Jéremie et Sérena
Il a appuyé son front sur la vitre pour voir à l'intérieur de la grande salle. Il est resté longuement, à la regarder, du dehors, sans être vu. Elle était assise à une table, concentrée sur le classeur ouvert devant elle. Sa tête était penchée vers la table, ses cheveux blonds faisaient un rideau de chaque coté de son visage et nul n'aurait su dire si elle travaillait vraiment ou si le temps s'était suspendu pour elle, dans l'attente... Après un long moment à l'observer, il est rentré dans la salle et il ne s'est pas dirigé vers elle.
Au bruit de la porte, elle n'a pas bougé. Elle se tenait de profil, elle a du le voir, elle a du reconnaître son pas mais elle n'a pas bougé. Pas levé la tête. Peut être que ses yeux l'ont discrètement caressé à distance. Ou peut être pas.
Il s'est installé devant un des ordinateurs à disposition des élèves, puis ses doigts ont bidouillé n'importe quoi, au hasard. Pour donner le change.
C'était la première fois que je les voyais l'un sans l'autre... l'un loin de l'autre. Un fort joli couple de 17 ans... le grand brun et la petite blonde. Un fort joli couple, ma foi. Attendrissants, touchants, plein de promesses et d'idéaux. Touchés depuis quelques mois par la grâce des violentes amours adolescentes. Heureux.
Lentement, elle a levé le visage de son classeur bleu. Discrètement. Ses cheveux ont bougé à peine. Elle est restée immobile ainsi un long moment, le regard fixé sur le dos de sa chemise blanche. Sur sa nuque. Sur ses mains. Un long moment. Avant de poser à nouveau ses yeux sur le papier ligné de bleu.
A ce moment-là, il a reculé sa chaise. Presque sans bruit. Comme s'il réfléchissait en même temps à ce que serait son action suivante. Il a déplié son corps comme au ralenti, puis il s'est levé. Comme si de rien n'était, il s'est approché de sa table. Dédaignant les six autres espaces de travail de la pièce, comme si c'était la seule place disponible dans la grande salle de lecture. Comme si de rien n'était, il s'est assis près d'elle, ni en face, ni sur le même côté de la table mais à la perpendiculaire. Tout près. Dans le coin de la table. Comme si de rien n'était.
Elle n'a pas bougé. Peut être ses yeux ont-ils tressailli. Peut être ses mains se sont-elles raidies sur le stratifié beige près du classeur bleu. Il a croisé ses bras sur la table et y a posé la tête. Le visage tourné vers elle. Et il l'a regardée intensément de ses yeux bleus bordés de cils noirs. Il l'a regardée longtemps. En quête. Elle n'a pas bougé. Elle n'a rien dit.
Il s'est redressé, sans la quitter des yeux. Il s'est penché vers l'arrière, a appuyé son dos contre le bois de la chaise puis a étendu ses longues jambes sous la table. Sans la quitter des yeux. Au moment où leurs jambes se sont rencontrées, elle a levé la tête, puis l'a baissé rapidement tout en glissant les siennes sous sa chaise, comme brûlée vive. Il n'a rien dit. Il n'a pas bougé. Elle n'a rien dit. Ni bougé non plus. Eux et moi étions seuls dans la grande salle. Je fais partie des meubles. Ils étaient seuls dans la grande pièce lumineuse.
Il a posé ses mains sur la table, paumes vers le haut... elles ont lentement glissé tout droit... se sont arrêtées devant le classeur bleu. Elle n'a pas bougé. Elle n'a rien dit. Peut être son regard, abrité derrière le paravent blond a-t-il discrètement dérivé vers le bord du classeur... peut être a-t-elle caressé des yeux les mains implorantes... Mais elle n'a pas bougé. Elle n'a rien dit.
Alors, il s'est levé à nouveau, s'en est retourné tapoter distraitement le clavier d'un ordinateur en s'essuyant l'oeil. Puis l'autre. A cet instant, elle a enfin levé la tête. Complètement. Je pouvais ainsi clairement voir son visage. Son regard. Ses yeux rougis. Son regard qui criait. A mon tour, je n'ai pu m'empêcher de la regarder avec insistance.
J'aurais voulu leur dire « Parle-lui, mais parle-lui, bon sang...» Mais je fais partie des meubles. Je ne suis pas supposée faire ça... Elle m'a vu, elle a repris sa rêverie au dessus du classeur jusqu'à ce qu'à nouveau, il revienne s'asseoir près d'elle, feuilletant aussi bruyamment que distraitement une revue de cuisine, saisie au hasard sur le présentoir.
Puis rien. Toujours rien. 40 minutes se sont écoulées ainsi dans un calme pesant, chargeant l'air d'une tristesse infinie et contagieuse. J'aurais voulu ouvrir les fenêtres sur la route, laisser entrer les bruits de la ville et de la vie. Le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles.
Lorsqu'a retenti la sonnerie, elle s'est levée, elle a rangé ses affaires sans précipitation. Peut être pour lui donner l'occasion encore une fois de lui offrir les mots qu'elle attendait. Il n'a rien dit. Il n'a pas bougé. Peut être pour lui donner à elle l'occasion encore une fois de lui offrir le regard qu'il attendait. Elle n'a rien dit. Elle n'a pas regardé vers lui. Elle a mis son classeur bleu dans son sac puis elle est sortie, elle m'a dit au revoir en passant. Ses yeux étaient humides.
Il est resté assis quelques secondes, les yeux rivés sur le présentoir à revues. Puis il s'est levé précipitemment lorsque la porte s'est refermée, a attrapé son sac au vol, marmonné rapidement un au revoir à mon intention et s'est rué à sa suite.
Je n'ai pas pu m'empêcher de me retourner pour regarder par les grandes baies vitrées qui donnent sur la cour. Je les ai cherché du regard.
L'a-t-il rejointe l'air de rien? L'a-t-elle attendu l'air de rien ? Lui a t-il parlé ? Lui a-t-elle parlé ?
Edit du 27/05
Je les ai observé du coin de l'oeil. Elle toute seule. Lui tout seul. L'un sans l'autre. Puis, ce matin, l'un... suivi de l'autre... sur les chauffeuses du coin lecture. Douces messes basses.
Mon coeur a fait ouf... Pourvu que ça dure ! A l'adolescence, l'immensité et la fulgurance de la passion égale celle des désespoirs...
Nous leur souhaitons du bonheur.
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27 Comments:
17 ans, l'âge de la découverte de l'amour et de ses brûlures…
Fouyouyou ce que c'est compliqué l'adolescence !!!
En 2008 c'est toujours aussi compliqué de dire les mots attendus!
A mon avis tu ne faisais pas partie des meubles..........
je leur souhaite d'arriver à franchir le seuil, et de s'aimer.
C'est magnifiquement écrit.
On y revivrait presque ses dix-sept ans.
* LorranDoux, oui mais quelle belle découverte, n'est-il pas ?!
* Mam Poussiiiiin, ben oui c'est compliqué... si tu as oublié, t'inquiète, y en a un qui ne va pas tarder à te le rappeler, que c'est compliqué, l'adolescence !
* Mab, en 2008, et puis à tout âge...
* Zaboo, je leur souhaite aussi, pour eux maintenant et pour eux plus tard... mais tu sais ce que c'est...!!
Quelle belle note ... on se replonge dans nos 17 ans ... nos premiers émois, nos premires doutes aussi ;o)
Magnifiquement écrit, j'en ai encore quelques frissons malgré la température estivale au dehors
Je vais de ce pas repasser une petite laine
Bises et bonne journée
arghhh c'est affreux cette histoire, faut faire qqchose pour qu'ils se retrouvent !
tu ne fabriques pas des philtres d'amour aussi ?
Beau récit, fort bien écrit. Je faisais partie des meubles et imaginais la scène pendant cette lecture.
ça me rappelle des souvenirs et c'est bon car...c'est très bien écrit ;-)
oui, je le sais comme toi...........
souhaitons leur tout de même.
Oui oui je sais bien qu'avec les "aneries" il y a aussi les chagrins d'amour !
Encore que les garçons ne les vivent pas comme les filles !
OUf ! Que c'est beau et surtout très bien écrit... J'en ai la chair de poule...
Et alors ? Elle l'a regardé depuis ? Il lui a parlé ?
On veut savoir, nous !
Ce que ça rappelle comme souvenirs...
Des mois de rêve, et parfois rien au bout..Une déception..;
Adolesence, parfois j'ai envie de dire "Ecole de la souffrance"
Oupsa je suis pas gaie, mais je n'ai pas eu une adolescence gaie...
Bon alors, Flo, sérieux, c'est quand est ce que tu nous fais un recueil de nouvelles là ?? Hein ??
je suis d'ac avec aile..c'est pour quand ?
Les as-tu revus ???????
bisous à toi,
* Tite, mais tu n'es pas loin de tes 17 ans, toi !
* Tirui, oui, ça m'a fait pareil... mais trop d'interventionnisme n'est pas bon !
* Tanette, moi aussi j'aime faire tapisserie parfois !
* Béné...souvenirs qui font chaud au coeur ?! pas à moi... brrrr....des moments pas glop !
* Zaboo... finalement, l'amouuuuur est le plus fort !
* Mam'poussiiiin, je suis sûre qu'elle s'en souviendra dans 20 ans et lui non...!
* Nat, on a tous attendu jusqu'aujourd'hui pour savoir ! j'ai fait ma concierge pour vous !
* Appllonia, vaut mieux connaitre cette douleur-là à 17 ans plutôt qu'à 40... un mal pour un bien, finalement.
* Aile, un recueil de nouvelles ?! quand les poules auront des dents et qu'elles pondront des oeufs carrés...
Enfin ... 23 ans !! mais merci kanmême t'es bien meugnonne ;o)
OUF !!!!
Ah, je suis bien heureuse de voir qu'ils chuchotent de nouveau de concert, ces deux-là. :o)
"fulgurance de la passion"... oui certes, ô combien douloureuse, presque inconfortable, même si les autres l'envient parfois.
Et puis, il arrive que la passion adolescence se transforme en autre chose... le sentiment dont on fait les couples qui durent.
J'avais 17 ans quand j'ai rencontré CM. Ca fait 19 ans... et trois enfants :o)
Les histoires d'amour finissent...bien en général!!!
la fulgurance de la passion...c'est quoi déjà ?
* Tite, coquette, va ;-)
* Kamaia, ben dis donc, chapeau, chuis sciée... et moi je me souviens à peine de qui j'étais amoureuse à 17 ans...
* Bricol'Girl, ben oui... EN GENERAL.
* MaBéné... pof pof pof pof... hé, mon oeil !
Quand je pense que je devrais gérer les histoires d'amour des Trollettes en même temps !!!! Brrrrrrrrrr j'ai encore quelques mois devant moi !!!
Heureuse que la situation se soit arrangée pour tes ti tourtereaux !!
Deux propositions : soit tu passes dans le coin....soit tu m'envoies ton adresse par mail..... pour les nouuuuuuuuuuuuuuuugats....
Euhhh les poules avec des dents ça existe déjà.. Donc les oeufs carrés ne vont pas tarder à suivre.. Donc prépare ton crayon et ta feuille blanche, le recueil c'est pas pour dans si longtemps !! ;-)))
Tu m'as redonnée envie d'avoir 17 ans. Ton texte a la sensibilité et la fragilité des amours adolescentes.
Qu'est ce que c'est bien écrit. Je me souviens du tumulte des premières amours...C'était bon. Bien sûr qu'après c'est autre chose mais plus rien n'a cette saveur.
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