R.I.P (1/2 ou 3, on verra...)
Cet après-midi là, elle s’en souvient. Elle travaillait à son ordinateur quand la petite icône a frétillé en bas à droite de l’écran. Machinalement, elle a cliqué pour ouvrir la messagerie. C’était un message de E., un ami de longtemps… du temps d’avant, du temps où elle était encore elle-même, pétillante et optimiste. Perdus de vue, retrouvés au hasard des rues … E., du temps où elle vendait ses mots, une autre vie.
"L. jouit d’une liberté toute neuve et me demande ton adresse mel. M’autorise-tu à lui communiquer ?"
Et là, quelque chose s’est produit. Imperceptible, invisible à l’œil nu. Le temps d’une éclipse, elle est passée dans un monde parallèle. Transfigurée. Comme la première neige qui ouate et assourdit les bruits de la vie. Dès cet instant, plus rien ne sera jamais comme avant.
L. était le jeune maquettiste du journal, dans sa vie d’avant, d’encore avant. Elle est restée figée devant son écran, sans bouger, pour ne pas laisser s’échapper son bonheur. Elle a relu les mots, relu encore avant de répondre.
Répondre.
"Mais oui, bien sûr, pourquoi pas ?"
Envoyer.
Ainsi donc, il se souvenait d’elle quinze ans plus tard… ainsi donc, non seulement il s’en souvenait mais il cherchait même de ses nouvelles…
Elle encore tout à sa surprise que déjà elle recevait un nouveau message… alea jacta est. Et alors, plus rien ne fut jamais comme avant.
Elle est morte. Elle est morte quelque part entre mars et mai 2002. Requiescat in pace.
Elle est morte pour mieux ressusciter, phoenix immense et invincible.
"Tu crois que mon amour a fondu sur toi comme un éclat de feu, qu'il aurait pu brûler un coeur autre que le tien, tu te trompes, il te cherchait, te guettait, t'avait dessiné à grands traits, il retenait sa flamme, il piaffait, protestait, il ne te trouvait pas, il s'énervait alors, il me chauffait le sang, me brûlait les yeux..." Pancol Katherine, Et monter lentement dans un immense amour...
D’e-mail en e-mail, ils se sont reconnus, découverts et redécouverts, ils sont allés de surprise en surprise, ils étaient un. Un divisé en deux êtres. Gagnants de la chasse au Trésor. Ils ont découvert qu'ils avaient besoin l'un de l'autre, de se lire, de se penser, de se rêver. Ils se disaient que quinze ans auparavant ils s’étaient frôlés, à peine, même pas… juste touchés des yeux, de l’âme. Trop furtivement. Ils ont accepté sans trop d'étonnement ce qui leur arrivait… C'était une évidence. C'était même inévitable. Ce qui leur était arrivé quinze années auparavant, qu’ils avaient laissé échapper, tenté d’oublier en se construisant à perdre haleine une nouvelle vie. Conscients, ils se sont laissés glisser l’un vers l’autre, avec parfois des réticences, des freins, des ralentissements de culpabilité… des douleurs au cœur. Toujours, elle était broyée de l’intérieur, sa cage thoracique devenue trop étroite pour respirer en grand ce bonheur tout neuf, trop frais. Surtout ne pas le laisser passer à nouveau. Déterminée. Forte de cette certitude.
Alors, elle juxtaposait deux vies… celle dans sa tête, et celle du quotidien, lorsqu’elle rentrait chez elle. Mariée. Toujours. A 90%. Fermer des portes, en ouvrir d’autres toutes grandes pour respirer l’air du dehors. Avec la discrétion qui convient… Etre double et mentir pour sauver sa peau.
L’endroit s’appelait Le Café des promeneurs… il a fermé quelques mois plus tard, charmant petit restaurant dans un jardin particulier, à l’ombre des platanes. La première fois, ça lui a fait tout drôle. Elle n’avait jamais oublié son visage. Il avait l’air si triste… tout froissé de l’intérieur, chiffonné, égratigné, cabossé par sa vie. Elle aussi, parait-il. Elle bu ses paroles, elle l’a caressé des yeux, troublée. Il a baissé les siens souvent, elle regardait ses mains, ils ont parlé de choses et d’autres, pas du tout de ce dont ils parlaient par mel. Leur langage était double. Il y avait celui des mots anodins, qui racontent froidement le quotidien, et tes enfants, ça va ? tu bosses cet après-midi ? Il y avait l’autre langage, celui des corps qui s’appellent, qui hurlent en silence de la souffrance de ne pouvoir se toucher, corps qui s’évitent, qui se cognent, se frôlent, se respirent, des regards qui se cherchent, s'entremêlent et se fuient, des doigts qui glissent sur la table, des mains qui s’étendent sans oser, du verre qu’on caresse à défaut, la fourchette qu’on tripote ; l’estomac noué, prêt à faire le saut dans le vide.
Bon ben on remet ça un jour, ça m’a fait plaisir…
Et puis plus rien. Et puis tout. Comme on se laisse mourir. Pour mieux vivre. Tout d’un coup, ils ont parlé le même langage. Tout d’un coup ils se sont retrouvés à l’unisson, tout simplement. Ils jouaient la même musique, sur le même tempo. Accord parfait. Ne pas laisser s’échapper l’un l’autre une deuxième fois, ont-ils murmuré ensemble. Ils se tenaient chaud l’un à l’autre. Ils ont mêlé leurs souffles désespérés, au bord du précipice. Il était si chaud… si doux… juste comme elle s’y attendait. Elle avait trouvé la paix. Enfin.
Elle a repris sa voiture pour rentrer chez elle. Elle n’a rien dit. De toutes façons, elle ne parlait plus à son mari, c’est lui qui parlait beaucoup, il était heureux de pouvoir vivre son travestissement au moins chez lui et être accepté par sa femme. Il parlait beaucoup, elle écoutait.
Elle n’a rien dit. Pas tout de suite. Des choses à mettre en place auparavant. Pas tout de suite.
"L. jouit d’une liberté toute neuve et me demande ton adresse mel. M’autorise-tu à lui communiquer ?"
Et là, quelque chose s’est produit. Imperceptible, invisible à l’œil nu. Le temps d’une éclipse, elle est passée dans un monde parallèle. Transfigurée. Comme la première neige qui ouate et assourdit les bruits de la vie. Dès cet instant, plus rien ne sera jamais comme avant.
L. était le jeune maquettiste du journal, dans sa vie d’avant, d’encore avant. Elle est restée figée devant son écran, sans bouger, pour ne pas laisser s’échapper son bonheur. Elle a relu les mots, relu encore avant de répondre.
Répondre.
"Mais oui, bien sûr, pourquoi pas ?"
Envoyer.
Ainsi donc, il se souvenait d’elle quinze ans plus tard… ainsi donc, non seulement il s’en souvenait mais il cherchait même de ses nouvelles…
Elle encore tout à sa surprise que déjà elle recevait un nouveau message… alea jacta est. Et alors, plus rien ne fut jamais comme avant.
Elle est morte. Elle est morte quelque part entre mars et mai 2002. Requiescat in pace.
Elle est morte pour mieux ressusciter, phoenix immense et invincible.
"Tu crois que mon amour a fondu sur toi comme un éclat de feu, qu'il aurait pu brûler un coeur autre que le tien, tu te trompes, il te cherchait, te guettait, t'avait dessiné à grands traits, il retenait sa flamme, il piaffait, protestait, il ne te trouvait pas, il s'énervait alors, il me chauffait le sang, me brûlait les yeux..." Pancol Katherine, Et monter lentement dans un immense amour...
D’e-mail en e-mail, ils se sont reconnus, découverts et redécouverts, ils sont allés de surprise en surprise, ils étaient un. Un divisé en deux êtres. Gagnants de la chasse au Trésor. Ils ont découvert qu'ils avaient besoin l'un de l'autre, de se lire, de se penser, de se rêver. Ils se disaient que quinze ans auparavant ils s’étaient frôlés, à peine, même pas… juste touchés des yeux, de l’âme. Trop furtivement. Ils ont accepté sans trop d'étonnement ce qui leur arrivait… C'était une évidence. C'était même inévitable. Ce qui leur était arrivé quinze années auparavant, qu’ils avaient laissé échapper, tenté d’oublier en se construisant à perdre haleine une nouvelle vie. Conscients, ils se sont laissés glisser l’un vers l’autre, avec parfois des réticences, des freins, des ralentissements de culpabilité… des douleurs au cœur. Toujours, elle était broyée de l’intérieur, sa cage thoracique devenue trop étroite pour respirer en grand ce bonheur tout neuf, trop frais. Surtout ne pas le laisser passer à nouveau. Déterminée. Forte de cette certitude.
Alors, elle juxtaposait deux vies… celle dans sa tête, et celle du quotidien, lorsqu’elle rentrait chez elle. Mariée. Toujours. A 90%. Fermer des portes, en ouvrir d’autres toutes grandes pour respirer l’air du dehors. Avec la discrétion qui convient… Etre double et mentir pour sauver sa peau.
L’endroit s’appelait Le Café des promeneurs… il a fermé quelques mois plus tard, charmant petit restaurant dans un jardin particulier, à l’ombre des platanes. La première fois, ça lui a fait tout drôle. Elle n’avait jamais oublié son visage. Il avait l’air si triste… tout froissé de l’intérieur, chiffonné, égratigné, cabossé par sa vie. Elle aussi, parait-il. Elle bu ses paroles, elle l’a caressé des yeux, troublée. Il a baissé les siens souvent, elle regardait ses mains, ils ont parlé de choses et d’autres, pas du tout de ce dont ils parlaient par mel. Leur langage était double. Il y avait celui des mots anodins, qui racontent froidement le quotidien, et tes enfants, ça va ? tu bosses cet après-midi ? Il y avait l’autre langage, celui des corps qui s’appellent, qui hurlent en silence de la souffrance de ne pouvoir se toucher, corps qui s’évitent, qui se cognent, se frôlent, se respirent, des regards qui se cherchent, s'entremêlent et se fuient, des doigts qui glissent sur la table, des mains qui s’étendent sans oser, du verre qu’on caresse à défaut, la fourchette qu’on tripote ; l’estomac noué, prêt à faire le saut dans le vide.
Bon ben on remet ça un jour, ça m’a fait plaisir…
Et puis plus rien. Et puis tout. Comme on se laisse mourir. Pour mieux vivre. Tout d’un coup, ils ont parlé le même langage. Tout d’un coup ils se sont retrouvés à l’unisson, tout simplement. Ils jouaient la même musique, sur le même tempo. Accord parfait. Ne pas laisser s’échapper l’un l’autre une deuxième fois, ont-ils murmuré ensemble. Ils se tenaient chaud l’un à l’autre. Ils ont mêlé leurs souffles désespérés, au bord du précipice. Il était si chaud… si doux… juste comme elle s’y attendait. Elle avait trouvé la paix. Enfin.
Elle a repris sa voiture pour rentrer chez elle. Elle n’a rien dit. De toutes façons, elle ne parlait plus à son mari, c’est lui qui parlait beaucoup, il était heureux de pouvoir vivre son travestissement au moins chez lui et être accepté par sa femme. Il parlait beaucoup, elle écoutait.
Elle n’a rien dit. Pas tout de suite. Des choses à mettre en place auparavant. Pas tout de suite.
Libellés : Elle
26 Comments:
Pour le moment ... je me remets, que c'est beau !!
Je commenterai plus tard
mes doigts sont restés collés sur les touches de mon clavier sans pouvoir bouger. Tout pleins d'émotions et pas de mots pour les dire......
La Troll Family
Pourquoi je pleure la moitié du temps, quand je lis ton blog ?
C'est beau... sur la forme et sur le fond...
je ne le dis pas souvent mais là j'avoue, tu maîtrises la plume, ma belle. Le texte demanderait à être "essoré" de temps en temps mais...je suis presque jalouse tiens ! promis tu nous fais pas poireauter trois jours pour la suite des aventures d'Elle et de L.
Alors ... quoi te dire à la lecture de ce premier volet ... que c'est beau ... ca s'est déja fait, bien écrit ca c'est habituel ...
On ressent une telle tendresse dans ces lignes, deux ames qui se sont perdues, qui se cherchent qui se retrouvent, de la sensualité aussi, juste ce qu'il faut pour nous prendre aux tripes.
Les mots me manquent mais j'attends avec une impatience non dissimulée la suite.
En attendant .. bon week end
Bises et a bientôt
* La Troll et SoeurAnne, remises? j'essaie juste de mettre des mots, anodins, sur un ordinaire anodin également...
* Bérangère, merci des compliments ! "essoré" ? je vous balance toujours des premiers jets, à peine relus... Si je prenais trop de recul je n'écrirais plus. Et ben si, faudra attendre quelques jours pour la suite, en fait je crois que je vais faire 3 parties, ce que j'ai à dire est trop long !
* Titeknacki, c'est ça, des (re)trouvailles des années plus tard, alors que chacun a eu fait sa vie.Et l'impression qu'à l'approche de la quarantaine on a bien plus à donner qu'à 25... Allez, va vite faire un pe ude crochet, qu'on voit les photos !
Bon WE, et grasse mat demain pour tous !
PS à Bérangère : ne sois pas jalouse, surtout pas, il n'y a pas de quoi, j'aimerais bien moi aussi me rouler dans la boue de la mer morte !
"je vous balance toujours des premiers jets, à peine relus..."
GRH ! mais qu'est-ce-que ça serait si tu relisais...bon we la belle !
tiens C amusant nos com se sont croisés...jalouse moi nan ! juste heureuse de te lire ! ben cette fois je vais me coucher RRrrr
* Bérangère, il fait donc tant nuit que ça chez toi ? Bonne nuit donc...
Je suis très très touchée par tes mots et ton histoire...
Tu as écrit 2 alors c'est 2 et pas 3, je sens poindre le bonheur et espère ne pas me tromper.
... sur un ordinaire anodin ?
Non, pas anodin. Parce que c'est le tien.
Avoir un jardin secret est essentiel, vital. Qu'on soit heureux en couple ou non.
C'est notre machine à rêves, notre exutoire au quotidien.
Je ne sais pas pourquoi, mais dans un jardin secret, les fleurs y sont plus belles qu'ailleurs...
... sur un ordinaire anodin ? Je ne trouve pas, pas plus que tes mots d'ailleurs. Beaucoup d'émotion à la lecture de tes billets.
Bonjour c'est le matin (chez moi) !
Rassure moi tu habites bien en France n'est ce pas ? Quand tu parles de Chambé et de Grenoble on parle bien des mêmes ?
Non je te demande ça parce que j'ai un peu de mal à suivre avec les horaires de ton blog ! Je peux t'assurer que le 17/11 à 4 h 25 je dormais je ne postais pas de comm. ! Et pourtant !!!
Sinon ça va ?
La Troll Family
02 h 36 !!! Chez moi il est 11 h 29 !!!
La Troll Family
les derniers mots résonnent encore de douleurs à venir
LN la marmotte, merci.
Bricol Girl, je pense que ce sera 3...
Rosalie, j'aime bien l'idée de la machine à rêves..
Tanette, ce ne sont que quelques mots, Dom Motillot ;-))
Bérangère, bonne journée !
MamanTroll, oui je crois que j'ai pas réglé les horaires du blog, y a comme un truc bizarre, c'est grave ?! ou alors on va dire que non, sisi tu postais à 4h du mat', j'en ai la preuve !!!
Dam, pas des douleurs, plutôt du "bizutage de bonheur". Sur le coup c'était vivable, c'est posterio que ça me semble hallucinant !
Ayé, j'ai réussi à mettre le bon fuseau horaire !
Bravo maintenant au boulot; la suite, la suite ...
Bah, je pensais faire une pause et mette autre chose entre 1/3 et 2/3... bon... ben ça va venir, alors... Déjà levée ou pas encore couchée ?!
oh mon dieu, et qu'en est-il maintenant de leur relation ?
J'aime beaucouo la manière dont tu racontes cet unisson enfin trouvé. L'évidence qui n'a quasiment pas besoin de mots :)
pause dans le crochet, ce week end j'ai planté mes bulbes de tulipes et fait du vernis-colle avec ma fille, j'ai en effet quelques pots de fleurs à rafraichir ... histoire de coordonner avec la tapisserie du séjour qui est terminée.
Tu vois je fais comme ma grand mère le disait, varier les activités
Je te souhaite une bonne semaine en tout cas
Gros bisous
C'est fort. C'est beau. Comme dit Isadora, ça se passe de mots. N'essore rien, surtout :-)
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