samedi, août 26, 2006

E pericoloso sporgersi (1/2)

Une histoire d'ELLE... Génese.

... à L.

Elle l'avait rencontré quand elle travaillait dans ce journal, ce canard gratuit de news locales, une première à l'époque. Mais qui n'a pas tenu un an. C'était après la fac, elle avait payé son tribut, sa dette à l'éducation reçue, en fille sage et docile. Elle avait fait ses études presque comme maman. Tout le monde était content.

Alors, son diplôme de traductrice en poche, elle s'était émancipée. Elle s'en fût vendre ses mots. A ceux qui en voulaient bien. Elle mettait ses mots sur ces papiers glacés aux couleurs mal assorties, qui transitent par les boites aux lettres avant de finir à la poubelle, à envelopper les épluchures des légumes. Elle devait trouver des mots qui fassent acheter des choses aux gens. Elle s'amusait avec les mots, et en plus elle était parfois payée pour ça ! Jusqu'à cette fois où on lui a demandé de rester avec ses mots, tous les jours, et d'être payée pour ça tous les mois. Elle aurait enfin des vrais événements de la vraie vie à raconter dans un vrai journal que peut être les gens liraient, cette fois. Avec ses initiales en dessous. Des inaugurations de crèches, des vernissages d'expositions, prêter ses mots à des gens qui avaient des choses à dire.

Parfois, on la rappelait à l'ordre.
- Allo ? C'est la maquette. J'ai un problème avec un de tes textes, tu peux passer s'il te plait ?

- ouioui j'arrive...(glups, elle faisait intérieurement)

Elle arrivait, le coeur battant et le pas trainant. Parcequ'il y avait aussi le maquettiste... Il y a parfois des gens que l'on croise dans la rue, dans un bus, au supermarché, sur son lieu de travail... dans des circonstances de passage, des gens qui irradient. Qui dégagent une sorte de lumière. Qui nous attire, sans qu'on sache bien préciser pourquoi, comment. Comme une connexion furtive, fugace, inappropriée mais apaisante. Même si ça ressemble parfois à une occasion manquée. Des atomes qui s'accrochent brièvement, et qui s'éloignent, emportant avec eux ce bout d'étoile. Et l'on se dit que dans d'autres circonstances on pourrait deviser amicalement devant un café, et qu'on serait juste bien ensemble. Qu'on se ferait du bien. Qu'on aurait plein de choses à se dire. Ces instants brefs sont souvent marquants...

Le jeune maquettiste, ça lui faisait cet effet-là avec lui. Alors elle arrivait doucement vers la porte, restait en retrait, se mettait en biais contre le mur, dans cet interstice étroit tout en longueur d'où l'on ne voit que le profil, concentré. Le nez, les lèvres, les mains, la nuque, la ligne flottante des cils, la respiration devinée... Cet instant volé à l'intimité de l'autre, où l'on observe, non pas par voyeurisme mais pour faire le plein, se gargariser les yeux. Et se sentir vivant.

- Y a un problème avec mon texte ?

- C'est trop long, c'est beaucoup trop long. Il faudrait enlever tout ça. Et il montrait un grand bout, trop de mots, savammement choisis par elle et qu'elle devrait ranger dans sa besace à mots, à contrecoeur. Des mots sur le banc de touche, jusqu'au prochain match...

- Bon bon d'accord. Disait-elle sans le regarder. Il était intouchable, sur un nuage, sa femme attendait leur premier enfant...

Si elle avait pensé qu'il garderait d'elle, des années plus tard, une autre image que celle d'une gourde insignifiante, elle en aurait rebondi de joie contre les murs. Si même elle avait pu imaginer qu'il puisse se souvenir d'elle, ça lui aurait suffit pour faire des triples salto arrières.
A défaut du maquettiste, il y avait le directeur artistique, qui promenait ses cheveux longs, son parisianisme et son nombril démesuré dans sa golf GTI décapotable. C'était pour elle son année folle ; comme une liberté toute neuve, débridée. Mais à l'usage, le directeur artistique s'est vite révélé un bien piètre ... divertissement.

Ils se sont rencontrés, tout de suite il lui a dit
- toi je vais t'épouser.
Une boutade, peut être..! mais elle s'est dit
- Oh chic oh chic !
C'était le premier qui lui proposait de l'épouser, de faire des enfants avec elle. Une aubaine pareille, vous pensez, ça ne se refuse pas.
Elle lui fit alors une place dans sa salle de bain. Et dans son coeur. Il était drôle, avec son nom plein de particules, son titre nobiliaire, héritier désargenté d'une éducation et d'une noblesse décallée. Anacronique. Mais elle prenait ça comme une étude anthropologique in situ. Elle y passera treize années en immersion totale.

Même si parfois il débloquait un peu, ça l'amusait. Même quand il disait le plus sérieusement du monde qu'il avait découvert tout seul le principe du voyage dans le temps,

- le temps est une spirale, il suffit de sauter d'un anneau à l'autre. Lui expliquait-il avec force schémas. Il la construirait un jour, sa machine ; d'ailleurs il avait déjà tous les plans infaillibles dans sa tête.

Même quand il disait qu'il connaisait les secrets séculaires de la magie noire, qu'il avait même tué un type comme ça, "sisi je te jure, depuis j'ai arrété, c'est trop dangereux" ; même quand il disait qu'il sortait de son corps la nuit pour se regarder dormir ; même quand il disait qu'il lui était arrivé de s'habiller en fille. De toutes façons, elle avait toujours attiré les types un peu barrés, à l'époque.
De celui qui pendant des mois lui empruntait ("promispromis, je te les rends dès que je peux mais là c'est supersuper urgent") ses maigres salaires d'étudiante-serveuse pour payer ses dealers ; celui qui lui avait dit

- je retourne chez Guillaume...

Celui qui cherchait son âme d'écrivain en se prenant pour Charles Bukowski sans rien écrire... Alors, un original de plus à sa collection... ma foi.

Elle l'a emmené dans les musées, au cinéma découvrir Ken Loach, Almodovar, Steven Frears. Il lui a fait découvrir la littérature de Philip K. Dick. Et son monde à lui. Et les codes de ce monde.
- C'est à nos codes que nous nous reconnaissons entre nous, même de loin nous savons reconnaître l'un des notres. Il faut être né dedans, ça ne s'apprend pas. C'est une classe toute naturelle, une grâce de naissance.

Le Roi est mort... vive le roi ;-(

A suivre...

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4 Comments:

Blogger Anitta said...

(la boîte à comm' refait des siennes, on dirait). Je disais donc : dommage qu'ils ne travaillent pas au Petit Bulletin du Vieil Armville, ces deux-là... Enfin, surtout le maquettiste, d'ailleurs, parce que le directeur artistique, là, quelque chose me dit que... Mais je saurai attendre patiemment la suite, hein ?

26/8/06 17:30  
Blogger FD-Labaroline said...

Anitta, c'est drôle mais il y a dans ton com quelque chose qui se rapproche de la vérité, mais ce n'est probablement pas ce que tu crois !

26/8/06 18:52  
Blogger *isadora* said...

Holala, mais il faut la suite, là...

27/8/06 09:14  
Blogger FD-Labaroline said...

Bonjour Isadora, et bienvenue ! La suite va venir très bientôt.

27/8/06 11:58  

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