mardi, février 20, 2007

Une histoire de Nono : les vacances





Photo de




Ma mère a préparé mon sac, le gros noir, celui avec les roulettes. C'est elle qui le fait. Moi j'ai dit «Je m'en fous je le fais pas, je veux pas y aller. Tu veux que j'y aille tu le fais toi-même». Elle a répondu comme chaque fois « tu sais bien que ce n'est pas ça... » ça lui fait de la peine. Bien fait.

Demain je pars chez mon père pour une semaine. Je n'ai pas très envie mais il paraît que je suis obligé. Il paraît que c'est «son tour». Un coup chacun, une fois toi une fois moi. Bon, c'est vrai, je pourrais dire plus fort que ça que j'ai pas envie d'y aller, que je m'ennuie, que j'ai pas de copains, même si papa essaie d'être mon copain c'est pas pareil. Si on me demandait je dirais que je préfèrerais un papa. Et des copains, des vrais, quoi. J'ai demandé un jour si je pouvais y aller avec Djess (Djess c'est mon meilleur copain, je vous en ai déjà parlé ?) Papa a répondu « euh... écoute, c'est pas très pratique à la maison, tu sais bien. Et puis il faut que je demande à Nicole... elle est fatiguée en ce moment » Oui bon j'avais compris. Je suis pas très futé parfois mais là j'avais capté. Il dit jamais non mon père. Mais ça veut pas dire oui non plus. Ça veut pas dire oui du tout d'ailleurs. Même quand il dit oui des fois ça veut rien dire, son oui. Alors en général je n'y comprends rien : oui c'est pas forcément oui et rien c'est pas forcément non mais c'est pas oui non plus.

Pareil la fois où je lui ai demandé la console de jeux. Il a dit « Bon bon on verra... » d'un air agacé. Et puis pour mon anniversaire il m'en a offert une. Il était tout fier, il a fait style je me souviens pile poil que tu m'avais demandé celle-là. Mais ce n'était pas celle que je voulais. J'en avais rien à faire de celle-là, j'avais même pas de jeu, mes copains non plus. C'était nul. Je lui ai dit. Ben oui, quoi, j'étais déçu. Mais ça l'a enervé. Il a crié. Il a dit des mots. Ingrat ! Taré ! Même pas merci ! Pourri-gâté ! Monté le bourrichon ! Et il a jeté son grand bras contre moi. Comme il faisait avant. Comme quand il habitait avec nous. Cette fois encore je me suis mis en paquet ratatiné contre le mur, tout applati. J'avais du sable dans ma gorge. Dans ma bouche. Des milliers d'abeilles dans ma tête mais elles n'avaient pas le droit de sortir. Alors elles sont descendues dans ma poitrine et se sont transformées en milliers d'aiguilles. Comme elles font chaque fois que je dois les obliger à rester à l'intérieur. Tant pis si ça me fait mal dans ma poitrine, tant pis si ça fait comme si j'étouffais. Papa ! papa ! Quand il a balancé son bras contre ma tête, ça a fait pouk. Juste pouk, c'est tout. Juste assez pour que je redevienne tout petit. Pour que j'ai encore cette envie de disparaître, tout d'un coup, pouf. Envie de crier, de balancer mes bras moi aussi en même temps que plein de gros mots comme il fait lui.

De lâcher mes abeilles, mes démons, mes énergies.


Oh, bien sûr, vous le savez maintenant, des fois je les lâche mes énergies. Mais je ne veux pas être comme mon père. Je ne veux pas qu'on pense de moi ce que moi je pense de lui. Plutôt mourir si je savais un jour qu'on pense ça de moi. Ce que moi je pense de lui. Mais lui on dirait qu'il s'en fout, de ce que je pense, il reste là, avec sa Nicole. A faire genre je suis un père parfait, regardez comme je sais bien sourir et comme je ris fort.


Pendant les vacances je vais passer la semaine chez mon père. Elle a de la chance, Lili (Lili c'est ma petite soeur, je vous avais pas dit que j'avais une petite soeur ?) elle n'est pas obligée d'aller chez notre père. Le juge lui a interdit. Un truc comme ça. Elle n'a pas le droit, quoi. Pas le droit d'aller chez lui. Le juge a dit que s'il voulait voir sa fille qu'il vienne à la maison chez maman. Mais ça ne ferait pas plaisir à maman, qu'il débarque chez nous. Je crois. Mais je suis pas sûr qu'il ait demandé à voir Lili de toutes façons. Je vais passer la semaine devant la télé avec le grand écran dans le mur, à zapper les 70 chaines même celles dans les langues que je ne comprends pas. Et j'en connais d'autres, des chaines, celles qu'il m'a dit «tu ne regardes pas n'importe quoi, hein, mon grand» en me faisant un clin d'oeil la dernière fois. Mais pour ça il faut attendre que la Nicole soit sortie au restau avec lui. Les filles qui se tordent dans tous les sens en soufflant fort, avec des cheveux plein la figure et des seins énormes comme ceux de notre chauffeuse de bus quand on va à la piscine avec le collège. Je regarde pas longtemps, des fois je coupe le son pour les entendre rentrer. Alors je me dépêche . Quand je serai plus grand et que les filles voudront bien me faire passer des mots comme elles font à Djess en étude, je saurais comment faire, embrasser et le reste.
Des fois je voudrais lui apprendre à Djess parce que je crois qu'il ne sait pas mais il me pousse en criant « t'es con ou quoi ? Lâche-moi ! Pédé ! » C'est pas vrai, je suis pas comme il dit. Je veux juste lui montrer comment on fait, parce que je sais pas s'il apprend dans les films, comme moi. C'est aussi pour ça que je voulais qu'il vienne avec moi chez mon père, la dernière fois. Je sais, il m'a déjà dit «j'ai un grand frère, ça sert à ça aussi les grands frères, il me dira, lui». Mais j'ai pas confiance, son frère Greg est un crétin.


Mon père, il a un magasin. Un grand magasin de meubles, le plus grand de la ville, le plus beau aussi. Qui sent bon le neuf, avec de la moquette bleue marine et des lampes partout. Il est pas avec les autres dans la zone industrielle, il est en ville son magasin, dans la grande rue. Avec une immense enseigne «Au meuble moderne» et en dessous c'est écrit « Suptil et fils ». Le fils c'est lui. Avant c'était le magasin de mon grand-père, de son père. Déjà bien avant ma naissance c'était des meubles modernes. Enfin, modernes d'avant, quoi, pas encore des modernes de maintenant. Mais ce qui me fait peur c'est le « et fils ». ça veut dire qu'un jour je serai obligé de vendre des meubles modernes, comme mon père. Et mon grand-père. C'est aussi pour ça que j'aurais bien aimé avoir un frère, comme mon copain Djess a son frère Greg. Comme ça je pourrais dire à mon frère « Non moi j'en veux pas des meubles modernes, prends-les toi, sans façon, ne me remercie pas ». Mais je n'ai qu'une soeur. Ou alors il faudra qu'il mette « et fille » Ou alors il faudra qu'il fasse un petit garçon à la Nicole. J'en veux pas de son magasin de meubles. Ni de ses ballades en voiture. Ni de ses repas dans des restaurants où il connait tout le monde et où il fait semblant d'être gentil avec moi.

De rien? Je veux juste... Je ne sais pas. Mais pas ça. Tiens, juste qu'une seule fois, il me demande si j'ai bien pris mes cachets. Mais si ça se trouve, il ne sait même pas que je prends des cachets. Pour ne pas être comme lui.





Du mal à le lâcher, cet épisode-là de Nono... mais comme chaque fois, ça soulage !

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22 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Finalement il comprend beaucoup de choses le Nono.

21/2/07 07:39  
Anonymous Anonyme said...

On imagine sa difficulté pour y aller et la tienne de le voir partir..

21/2/07 08:04  
Anonymous Anonyme said...

Elle tue la fin, encore plus que le début, le pendant et le reste.

Prendre des cachets pour ne pas leur ressembler.

Je n'ose penser au nombre de blogueurs que cette phrase , paralyserait un instant les doigts sur le clavier.

21/2/07 11:07  
Anonymous Anonyme said...

Et ça a été mon cas maitresse, une phrase courte mais qui en dit tellement long ... enfin

Bisous FD, à bientôt

21/2/07 17:04  
Anonymous Anonyme said...

Pareil so6...............

21/2/07 17:23  
Anonymous Anonyme said...

bon fô que je te dise la vérité, j'ai relu les trois épisodes de Nono, je suis la progression, le/les personnages mais de qui parles-tu ? As-tu donné une clé qqpart dans un billet que je n'aurais pas lu ? Et ce qui m'énerve encore plus c'est que les z'autres, les commentateurs y z'ont l'air de comprendre....Grrr !
Bises

21/2/07 18:07  
Anonymous Anonyme said...

bérangère ,
on se la pète, mais on ne comprend pas qui est nono, à part une partie de nous mêmes ou de l'auteur.*
T'inquiète, t'es pas la seule.

ça va FD ? si tu veux ma belle, j'ai fait une note à la con, et normalement mes liens dont tu fais partie, sont invités à en faire de même, j'imagine avec ta plume le résultat...
Mais bon ce n'est pas obligatoire..
Bisous

21/2/07 18:17  
Blogger FD-Labaroline said...

A toutes : Rassurez-vous, Nono est un personnage FICTIF, entièrement né de l'imagination tortueuse de son auteure. Il est un mélange de réel cotoyé au fil des ans, des bouts de ci, des bouts de là. L'assemblage c'est ma part d'ombre, en quelque sorte, le glauque qui sommeille en chacun de nous (si si, en toi aussi, gentillette lectrice !), l'inavouable qui a besoin de surgir de moi lorsque, je constate, je dois remettre mes enfants à leur père ou lorsque je les récupère. Au lieu de me battre contre des moulins à vents et de me mettre la rate au court-bouillon, je jette du Nono. Mes noeuds se défont. Temporairement. Oui, je sais, moi aussi parfois je me fais peur...!

21/2/07 18:45  
Anonymous Anonyme said...

Le livre ! Le livre ! Le livre !

Sinon t'es bien rentrée ???

21/2/07 19:26  
Blogger FD-Labaroline said...

* La Troll, oui oui, bien rentrée, sourire béat aux lèvres et Lapin content aussi ! Bonne nuit et bonne journée demain.

21/2/07 21:28  
Anonymous Anonyme said...

Je sais bien que ce glauque, cette ombre on l'a en nous, mais tu la narres si bien, que cela devient littéraire, et beau .
bisous

21/2/07 22:05  
Anonymous Anonyme said...

ah bon je me sens mieux...j'avais peur d'être bête...bises à Nono !

22/2/07 10:06  
Blogger FD-Labaroline said...

* Maitressedecole, depuis que j'ai remarqué que partager ses cailloux fait du bien, je ne m'en prive pas :-) J'essaie d les peindre en jolis, mes cailloux, afin qu'ils effraient moins !

* Oh, une Nonotte ! J'en connais un qui sera tout content, ben tiens :-)

22/2/07 10:12  
Anonymous Anonyme said...

Tu sais FD des caillous, même s'ils ne sont pas beaux, ne peuvant pas faire peur...sur le mode lecture, j'entends.
En te lisant, j'ai l'impression d'ETRE Nno , c'est effarant. On voudrait le protéger, et tout ce qui s'ensuit.
Tu l'extériorises bellement, ta part d'ombre.
Mais combien d'horreurs, derrière les belles facades...

22/2/07 10:57  
Anonymous Anonyme said...

Eh bien tu es une artiste, parce qu'ils sont beaux tes cailloux.

Je devrais en faire autant, mais je m'en sens incapable, trop réaliste dans ma façon d'écrire je crois, ou pas cap...
ou les deux, plouf

Soeur anne a encore bien parlé elle aussi.

Fd, tu as une très belle plume, on aime te lire, que ce soit ici ou chez les autres, on reçoit tout, profondeur , humour et affection.

plein de bisous

22/2/07 11:02  
Anonymous Anonyme said...

pffffffffff en me relisant je vois que je ramène tout à moi.
Arggg c'est nul , désolée c'est posté.

22/2/07 11:03  
Blogger FD-Labaroline said...

* SoeurAnne, ah, toi aussi tu te fais peur alors, ça me rassure ! parfois j'ai l'impression d'être la seule à avoir des idées bizarres (pour le moins ! ) On ne peut pas protéger Nono, pas plus que tous ceux qu'on voudrait mettre à l'abri... hélas.

* Maitressedécole, arrête de t'autoflageller, là pour le coup c'est normal de ramener à toi, ce texte sert à ça, à réveiller en chaque lecteur un bout de Nono. C'est fait exeu-près, donc. Quant au lançage de cailloux, il faut de la distance et du recul, pour les lancer... Ce qui aide c'est apprendre à s'extraire de soi. A se regarder faire, et vivre. ça permet de (se)recadrer, ça fait du bien. ça aide à supporter, aussi.

22/2/07 11:12  
Anonymous Anonyme said...

Comment ça ... Bien qu'inspiré de faits reéls, il s'agit bel et bien d'une fiction !!!

Alors là chapeau ... tu vois franchement ... je pensais qu'il s'agissait ... pis à quoi bon ... certains trucs aurait pu expliquer ce qu'est devenue sa vie ... enfin ...

Tu pourrais écrire un livre ... sincèrement ... quelle imagination ... tout est si bien ficelé que cela semble vrai

bravo

22/2/07 13:14  
Blogger FD-Labaroline said...

* Tite, quand je dis inspiré de faits de réels, c'est de plein de trucs lus (dans les quotidiens locaux on ne manque pas de source d'inspiration, et comme je suis supposée faire une sorte de revue de presse régulièrement au CDI, je le lis presque tous les jours !), choses entendues, personnages rencontrés de (trop) près parfois, dans mes vies, dans les écoles des enfants, dans les miennes... Et toutes ces saletés de la nature humaine (si si, il y a des trucs bien cracrabeurk...), je n'arrive pas à les évacuer autrement qu'en regroupant tout en un paquet de Nono.
Non, il ne s'agit pas tout à fait de qui tu penses, mais un peu quand même, bien sûr. Si seulement IL avait eu assez de recul pour ne pas ressembler à son père, il n'en serait pas là aujourd'hui...

22/2/07 13:37  
Anonymous Anonyme said...

Comme dit so6, c'est si bien ficelé.

Mais j'imagine le travail que cela représente.
le "remuage", arf je parle bien hein ?

Bravo, ma belle, continue, enfin si tu veux bien; je sens qu'on est plusieurs à aimer.
Bisous

22/2/07 14:28  
Anonymous Anonyme said...

Et non, FD tu n'es pas la seule à te faire peur.
J'essaie d'extérioriser de la même manière que toi, parfois. Mais je ne suis pas encore prête à le laisser lire...
Il est constantt que toute production littéraire comporte une part de vécu et une part d'imaginaire. Je trouve superbe ta façon d'aménager les parts, et de les retranscrire ...

27/2/07 09:44  
Anonymous Anonyme said...

j'aimerais extérioriser comme toi ... comment y arrives tu ?

27/2/07 11:15  

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