dimanche, mai 27, 2007

Une vie de Nono : l'anniversaire


Le week dernier j'étais chez mon père. C'est pas courant, d'habitude c'est jamais le week end, uniquement "la seconde moitié des vacances scolaires les années paires".

Mais cette fois mon père voulait que je vienne pour le week-end, parceque c'était mon anniversaire la semaine d'avant et il voulait me faire un cadeau, il m'a dit au téléphone.

- Un vrai cadeau d'homme.

C'est quoi un vrai cadeau d'homme, j'ai téléphoné à Djess. Il a dit j'en sais rien attends je vais demander à Greg. Greg c'est le grand frère de Djess (et Djess c'est mon meilleur ami). Il est revenu en rigolant et il m'a dit "tu sais quoi ? Greg il dit que pour un vrai cadeau d'homme ton père va t'emmener aux putes !!"
Il rigolait bien Djess mais moi non, pas du tout, j'avais pas envie d'aller là où il disait Greg et franchement je crois que mon père serait bien capable d'un truc pareil. Même si je lui dis que j'ai peur, il me tapera l'épaule en disant Oooooh, mon Nono, t'es un mec ou bien ?!
Trop la honte... J'espère que c'est pas ça...

Il est venu me chercher à la sortie du collège, Tu vas bien mon Nonooooo...? Mais en général je ne réponds pas, y a des gens comme ça qui te disent "tu vas bien ?" mais tu leur répondrais non je suis mourrant en phase terminale qu'ils te diraient "bien bien" d'un air distrait tout pareil. Comme il fait mon père.

On est passés au magasin de meubles avec la moquette bleue marine, j'ai essayé tous les canapés, tous les fauteuils. Celui que je préfère c'est un en forme de demie bulle tout transparent avec un pied en métal, qui tourne. J'aime tourner en regardant le plafond et imaginer comment ça fait dans une navette spatiale au décollage. J'arrête même de respirer parfois pour faire comme si j'étais à mach 2 sans masque. J'étais en train de faire bloug bloug bloug avec ma bouche et les joues toutes molles quand il a arrété la chaise et il a dit "Viens on va chercher Nicole et on rentre ".

Je me demandais toujours ce que c'était son cadeau. Quand il m'a dit "ce soir on va au restaurant", j'avais envie de répondre "ah non pas encore au Vesuvio" mais il a enchainé "on va manger japonais". Ah. J'avais jamais mangé japonais. Je sais même pas ce qu'ils mangent, les japonais. J'espérais simplement qu'ils ne mangeaient pas des pizzas, comme au Vesuvio.

Eh bien non, ils ne mangent pas de pizza. Enfin, peut être que si mais dans leur pays quand un italien vient ouvrir un Vesuvio, mais c'est pas traditionnel de chez eux, quoi. Pas comme chez nous. Mon père m'a laissé boire une coupe de champagne, il a dit "bon anniversaire mon fiston, maintenant que tu es un grand je veux t'offrir un scooter cet été". J'étais tellement étonné, et content qu' il ait raconté n'importe quoi Greg. J'ai pas eu le temps de répondre.

- Ben alors t'es pas content ?

- si, oh si mais j'ai pas encore l'ASSR, c'est l'année prochaine que je la passe au collège.

La Nicole souriait comme si c'était à elle qu'on faisait un cadeau. Peut être que c'était son idée. Je lui ai souri pour la remercier.

- Je te paie tout ça cet été. Mais tout ça c'est sous condition : tu travailles un peu avec moi au magasin. Pas grand chose, hein, juste ranger un peu, nettoyer, quoi. Tu peux faire ça, hein, faut bien commmencer.

Ça ne me disait rien, ni de travailler avec lui ni le magasin. J'ai baissé les yeux sur mes boudins de riz avec des bouts de poisson dedans, j'en ai planté un avec une baguette en plastique et j'ai touillé dans le truc vert qui pique. J'avais envie de fondre, de ne plus jamais relever la tête. Il faut que je lui dise que j'ai pas envie. Mais son regard pesait trop lourd sur moi.

- Bah alors mon Nono tu fais ta douillette, on veut pas travailler un peu ?

Mes abeilles se sont agités, elles n'aiment pas quand je suis coincé au fond d'une impasse. Le Dr m'a dit Quand c'est comme ça tu respires leeeentement en comptant jusqu'à dix, tu fermes les yeux si tu veux et tu imagines que tu es dans un endroit au soleil, au chaud, sur une plage par exemple et tu écoutes les vagues et les mouettes. Alors j'ai fait comme le Dr Roman m'a dit, j'ai fermé les yeux. J'aime pas quand mon père m'appelle douillette ou lavette ou parfois tapette ou fillette ou des trucs comme ça. J'ai fermé les yeux et j'ai senti la chaleur du soleil, le sab...

Et une énorme vague m'a submergé. Noyé. J'ai aspiré brusquement par la bouche pour chercher de l'air. Mon père venait de me jeter un verre d'eau à la figure. Il fait ça des fois. Mes abeilles se sont noyées, les lâches, elles ne m'ont pas aidé... Elles ont peur de mon père.
Je n'ai pas trop levé les yeux, je ne l'ai pas regardé en face parce que des lance-flammes dans le regard, mon père n'aime pas ça. Sa voix disait

- ... quand je te parle ! Au lieu de me remercier il s'endort celui-là ! BON A RIEN, il a hurlé dans le restaurant.

- Je ne veux pas travailler au magasin... j'irai pas c'est tout.
J'ai pas parlé fort. Je l'ai dit, mais pas fort.

La Nicole était toute blanche, elle roulait ses yeux dans tous les sens, faisait des drôles de sourirs aux gens qui nous regardaient. Elle disait à voix basse ... Jean-Pierre... Jean-Pierre... Mon père avait baissé sa voix mais pas sa colère. Le restaurant m'avait sauvé, je n'avait eu droit qu'à un verre d'eau. Pas sa main. Ni sa ceinture. Ni sa chaussure. Ni quoi que ce soit d'autre qui trainait à coté. Nicole gardait la tête baissée bien à l'abri dans son silence. Moi ça me faisait rien, je suis sûr qu'elle a déjà sa dose la Nicole quand je suis pas là.

- Tu perds rien pour attendre, mon connaud, tu verras en rentrant.

J'ai plus mangé. J'ai juste mis des choses dans ma bouche, mes dents ont broyé pour les faire descendre dans mon estomac. Je ne me souviens plus si c'était bon ou pas. J'avais l'impression de mâcher des morceaux de pneus. Et je les ai avalé, les bouts de pneus, avec de la buée devant les yeux mais je les ai avalé et je n'ai rien dit.

Je n'ai rien dit non plus dans la voiture. Je me collais contre la portière, à l'arrière. Nicole essayait de parler du restaurant, Tu as aimé, Noël ? C'est original, hein, ça change...

Quand la voiture s'est arrétée, j'ai courru jusqu'à ma chambre et j'ai poussé le lit contre la porte et je me suis assis dessus. Je l'ai entendu appeller, crier nom nom, crier des gros mots que même Greg les dit pas... il dit toujours les mêmes, ceux qu'on entendait déjà quand il habitait encore avec nous. Avant l'histoire du chat. C'était pas ma faute le chat. C'était mes abeilles. Elles étaient plus fortes que moi. Mon père criait, criait, je ne me souviens plus pour quelle raison cette fois-là. Il était en colère contre nous,souvent. Le chat miaulait contre mes jambes. J'avais des éclairs devant mes yeux et des bruits d'usine dans ma tête. La fenêtre était ouverte alors j'ai pris le chat.

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !

Toutes les abeilles sont sortie d'un coup de ma tête. Il était pas mort quand maman est descendue le chercher en criant. C'est pas ma faute, je hurlais en pleurant. Papa m'avait coincé les bras derrière le dos et il me secouait fort. Trop fort. J'ai respiré très vite et très fort pour faire comme on faisait dans la cour de l'école et puis... je me souviens plus. Je veux plus me souvenir. Le chat n'est pas mort tout de suite et on n'en a plus jamais parlé. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à voir le Dr Roman.

J'ai attendu qu'il n'y ait plus de bruit dans la maison de mon père. J'ai attendu longtemps je crois, assis dans le noir par terre près du lit. J'ai cherché dans l'armoire mais je n'ai rien trouvé. Rien du tout, même pas un compas. J'avais perdu le compas de ma trousse, zut. Zut de zut. Alors il fallait que j'attende. Que j'attende pour arrêter de pleurer. Parceque je ne pouvais pas pleurer tout le temps, quand même, il fallait que je trouve ce truc pour arrêter de pleurer. J'ai mordu mes doigts, mon bras. Je m'en fiche des marques. Même quand ma mère me demande ce que j'ai. Même au Dr Roman je lui dis pas. Mais je crois qu'il sait quand même, c'est un malin le Dr Roman. J'ai pleuré encore plus fort dans le creux de mon bras. J'ai tapé ma main contre la porte de l'armoire, contre le montant de la porte. Jusqu'à ce qu'il crie Attends demain si je trouve quelque chose de cassé dans cette pièce tu vas voir ce que tu vas voir...



J'ai ouvert ouvert doucement la porte de ma chambre et je suis allé dans la cuisine sur la pointe des pieds en marchant au bords des murs. Je connais la pièce, j'ai pas besoin d'allumer. Le frigo a sursauté et s'est arrété de ronronner. L'horloge du four éclairait en bleu, on aurait dit qu'elle était vivante et qu'elle me surveillait. J'ai ouvert un tiroir et j'ai pris un petit couteau. Qui pique bien. Je sais que Nicole les range tous au même endroit. Les grands, les petits, tous les pointus et fins ici. Les autres, les ronds, les à dents, sont à coté dans l'autre tiroir. J'ai glissé à terre, sur le carrelage froid. Et j'ai commencé à lêcher la lame pour voir comment c'était. C'était bien. Comme il fallait. J'ai posé sur le dessus de mon bras et j'ai appuyé doucement. Je n'ai rien senti ou presque rien. Je sais comment faire pour que ça ne fasse pas mal. Juste assez pour déchirer la peau, avant que le sang ne coule. Un trait. Deux traits. Trois traits. Je connais par coeur le chemin pour faire les traits bien parrallèles. De temps en temps dans la pénombre je lêche la lame, pour vérifier que je ne suis pas allé trop loin. La lame est chaude. Ni collante ni sucrée. Juste chaude. J'ai fait 8 traits cette fois, pas tout à fait jusqu'au coude. J'avais pas besoin, ça suffisait, j'étais calmé. Ça fait sortir la douleur de ma tête, desserre ma poitrine et ça calme parfois les abeilles quand les cachets du Dr Roman ne suffisent pas. Ça a picoté juste un peu sur mon bras. Pas beaucoup. Mais je sais que demain une petite croûte va se former, sur ces égratignures trop régulièrement dessinées. J'ai posé le couteau sur la table, au milieu. Exprès. J'ai donné un coup de langue avant, sur la lame. Nickel. Je suis aller dormir. Même si j'avais appuyé la lame plus fort tout le monde s'en foutrait. Ils dorment. Personne ne voit rien. C'est plus facile comme ça.

Nicole m'avait préparé le petit déjeuner sur la table, elle m'attendait. Elle voulait être gentille avec moi mais elle ne savait pas quoi dire. Juste "tu n'as pas trop chaud avec tes manches longues ?" J'ai répondu non ça va.

Personne ne sait rien. Personne ne voit rien. Vous non plus, si je ne vous avais rien dit vous n'auriez jamais su. Personne ne me voit et personne ne m'entend. Parce que je ne parle pas.

Mais ça n'est pas une raison.

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22 Comments:

Blogger bricol-girl said...

Ca te plait de me déglinguer dès le matin?

28/5/07 07:31  
Anonymous Anonyme said...

C'est dur, c'est juste, c'est vrai ... et ça fait mal.

28/5/07 08:14  
Anonymous Anonyme said...

toi si tu étais éditée tu pourrais figurer dans ma liste....

28/5/07 09:04  
Blogger FD-Labaroline said...

Merci. Les Histoires de Nono ne sont pas faciles à écrire... Parcequ'elles sont un mélange de plein de choses et qu'elles demandent une plongée dans ma violence...

28/5/07 10:00  
Anonymous Anonyme said...

mais ça te soulage ?

28/5/07 10:47  
Blogger tanette said...

J'ai lu jusqu'au bout, le coeur serré, les larmes prêtes... comme les abeilles. Terriblement bien écrit.

28/5/07 13:04  
Blogger Grande-Dame said...

Dur, dur, cette solitude et cette souffrance silencieuse.

Percutant comme texte.

28/5/07 15:17  
Anonymous Anonyme said...

Scotchée comme d'habitude.
Je me demande si le Dr Roman, tous les Dr Roman, comprennent Nono et ses pairs aussi bien que toi...

28/5/07 15:45  
Anonymous Anonyme said...

Etrange cette façon de nous plonger dans la vie de Nono, on a l'impression d'évoluer à côté de lui et s'il ne dit pas ... on ne remarque rien.

C'est poignant ... on a envie de le prendre, de le serrer dans nos bras pour le rassurer ...

Pauvre Nono

28/5/07 17:25  
Blogger FD-Labaroline said...

* Mab : désolée, ça n'était pas le but ;-(

* Bérangère : si ça me soulage? Bonne question et je te remercie de l'avoir posée...

* Tanette, parfois on arrive à dire de vilaines choses avec de jolis mots...

* Grande Dame, en chacun de nous il y a un minuscule Nono qui sommeil...

* Kamaïa... "empathie". J'espère que les Dr Roman le sont. Je l'espère.

* Titeknackie, Nono devrait s'en sortir, ni mieux ni pire que nombre d'entre nous...

28/5/07 21:38  
Anonymous Anonyme said...

Très émouvante cette plongée dans la tête de Nono.

29/5/07 07:26  
Anonymous Anonyme said...

"J'ai plus mangé. J'ai juste mis des choses dans ma bouche, mes dents ont broyé pour les faire descendre dans mon estomac"
Cette phrase me parle tellement,
et aussi quand tu fais allusion aux gens qui demandent comment ça va par pur automatisme, et qui te croisent et s'en vont sans attendre la réponse.
J'ai envie de les rattraper, de leur dire, mais non.

Et le reste aussi.
Tout en fait.

Comme tu l'écris personne ne l'entend ni ne le voit parce qu'il ne parle pas.
Mais ce n'est pas une raison.

J'en resterai là pour les citations sinon je vais m'embarquer.

Tous ces talents ma belle !!!!!
Gros bisous

29/5/07 09:08  
Anonymous Anonyme said...

Dis moi, tu devrais te lancer dans l'écriture d'un livre, tu as vraiment un talent fou.

29/5/07 09:11  
Anonymous Anonyme said...

Tu es la première qui me fait comprendre les mutilations des jeunes, les scarifications...

Ce qui me perturbe le plus, c'est de se dire, que tout cela existe à côté de nous, sans qu'on le sache, et qu'on n'arrive à rien faire...

29/5/07 11:59  
Blogger FD-Labaroline said...

* Phélycitée, bienvenue ici. Pas très engageant comme texte de bienvenue mais j'espère que tu reviendras, en général c'est plus gai !

* Zaboo, je me doutais un petit peu que ça pouvait résonner en toi.

* Mlle Maupin, quelle drôle d'idée ! Et qui donc acheterait mes livres ?! Non, aucun autre talent que peut être celui de ramasser les affaires qui trainent...

* Soeur Anne... bingo. L'adolescence c'est souvent la traversée du morbide. Et nous avons tous des ados pas loin de nous. Et ça n'est pas parce que nous sommes avisés, informés, (aware, comme dirait l'autre) que nous sommes forcément épargnés.

29/5/07 12:26  
Anonymous Anonyme said...

Bravo ! C'est magnifiquue ! Euh, non, je voulais dire terrible, et difficile, cette plongée dans la tête de Nono... mais tellement bien racontée.
C'est un talent énorme d'être capable d'écrire comme ça, bravo !
Et je suis d'accord avec Melle Maupin, et ton livre, je l'achète tout de suite.
Je crois qu'il serait utile à beaucoup d'entre nous, confrontés à des adolescents en souffrance...
Vraiment bravo !

29/5/07 12:38  
Anonymous Anonyme said...

Arrête de dire des bêtises FD, que ce soit les textes de Nono ou encore quand tu nous racontes tes souvenirs je suis complètement dedans (dangereux au boulot d'ailleurs !). Tu as un vrai talent.

Maintenant j'adore aussi te lire dans des domaines légers hein ;-)

29/5/07 16:18  
Anonymous Anonyme said...

ça va ?????

29/5/07 17:06  
Blogger FD-Labaroline said...

* Nat du Venez, merci du compliment. Je note, ça fait au moisn deux personnes qui acheteraient le livre (7 avec mes parents, mes beaux-parents et mes soeurs !) Si un jour j'ai besoi ne lancer une souscription je saurai m'en souvenir !

* Mlle Maupin, tu blogues au boulot ?!!! c'est pas vraaaiiiii ?!!!! haaaaannnn !

* Béné, ouais, ça va. Après coup ça va, c'est la gestation qui est longuette ! Au fait, mon apéro orange-citron est top-de-la-mort-qui-tue, pas sûre qu'il en reste cet été au rythme auquel je le goûte !!

29/5/07 17:41  
Anonymous Anonyme said...

Il me semble que si nous mettions côte à côte nos tas de cailloux, certains seraient de la même couleur pour nous deux.

bises

30/5/07 11:18  
Anonymous Anonyme said...

Genial!! On arrive pas à se décrocher avant la fin!! C'est terriblement bien écrit, je file tout de suite lire le reste...
Trop contente d'avoir trouvé ton blog, on sera 8 à acheter le bouquin!!

3/6/07 09:58  
Blogger l'Hydroptère said...

C'est juste..

13/6/07 09:07  

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