête ailleurs...

* Isadora, je pense qu'on PEUT, dans sa vie, croiser celui qui... il faut juste que ça soit au moment opportun dans la vie de l'un comme de l'autre... Je l'ai trouvé, il n'était pas dispo, je me suis noyée dans une histoire avec le premier qui m'a proposé un bébé à ce moment-là... pour finalement retrouver, avec de la maturité appréciable, celui entr'aperçu 15 ans plus tôt. Magique !

* La Troll, ça va toi ton mercredi ? je connais d'autres histoires aussi belles que la mienne, tu veux que je t'en raconte une ?!

* Soeur Anne, oui c'est bien cette envie-là... mais parfois on le découvre trop tard :-(

MERCI A VOUS, VOS COMMENTAIRES SONT CHALEUREUX ET ME TOUCHENT...

10/1/07 19:51  
Blogger LiliLajeunebergere said...

J'espère que la pizza était bonne

(excuse, je suis toute émue d'avoir lu ce texte, je ne trouve pas plus intelligent à dire)

10/1/07 19:52  
Blogger FD-Labaroline said...

*Lililajeunebergère, aucun souvenir de la pizza, vraiment aucun. Mais mémoire n'a épongé que le plus important !

10/1/07 20:33  
Anonymous Anonyme said...

Leur vie à deux a véritablement commencé à ce moment-là. Des ambitions communes, des pensées, des envies et des gestes qui convergent. Elle avait appris que ça n'est pas partager le quotidien qui crée le couple. Si le couple n’existe pas avant. Le couple ne se fabrique pas comme on suit un patron de couture. Ou une notice de montage. Il lui suffisait alors de continuer à commencer pour longtemps et toujours ce moment là. Le répéter toujours et longtemps. Un moment que rien n’avait prévu avant et surtout pas après. Un moment qui avait la douceur d’un cadeau. Des chaussures neuves qu’on remplaçait parce que les autres étaient usées et qu’il fallait seulement commencer à marcher, seulement commencer à s’envoler... (fd, rien, j’aime ce que tu es...)

10/1/07 23:34  
Anonymous Anonyme said...

Un morceau de toi toujours aussi émouvant, mais là on sent poindre l'éclaircie.

11/1/07 06:13  
Anonymous Anonyme said...

Si la pizza est encore chaude, j'en prendrais bien un bout sinon un thé au lait !
Bisou !

11/1/07 07:33  
Blogger FD-Labaroline said...

* JPol, superbe enchainement et mélange de nos mots ! "Le répéter toujours et longtemps". Mais en mieux chaque jour (sinon aucun intérêt !)

* BricolGirl, mieux que l'éclaircie ! à croquer à pleines dents.

* Bérangère, allez, un thé noir avec un nuage de lait qui marche. Et une tranche de brioche au citron-pamplemousse de ma copine la machine à pain...

11/1/07 08:29  
Anonymous Anonyme said...

Faudra que je mette en ligne une chanson de Clarika à laquelle ton texte me fait penser (qui s'appelle De quoi c'est fait l'amour) ^^

11/1/07 08:35  
Blogger FD-Labaroline said...

* Isadora, OK OK. Je ne connais pas bien Clarika. Tu vas bien ?! Ici brume légère qui rase la plaine et nuages accrochés à la crète des montagnes.

11/1/07 08:38  
Anonymous Anonyme said...

Ca va, aussi bien qu'avec une crève :)
Pas de brume, du gris humide et froid, mais enfin, c'est quand même une sorte d'hiver.

11/1/07 09:06  
Anonymous Anonyme said...

Comme la dernière fois, je ne sais quoi rajouter, si ce n'est que tu écris magnifiquement bien.
Mais ça aussi je crois que je l'ai déjà dit..

11/1/07 09:09  
Anonymous Anonyme said...

Pas joviale ... bé-a-te !!

Parce que c'est bô, parce c'est fort !

11/1/07 13:13  
Anonymous Anonyme said...

J'adore le Tu parles Charles !! (en plus du reste du texte qui me fait fondre)

(rien à voir, mais comme je ne sais pas si tu relèves souvent tes courriers sur ta messagerie pro, pour vérifier si nos deux hommes sont bien au même endroit en ce moment -jeudi soir- : le Léti, ça te dit ? Sinon, je n'ai rien dit !)

11/1/07 21:02  
Anonymous Anonyme said...

j'adore la conclusion ;-)
j'ai 2 neurones qui se battet là, mais demain je repasserai relire tout ça ...

15/1/07 14:31  
Anonymous Anonyme said...

Redeviendrions-nous tout petit dans de telles circonstances...?
L'intellect est au néant, rien n'est vraiment réfléchi (Malgré être convaincu du contraire)
Tout est instinct, folie, déraison, tout est "AMOUR"

C'est comme ça, on n'y peut rien et tant mieux ;-)

15/1/07 16:01  

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