jeudi, mars 05, 2009

Passeur de mémoire

Vous savez comme j'aime mon boulot, je l'ai suffisamment laissé apparaitre ici. Néanmoins, il est certaines journées que je n'aime pas du tout. Non pas que je déteste ou qu'elles me font regretter d'être où je suis mais certaines journées difficiles à vivre. Mais utiles. Mais difficiles, quoi. Aujourd'hui en était une.

Chaque année ou presque, les établissements dans lesquels je suis participent au Concours National de la Résistance. Le thème de cette année est " Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi ".
En clair, les enfants en camps de concentration. Sujet douloureux s'il en est. Travailler sur documents au cours de l'année avec les élèves de 3è, de 2de ou de BEP est une chose, accompagner (ou pas, selon les années) les classes visiter ici et s'émouvoir jusqu'aux larmes devant les petits cahiers abandonnés, ou ou encore est déjà une épreuve.

Aujourd'hui nous avons eu droit au cadeau final, la visite d'un conférencier, ancien Résistant et déporté. Certaines années, ce sont les déportés victimes de la Shoah, d'autres ce sont des Résistants. Peu importe, la douleur transmise et le sentiment de révolte qui nait alors en nous est identique.

Prenez 95 ados d'une quinzaine d'années, "gauffrés" par terre à même la moquette des 150 m2 du CDI, prenez un monsieur bien âgé mais fort vif, devant une table et une bouteille d'eau. Pendant plus de 2h, il a tenu son auditoire suspendu à ses mots ... pas un souffle autre que le sien ne se faisait entendre, pas un toussottement, pas une gesticulation... pas même un mouvement lorsque la sonnerie de la récré a retenti... Pendant plus de deux heures il nous a raconté sa Résistance d'adolescent d'alors, son arrestation. Puis Drancy. Puis Buchenwald. Puis le tunnel de Dora à fabriquer l'arme secrète du Reich, les fusées V1 et V2.

Et chaque année, à chaque séance, c'est toute l'horreur du XXè siècle qui s'abat sur une nuée d'ados, qui ne ressortent jamais indemnes de cette rencontre. Ils découvrent ce que leur semblable peut faire de pire, peut être de pire. Chaque année j'en suis toujours autant émue, troublée, ébranlée. Bouleversée. D'année en année je vois avec inquiétude les témoins vieillir. Chaque année, je me dis que ces élèves-là ont de la chance, dans 5 ans, un chouillat plus, les derniers témoins ne disposeront probablement plus de suffisamment de forces pour accomplir cette mission-là. Comme leur a dit le conférencier cet après-midi, "dans vingt ans, quand vos enfants vous demanderont, sceptiques, si ça a vraiment existé, vous leur direz oui, ça a existé".

L'année dernière, les classes de 3è de ce collège sont allées à Buchenwald. Ils n'oublieront pas. Pendant ce temps-là, dans le collège où j'étais, au fond de la vallée encaissée de la Maurienne, terre de Résistance, un monsieur fatigué nous montrait son avant-bras bleui. ça ne s'efface jamais, nous-avait-il dit de sa voix fragile...



Devoir de mémoire...





Edit : désolée, Blogger me fait du grand portnawak avec les tailles de police, pas le courage de fouiller son html.

9 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Sais pas quoi dire, sauf que ça me fait quelque chose de savoir que des jeunes ne se désintéressent pas du passé et de ses horreurs..
J'ai déjà vu des groupes d'élèves venir à Vimy, au milieu de centaines, voire de milliers de tombes et.. n'en avoir cure (pour rester poli).. Mais la tombe d'un soldat mort à 20 ans, loin de chez lui et il y a presque un siècle, c'est certainement moins saisissant qu'un vieux monsieur venant raconter sa déportation, c'est sûr....

Des bisous...

5/3/09 22:03  
Blogger bricol-girl said...

Non ça ne s'effacera pas, le témoin passe grâce à des moments aussi intenses vécus par des ados qui savent écouter.

6/3/09 06:36  
Anonymous Anonyme said...

C'est très dur ces témoignages. On ressent une profonde tristesse, de l'horreur, de la colère, de la peur, de l'amour aussi. En te lisant je me rappelle le bras de ma grand-mère et les petits chiffres et lettres en bleu. Elle n'est plus là et je regrette de ne pas les avoir noté. Je ne sais pas expliquer pourquoi mais depuis quelques années, maintenant que je suis plus vieux, que j'ai des enfants, je voudrais pouvoir me rappeler ce numéro... mais je ne peux pas... et j'en ai les larmes aux yeux...("un lecteur" assidu mais qui restera anonyme cette fois).

6/3/09 23:09  
Anonymous Anonyme said...

Marie-Claure Vaillant-Couturier était une amie de mes parents (enfin de mes grands-parents), elle venait déjeuner à la maison de temps en temps, j'avais l'habitude de discuter avec elle, nous parlions beaucoup photographie, elle avait exercé dans les années 30 le métier que j'ai fait plus tard.

Mais le jour où elle est venue dans mon lycée nous raconter la résistance, son arrestation, sa déportation, et surtout son témoignage à Nuremberg et qu'elle a tranquillement remonté sa manche pour montrer son matricule, ça m'a fait un effet très fort. Le "personnage historique" à pris le pas sur la charmante vielle dame avec qui je discutais habituellement de choses et d'autres. Bref... je n'ai jamais oublié.

7/3/09 21:52  
Anonymous Anonyme said...

Avec les différents reportages que nous pouvons voir à la télé, ou ailleurs, je trouve qu'il est encourageant de voir que votre groupe d'ados n'est pas resté indifférent au témoignage de cet ancien résistant! Merci de nous faire partager cet échange, cela nous rassure les parents!!

9/3/09 13:45  
Blogger Le Père Qui Recompose said...

La mémoire restera tant que l'on ne l'effacera pas ou que l'on ne la travestira pas volontairement. Combien de pays ont une mémoire sélective ? Combien de temps nous a-t-il fallu pour reconnaître nos erreurs ou nos manquements ? La (vraie) démocratie devrait nous protéger de ses écueils…

11/3/09 22:34  
Anonymous Anonyme said...

j'avais quinze ans, une amie m'appelle, elle partait en Alsace en balade avec ses parents, elle voulait que j'y aille avec elle ! Deux heures après, nous nous sommes retrouvés, sans nous qu'ils nous aient préparé, devant le camp du Struthof, en train de visiter la chambre à gaz, le batiment et ses photos, des visages décharnés dont on ne pouvait dire s'il s'agissait d'enfants, d'hommes ou de femmes !
Je n'ai jamais oublié, et aujourd'hui mes enfants savent ce qui s'est passé, et chaque fois que nous regardons une émission sur la shoah la maison est hyper calme !
ne jamais oublier, pour que ces millions de morts ne soient pas partis pour rien, ne jamais oublier car l'horreur peut revenir !

13/3/09 18:53  
Blogger FD-Labaroline said...

* Aile, tout n'est pas perdu ! je suis persuadée qu'un contact en vrai avec des témoins est plus marquant qu'une histoire racontée dans les livres...

* BricolGirl, et dans 30 ans,qu'en restera-t-il ? Qu'en sauront leurs propres enfants ? j'espère qu'ils sauront faire passer le relai.

* Anomyne adoré (pas si anonyme que ça...)le souvenir d'une discussion furtive à ce sujet frôle il y a 25 ans ma mémoire... Ces chiffres sont qq part, pas loin. dans ta mémoire mais également enfouie dans celle de ses enfants à elle ... Un jour tu sauras peut être trouver les mots convaincants pour déverrouiller la mémoire de tes parents. Je te souhaite te tuer tes démons, ami.

* Kamaïa, contente de ton retour sur la blogosphère! Je l'ai vue/reçue en lycée à Calais il y a longtemps... un grand moment également. Elle savait faire passer ça aux ados, tu as eu de la chance d'avoir cotoyé une femme pareille.

* Marie, soyez rassurée, nos enfants sont souvent "moins pires" que l'on ne pense, et là en l'occurrence, tous en ont été très imprégnés.Témoins des conséquences de la violence gratuite.

*Père qui recompose, "combien de pays ont une mémoire sélective" ? Terrible question... Et combien de générations faut-il pour ré-écrire l'histoire ? Et combien de temps faut-il à un peuple pour reconnaitre les erreurs de ses générations précédentes ? Sachant qu'à ce jour, certaines "erreurs" restent encore tues des livres d'histoire (et le seront encore longtemps...)car "toutes les fois que la tyrannie s'efforce de soumettre la masse d'un peuple à la volonté d'une de ses portions,elle compte parmi ses moyens les préjugés et l'ignorance de ses victimes" Condorcet. En plein dans le mille...

*Anonyme, puisse la force avec laquelle nous transmettons cela à nos enfants traverse les générations, intacte.

13/3/09 21:15  
Anonymous Anonyme said...

Pour avoir vécu en Israël et avoir visité Yad Vashem, je me dis que la mémoire ne pourra jamais s'éteindre. Ce qui ne va pas dire que cela ne se passera jamais plus...Je crois que c'est plus un travail de respect et d'hommage rendu qu'un travail de prévention. Mais bon maybe I'm wrong !

25/3/09 10:17  

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