lundi, février 12, 2007

Doélévi, ch.2

Kútɔ́nú




Lorsque l’avion atterrit, mon cœur se gonfla à nouveau dans ma poitrine. Comme il l’avait fait lors du décollage. De joie, la joie de la découverte, des retrouvailles avec mon père, et puis, il faut bien l’avouer, ce bonheur tout neuf du voyage en avion. Avec un frétillement tout particulier pour la phase de décollage. J’aime le vrombissement assourdissant des moteurs... leur ralentissement juste avant que l’oiseau ne s’ébranle… accélère…s’élance…ralentisse à nouveau pour mieux repartir et … cette micro seconde excitante où les roues lâchent le sol… accentuée par la sensation euphorisante du cœur qui remonte dans la gorge, avant l’exercice «des oreilles»… Habituées de la montagne, nous savions ma sœur et moi bailler à la demande ou mieux, faire «claquer» nos tympans en expirant fortement nez bouché. C'était un jeu que nous adorions.
Puis à l’arrivée, la découverte d'une ville, la plongée sur les bâtiments, apercevoir la ligne droite et noire du tarmac et entendre le CCCRRRRRR des roues qui se posent … Plaisir toujours renouvelé.
J’y prends tant de plaisir qu’il m’arrive de me dire que je vole la part de sérénité qui devrait normalement revenir à ceux à qui elle fait défaut à présent, ceux qui ont le mal de l’air, mal aux oreilles, mal aux jambes, trouille au ventre et malheureux des longs courriers.

Juste avant que l’avion ne se pose, j’ai vu la mer, toute toute proche. Si proche qu’on pourrait craindre que l’avion ne s’arrête à temps et qu’il finisse sa course le bec dans le sable blanc. «Papa sera là ?» Je pense que nous avons du poser la question au moins cinquante fois à ma mère… Il faisait chaud et humide sur la passerelle métallique. Ma sœur et moi avions notre uniforme «short-T-shirt». Fleurs rouges sur fond blanc pour moi. Fleurs bleues pour la braillarde. Aujourd’hui encore je m’étonne de l’acuité avec laquelle je me souviens des vêtements que nous portions pour ce voyage et de nos bermudas en jersey. Et des débardeurs assortis. Une main dans la main de ma mère, l’autre tenant mon sac de Barbies et de livres, j’ai traversé en sautillant les quelques mètres de goudron qui nous séparaient du bâtiment rectangulaire.
Quelques instants après, il était là, parmi d’autres. Mon père. Et je constatais que pour la première fois, il se confondait aux autres, sa couleur, loin de le rendre repérable comme ça avait toujours été le cas, le fondait dans la foule. Pour la première fois je voyais une foule... en couleur inversée par rapport à ce que je connaissais.

C’est en sortant pour rejoindre la voiture que j’ai vraiment fait connaissance avec le pays. Le premier contact. La première minute. C'est important, la première minute. L'odeur, le vent moite de l'Atlantique qui baigne le Golfe de Guinée. Engloutie dans les sièges de velours de la grande voiture beige de Grand-Papa. Avec chauffeur. Grand-Papa avait un chauffeur. Mon père serait venu nous chercher en carrosse rose nacré avec suspensions en or forgé, cheval blanc et cocher blond en livrée rouge à boutons dorés que je n’en aurais pas été plus impressionnée. Et pendant toutes les années qui vont suivre, j’aurai devant mon grand-père, ce vieux monsieur à l’autorité «de fait», une admiration pantoise. Cet homme qui possédait grande voiture avec chauffeur.

Le premier paysage qui s’est offert à nous, c’était les joncs des dunes de la plage en sortant du parking. Du sable fin, blanc, de petites dunes aux cheveux verts. Par chance, la route qui relie l'aéroport au centre ville longe la plage. Superbe, immense. Et déserte. Déserte en journée sous le soleil plombé, aux heures où seuls ne sortent que "les touristes et les chiens fous". Et la plage s'anime peu à peu avec le coucher du soleil pour devenir une vraie place de marché le soir venu. Feux de bois et grillades, rires et bruyantes palabres.

Pour l'heure, la voiture nous offrait une jolie promenade le long du Boulevard de France, effleurant à droite le Palais Présidentiel, les ministères et les ambassades, le quartier résidentiel, la plage, en direction du quartier Zongo et de la lagune qui coupe la ville en deux. Pour l'occidental qui arrive par avion (d'autres viennent par le nord du pays, bravant le Sahara d'Algérie et du Niger, pour arriver à Nattitingou, poussiéreux et enturbannés, fiers à raison, au volant de leur Peugeot survivante), l'immersion dans la ville se fait graduellement : tout autour de l'aéroport, les quartiers résidentiels et la grande avenue goudronnée rappellent cette Europe que l'on vient de quitter, n'étaient-ce les colonnes de palmiers, l'air chaud et iodé, l'explosion des bougainvillés et des hibiscus. Petit à petit, au fur et à mesure de la plongée vers le ventre de la ville, vers la lagune qui relie l'océan au sud au lac Nokoué qui borde la cité au nord, en bifurquant à gauche après le port et ses hôtels de luxe pour touristes frileux, la ville se resserre, elle est plus dense, les rues plus étroites et plus cahotiques. Pour arriver au coeur qui bat, the place to be, le grand marché de Dantokpa, au niveau du Pont Neuf qui relie les deux rives de la lagune, les deux morceaux de la ville.



Du bruit tonitruant, des odeurs mêlées, de l'eau partout, de l'océan à la lagune et au lac, de la poussière de la latérite rouge, cette poussière collante toujours, de l'humidité, du vent chaud dans les palmiers, ce sont mes premières sensations. Sensuelles et indélébiles.
Lorsque la voiture s'engagea dans une grande rue non goudronnée, lorsque je vis les enfants du quartier, torses nu, reconnaitre le véhicule et l'accompagner en courant jusqu'au grand mur recouvert de bougainvillés, j'étais pétrifiée de timidité.

"Yovo-Yovo-bonsoi'-ça-va-bien-miiinci" chantaient-ils à tue-tête et en choeur.

- ça veut dire quoi, Yovo ? pourquoi ils disent Yovo tout le temps, les enfants ?
- Yovo ça veut dire "Blanc", en langue Fon.

Je découvrais soudain que, loin de me fondre dans la foule comme je l'avais attendu, je serai, là-bas ou ici, toute aussi repérable. Cette litanie, ce chant enfantin hérité du temps de la colonisation, allait accompagner chacun de mes pas pendant six ans. J'allais apprendre à vivre avec, à me déplacer avec, à grandir avec. A n'y faire pas plus attention que les quolibets de négresse ou chinoise (chinoise ?! je n'ai jamais su pourquoi...) qui m'étaient jetés avec bien plus de mépris lorsque j'étais en France.


Je découvris un pays dont le rythme, le tumulte, le foisonnement, la richesse, l'Histoire passionnante et baillonnée, l'apparente anarchie de tout m'emplissaient, un bout de terre près de l'équateur dans lequel je me retrouvais à y vautrer mon âme mais qui, pas plus que mon Dauphiné natal, ne m'accueillait comme enfant de sa terre, de sa culture, de son giron. Cette atmosphère dans laquelle je me lovais, qui me sied si bien encore aujourd'hui, cette impression de fusion avec le lieu, de le comprendre et d'en être absorbée, je l'ai retrouvée plus tard dans le sud de l'Italie, en Calabre et en Sicile. Et paradoxalement également, à Londres.

Wherever I lay my hat, that's my home.

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19 Comments:

Anonymous Anonyme said...

merci pour ce récit chaud, coloré, plein de vie...être de partout et de nulle part, tu es une formidable romantique en quête, en chemin entre le marché de Dantokpa et le Dauphiné...

13/2/07 07:17  
Anonymous Anonyme said...

Entre le dauphinée et la Guinée quel grand écart. Un récit bien charpenté comme d'habitude.
Mab

13/2/07 08:42  
Anonymous Anonyme said...

Un récit si bien ficelé, que j'en sens l'odeur de la terre chauffée par le soleil, et que je revis le moment où descendue de l'avion, après, le passage, je vis mon père, debout, grand et impressionnant de classe, comme une enfant, mais j'avais 50 ans.
Je ne vois rien d'auter à rajouter, si ce n'est que je vais aller le relire.
Gros bisous

13/2/07 10:09  
Anonymous Anonyme said...

J'avais chaud en te lisant, j'y étais avec toi...
J'adore ta citation à la fin...
Mais définitivement, je suis verte, moi qui ai le mal des transports...

13/2/07 10:22  
Anonymous Anonyme said...

Impressionnant comme d'habitude !
Je reviendrai quand je me serai remise de tout ça !!!

13/2/07 19:32  
Anonymous Anonyme said...

Superbe narration, tout y est, l'image, les odeurs, les bruits, l'emprise du Pays sur des épaules d'enfant.

13/2/07 23:41  
Anonymous Anonyme said...

Et toi ma grande, tu es où ?
Je viens prendre de tes nouvelles.
gros bisous, je pense à toi.

14/2/07 09:43  
Anonymous Anonyme said...

Rhoo lala ... que d'émotions !!

C'est tellement bien raconté que tous nos sens ne peuvent être qu'en éveil (ambiance, chaleur, odeur, couleurs, paysages)

Décidément, passer par chez toi est une vraie récompense.

Bravo

Bises

14/2/07 11:16  
Anonymous Anonyme said...

Un bon moment de lecture ta rencontre avec le pays de tes origines et de ton enfance. Emouvant. Merci de nous la partager aussi bien.

14/2/07 13:47  
Anonymous Anonyme said...

Plus terre à terre, je venais prendre de tes nouvelles, enfin de cette satanée migraine.
gros bisous et à demain, je repasserai, c'est fou ce que je me balade en ce moment.

14/2/07 21:29  
Blogger *isadora* said...

Chouette récit, on y est.

Tu crois que ça veut dire que je me sentirais chez moi si j'allais là-bas, comme je le ressens en Calabre (chez moi, donc) ?

15/2/07 11:34  
Blogger FD-Labaroline said...

* Bérangère, tu m'emmènes promener chez toi, je fais de même lorsque vous venez me rendre visite... Ma quête est terminée, "the best of both worlds" comme ils disent !

* Mab, le golfe de Guinée baigne les eaux du Bénin. De la Guinée aussi, certes. Dauphiné, Bénin,Italie...

* Maitressedecole, merci de sentir avec moi la chaleur humide, l'odeur de la lagune et les bruits de la ville...

* SoeurAnne pas de bol pour le mal des transport, tu devras renoncer à une belle carrière d'hôtesse de l'air, trop dommage :-(

* LaTroll, ça va, bien remise du voyage ? attends plus tard, ça va se gâter...

* Maky, j'ai adoré y vivre... même dans les conditions qui suivront. Je suis persuadée que c'est nécessaire de vivre ses deux cultures, pour être ensuite un adulte serein et en paix avec ses origines...

* Titeknacky, et je n'ai pas encore parlé des fruits, des petits ananas qui poussaient dans le jardin ni du manguier près de la terrasse...

* Tanette, j'aime partager mes petits voyages de vie, les bons comme les moins bons...

* (re)maitressedecole, migraine bien mieux, merci.

* Isadora, oui, je pense que tu y serais à l'aise. J'ai ressenti ça aussi "chez toi", près de Reggio-Calabria où j'ai passé qqs mois et à Messine,en face,où c'est plus l'Afrique que l'Europe occidentale.

15/2/07 14:18  
Blogger FD-Labaroline said...

PS à Isadora : ravie de ton retour dans la blogosphère, tu te fais trop rare !

15/2/07 14:18  
Anonymous Anonyme said...

Merci de donner de tes nouvelles, gros bisous

15/2/07 20:28  
Anonymous Anonyme said...

T LAITE!!!

17/2/07 04:27  
Anonymous Anonyme said...

Je passe pour te souhaiter un bon week end, j'espère qu'il fait aussi beau chez toi que chez moi..
bisous

17/2/07 10:20  
Anonymous Anonyme said...

Allo ???? ^_^

20/2/07 10:14  
Anonymous Anonyme said...

MDR je suis allée voir d'où venait mon com...............
continue tu as bien raison
gros bisous

20/2/07 10:35  
Anonymous Anonyme said...

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Bonjour,
J’aurais quelques questions ?
Votre identité est-elle Sonia Holst???
Car le texte rattaché à ce nom ne correspond pas à ma philosophie et mon écriture, et si l’on fait une recherche via mon nom, on tombe sur ce texte.
Ayant plusieurs pages À mon nom sur le net, merci de préciser votre identité ou de changer votre pseudo si votre nom n’est pas vraiment Sonia Holst.
Merci
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13/10/07 11:15  

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