R.I.P. (2/3)
Certains soir, son mari faisait une tentative de (ré)conciliation, du canapé au lit conjugal.
- Tu me manques, tu vois, j’ai quitté mes collants, je veux dormir avec toi. Disait-il en se glissant près d’elle.
Pour ne pas donner d’explications, par habitude, par lassitude, par compassion… elle laissait faire, les dents serrées. Sans un mot. Sans même un soupir. Les yeux grands ouverts fixant l'angle du mur. Vide et sans âme, aussi indifférente que conciliante. Il se donnait du mal... Puis, il basculait rapidement à sa place, tendait la main vers elle, lui caressait la hanche et lui disait des mots qu'elle ne souhaitait pas entendre. Elle a du répondre, un minuscule "moi aussi" de circonstances. Des mots qui coûtent, qui griffent la gorge.
Elle se retournait et au bord du lit face au vide, continuait de serrer les dents, les yeux toujours ouverts sur la nuit, pendant qu’il s’assoupissait, la main posée sur sa cuisse. Sans bouger, elle attendait que la respiration se fasse régulière et elle se levait doucement, laissait glisser la main endormie sur le drap encore chaud. S'est-il jamais douté de quelque chose ? En tous cas, il n'a jamais rien dit, jamais fait aucune remarque sur son manque d'enthousiasme, tout à son...
Elle s’enroulait d’une couverture, sortait silencieusement de la chambre et traversait l’appartement jusqu’à la terrasse, allumait une cigarette en soupirant longuement. On ne l'y reprendra plus, se promettait-elle, la prochaine fois elle devra sortir une excuse magique de sa besace. Mais non, les fois suivantes, elle fera la même chose. Jusqu'au dernier jour.
Si elle avait disposé de brins d’orties ou de branches épineuses, sûr qu’elle se serait flagellée, comme dans Diderot, jusqu'au sang. Pétrie de culpabilité, du poids de la dissimulation, de la honte et du mépris d’elle-même, elle allait se remettre à ses tics d’enfant, de l’ongle du pouce et de l’index droit elle tordait un petit pli de peau à l’intérieur du poignet gauche, là où l'épiderme est si fin et où les veines sont bleues. Automutilation. Comme l'autoflagellation purificatrice. Longtemps elle en gardera au poignet les bleus révélateurs d‘angoisse, parfois même quelques traces de morsures redemptrices …
Avant de retourner se coucher, elle faisait un détour par son ordinateur, envoyait un e-mail, envoyait des mots tendres à l’absent et s’en allait rejoindre celui à qui ses mots n’étaient plus destinés depuis longtemps.
Elle avait des réunions tard le soir, le CA de la crèche parentale lui prenait du temps, elle ne rentrait jamais avant minuit. Lorsqu’à 20h30 elle prenait sa voiture, discrètement pimpante, ça n’était pas pour rejoindre les autres mamans de l’association. Non. Elle prenait à gauche au feu, sortait de la ville, roulait une dizaine de kilomètres à travers la forêt, le cœur battant. Elle se garait à l’entrée d’un village, dans un endroit discret, à l'arrière du bar-tabac-dépôt de pain fermé pour la nuit et poursuivait à pieds les quelques mètres de ruelle jusqu’à la maison aux volets verts.
Elle retombait en adolescence, vibrante, dans ces émotions fortes et exacerbées propres aux premiers amours. A son âge ! ça les faisait rire lorsqu’ils en parlaient, tout étonnés l’un comme l’autre de n’avoir pas été éteints par la vie, de se retrouver vivants sous la cendre. Alors ils en profitaient, mieux qu’à 15 ans, mieux qu’à 20 ans, avec la maturité en plus, avec cette certitude que les instants doivent être saisis lorsqu’ils se présentent. Opportunistes et gourmands, avides de rattraper du temps et de la joie. Du temps perdu. Ils se mêlaient l’un l’autre, ils se reconnaissaient, ils n’avaient pas besoin de compromis entre eux. Les mots qu’ils disaient, les gestes qu’ils faisaient leur échappaient, comme mus par un instinct qui leur était propre. Ces soirées, ils les passaient avec l’appétit de retrouvailles interdites mais également enroulés sur le canapé à écouter de la musique, à discuter à voix basse leurs doigts entre-mêlés (pourquoi parler fort lorsque l’autre est si proche…)
Et, à l’heure de Cendrillon, leurs regards se troublaient, leurs mains cherchaient encore la peau de l'autre, volettaient, y papillonnaient, leur corps s‘agrippait l’un à l’autre. Prendre du rab’, vite, faire des réserves pour tenir jusqu’à la prochaine fois. Mais les baisers, les caresses, comme le sommeil, ne se stockent pas, on ne prend pas de l’avance pour demain maigre. C’est à consommer sur place. Elle se levait, partait à reculons, les yeux embués, une douleur de plus en plus intense à la poitrine, la gorge nouée. Inévitable revers, elle connaîtra avec lui le manque physique de l’absence. Comme une amputation, sans anesthésie ; chaque fois renouvellée. L’esprit fonctionnait au ralenti, privé de son carburant ; un trou dans la poitrine, le souffle trop court, qui ne permet plus au sang l’oxygénation nécessaire. Physiquement douloureux. A hurler, à tout envoyer valser par dessus les moulins. A s'en mordre les poignets.
Elle pleurait tout le trajet du retour, elle savait que déjà il lui envoyait un e-mail lui disant la joie et le déchirement de leurs rencontres furtives. C’est l’ombre d’elle-même qui mettait la clé dans la serrure de l’appartement familial, c’est son fantôme qu'elle glissait dans le lit, portant sur sa peau l’odeur d’un autre. Elle se couchait en chien de fusil, le visage sur son avant-bras, encore un petit bout de lui… Et elle s’endormait ainsi. Elle resterait endormie jusqu’à leur prochaine rencontre. Dans trop longtemps.
Elle n’en pouvait plus du manque de lui. Elle n’en pouvait plus de la cohabitation mensongère. Mensonges et faux-semblants. Faire croire qu’elle acceptait les délires fantasmatiques de son mari (d’ailleurs, ils ne l’atteignaient plus, même la découverte de sa réincarnation l’avait laissée de marbre), faire croire qu’elle était une épouse compréhensive et toujours présente… laisser croire qu'une fois encore elle serait là, patient garde-fou, l'indispensable alliée.
Souvent elle s’enfermait dans les toilettes avec son portable pour envoyer et lire des textos. Elle profitait de la moindre occasion, d'une absence même brève pour l' appeler, lui parler, entendre sa voix, son souffle à travers l'appareil, mettre à nu plus de souffrance, se faire mal. Lui faire mal. Faire mal à tous.
Elle n'en pouvait plus. Elle allait donc commencer à semer des petits cailloux, les petits cailloux du doûte, des repères, qui feraient tilt, croyait-elle, dans l’esprit de son mari. Lui qui disait toujours «je te connais tellement bien que je saurais tout de suite si un jour tu avais quelqu'un d'autre dans ta vie». Mais pour cela il faut écouter l’autre, être attentif…
Au fil des jours, ses petits cailloux devinrent plus gros… de plus en plus gros… jusqu’à devenir pavé dans la mare, météorite dans l’océan, tsunami, maelström,
Big Bang définitif.
(à suivre)
Libellés : Elle
22 Comments:
j'ai mis et remis Ferrat, j'ai lu et relu ta note, j'ai essoré tes mots pour en extraire la moelle. Tu n'écris avec du sang, celui de tes poignets mais avec une plume arrachée à un passé cabossé. Tu écris comme on crie pour soulager une souffrance, sublimer un espoir, une redécouverte. Dans tes mots, il y a une écriture, un partage, une force qui me donnent envie de te dire merci. Reçois ce petit mot comme un cadeau. Tchao, à bientôt !
Bérangère, ton commentaire est très beau et me touche beaucoup, merci à toi. De lire l'histoire, d'accepter ce cadeau un peu lourd que je vous fais de force.
Si cette histoire d'amour n'était pas la conséquence d'un tel drame, en partie, du moins, je pense...J'aurais envie de rire et de te dire ce que tu l'as sans doute déjà vécu,
- Ah ! ma grande...l'amour ça se mérite, il faut souffrir, mais il est tellement bon d'aboutir après avoir subi les épreuves du feu (de l'amour!)
Je suis malgré tout content pour toi, d'avoir justement retrouvé un équilibre, fût-il fugace.
Car, comme tu l'avoues, tu as culpabilisé !
De quoi, pourquoi ? Personne ne sait, mais c'est comme ça.
Alors LA bonne réponse, c'est de revivre en se disant que la bévue ne vient pas de toi.
Il faut sauver l'essentiel, tu l'as fait : CHAPEAU
Amitiés
Il y en a qui sont en librairie pour beaucoup moins que ça.
C'est tellement ...
Que je n'arrive pas a trouver les mots pour commenter ... mais je tenais quand même à marquer mon passage ... même sans petits cailloux
Quelle belle plume !
Bonne soirée
Bisous
Je me sens bien bête de laisser une toute petite bafouille après cette note. J'adore votre écriture, il est LE blog "écrit" que je lis, les autres m'ennuient. J'en connais pas des masses non plus.
Mais en lisant vos notes je vois pleins d'images dans ma tête.
J'ai adoré la note sur l'installation de l'éléctricité (ou du téléphone?!) et bien rigolé en vous imaginant en jolie tenue et petites chaussures dans votre jardin gadouilleux en train de bêcher.
Vous verrez que la commande surprise est un peu inspiré dans le genre par l'épisode jardin *'v°*
Je taille ma plume. Aujourd'hui mercredi, un peu plus de temps... un tout petit peu ! ...
A tout à l'heure.
* Maky, je ne sais pas si l'histoire est la conséquence du drame (rendue disponible, antennes en alerte...?) ou si ça devait se faire de toutes façons... je préfère ne pas savoir ,ej crois que j'ai un bout de réponse tout de même.
* Bricol Girl, là n'est pas mon ambition pour l'heure, je préfère donner mes mots qu'en faire commerce.
* Titeknacky, merci d'être venue, alors. Même sans cailloux. Bon, et le crochet ? c'est pas l'tout de varier les plaisirs, hein, maintenant que tu nous as mis l'eau à la bouche !
*DM, merci du compliment. Merci aussi à ma prof de français de 4è du collège de la Villenuve en 19** qui a déclenché ça chez moi.
*Ganousha, oh, quel plaisir, bienvenue ici ! surprise inspirée du patouillage dans la gadoue en talons ? j'ai hâte de voir ça, un Lapin déguisé en mère stressée ?!!
* Rosalie, taille taille mais ne la fais pas trop acérée stp ;-)
Bon, aller, on ne pense pas à ces moments déjà vécu, à cette boule que tu as mise dans mon ventre et que maintenant je vais mettre du temps à digérer ...
je viens de me prendre mon passé en pleine face ... j'espère que cette histoire se terminera mieux que la mienne
*Khey...oups, désolée. Je ne voulais pas t'éclabousser... Tu me raconteras ton histoire un jour ?
Peut-être ... on verra ... certainement ... mais par email ...
suis repassée...bonne journée !
Peu importe les circonstances, peu importe les raisons... la plus petite parcelle de bonheur doit être goûtée, dégustée, savourée...
Quérir, puis chérir pour peut-être guérir.
Chacun/chacune d'entre nous devrait avoir dans la tête, dans le coeur, une maison aux volets verts.
Tu écris bien... mais tu ne nous ménages pas !
Un jour, je ris. Un jour, je pleure. Une véritable douche écossaise !
Ce que tu écris actuellement révèle ce que tu as enfoui à l'intérieur. L'extraire, le sortir, l'écrire t'aidera dans ton cheminement.
C'est, en tout cas, ce que je te souhaite.
Mais, surtout, surtout... continue à nous arroser !
Quand t'as une idée quelque part hein ... ;o)
Le crochet .... je vais m'y remettre, une dernière couche de vernis sur mon cache pot et je reprends l'ouvrage promis ...
Ah non même pas, entre temps j'ai 30 m3 de terre à étaler avec le zhomme pour finir le jardin ... pffff on ne s'ennuie jamais chez les Herta, chui épuisé d'avance quand même ;o)
Bises
titeknacky l'a déjà écrit, je ne sais pas que dire, à côté d'un tel billet mes mots n'auraient pas de sens....je suis encore bouleversée. Amitiés.
Je ne sais pas te dire ce que je ressens...mais bon, encore une fois je me surprends à attendre la suite, comme dans un libvre, alors que c'est ton histoire et qu'il doit être bien difficile de la raconter...
Bon, tu te fais publier quand ?
Gros bisous, gorge serrée...
Je viens je te lis mais ne sais que te dire alors pour te montrer que je passe quand même juste ce petit mot
Bises
* Khey, OK par le canal qui te convient. J'aime les histoires des autres, bien plus que les miennes.
* Bérangère, re-bonjour, donc. Rien de changé, tu vois..!
* Rosalie, écrire, et à l'autre bout de la chaine donc, lire, est-ce pour être ménagé ? Je manque de tact parfois, je balance des trucs sans préparer l'autre, désolée... Oui, écrire m'aide, en un sens. Surtout depuis que j'ai "attaqué" moins sordide. Mais replonger dans ces moments n'est pas totalement indolore...d'où parfois l'alternance du chaud et du froid.
* Titeknacky, t'es pas en avance, dis-donc !Nous on a fait ça le WE dernier + semage de pelouse, les chat adorent et les taupes aussi... grr !
* Tanette, bien sûr que tes mots ont un sens, et comme ceux des autres, ils me font doux au coeur.
* SoeurAnne ,la suite viendra, et pas dans une semaine comme les séries télés !! Quant à la publication, non, de la même manière que je ne sais pas cuisiner pour 50 personnes, je n'oserais pas écrire pour des millions d'inconnus ;-)
* La Troll, ne dit rien, juste bonjour, ça me va !
Je me suis cadrée sur la SNCF, chui dont toujours en retard ;o)
Bonne soirée et gros bisous
Je suis venue via le blog de tite, je t'ai vue passer de ci de là, et me voici.
Je ne regrette pas d'être venue.
Ta plume est très belle.
Je reviendrai si tu le veux bien.
Ah, je savais bien qu'il allait revenir, celui-là, je ne l'avais pas oublié, hé hé... D'ailleurs, je parie qu'il est en train de bricoler dans la nouvelle maison, en ce moment (ou d'acheter les céréales pour le déjeuner du dimanche matin). Mais j'ignorais quand et où et comment il reviendrait... Aujourd'hui, finalement, toujours pas remise de l'émotion qui suinte de tes lignes comme la neige au soleil, je n'en sais guère plus, sinon qu'il devait revenir ; c'était écrit, et bien écrit (avec un petit côté Lady Chaterley, non ?).
Je t'embrasse, fd, toi et ton garde-chasse ;-)
*Titeknacky, t'es cadrée TEr plus que TGV, donc ?!
Maitressedecole, sois la bienvenue, reviens souvent !
* Vigilante Anitta, tiens donc, il n'avait pas échappé à ta mémoire, celui-là ! à moi non plus, cette fois-ci.
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