mercredi, juillet 16, 2008

Simon


Quand je l'ai rencontré, il avait une 4L fourgonnette blanche. Avec, il faisait les allers-retours entre le lycée où il était surveillant d'internat, quelque part dans la Drôme, et la grande ville où il était étudiant, lovée au confluent des trois vallées. Fanfaron, drôle et irrévérencieux. Lorsque Bernard m'a présenté son meilleur ami, il est descendu de sa fourgonnette, avec l'élégance discrète de la vraie bourgeoise. Un sacré contraste. Il a attaqué direct avec un truc du genre «j'habite dans ma voiture, je suis sans domicile», démenti immédiatement par Bernard. Son domicile, je l'ai découvert plus tard, perchait sur les hauteurs les plus huppées de la ville, non loin de l'hôpital, au bout d'une impasse qui s'accroche à la montagne, sur le flanc du Mont Rachais.

Pendant un an, nous nous sommes peu vus. Peu vus pendant l'année où j'étais la copine de son meilleur ami. Puis l'ennui m'a gagné et je n'ai plus été l'amie de son ami. Un jour, il m'a appelée. «Tu te souviens de moi ? Le copain de Bernard. Ça te dit, un pot en ville ? » Il avait troqué sa 4L contre un cabriolet spider rouge. Fanfaron, drôle, irrévérencieux. La voiture lui allait bien. Il venait me chercher à la fac, se garait juste devant le bâtiment de Langues et Lettres, on ne peut plus discret. Je me glissais, cramoisie, sur les sièges de cuir noir. Ça le faisait rire, ça m'intimidait à mourrir.


Des fêtes qu'il organisait dans les châteaux particuliers de la région, dans des lieux inhabituels à l'époque, dans des usines, sur des fortifications. Des ballades au bord de l'eau et des sauts jusqu'à Annecy pour regarder les cygnes en mangeant des glaces.


Il y avait des semaines, des mois avec, et des semaines, des mois sans. Il suffisait d'un coup de téléphone pour renouer le lien à l'endroit où il était resté la fois précédente.


- Allo ? Tu fais quoi ce soir ?

Je savais alors qu'il avait besoin d'une oreille, d'une présence, que quelque chose dans son quotidien lui faisait du mal. Un restau, un pot en ville, une pause à regarder la ville d'en haut, la nuit. A parler. Beaucoup et tout le temps. Des heures.

- Allo ? Je peux passer ce soir ?

Il savait se rendre disponible pour moi. Jamais, un appel au secours à l'improviste n'est tombé dans le vide.

Nous nous sommes installés dans nos vies de couple respectives. Il n'a jamais rien dit. Ou presque. Moi non plus.

- Allo ? Tu fais quoi ce soir ?

Ce soir-là, j'ai cru à une plaisanterie, nous habitions à 500 km l'un de l'autre. Pourtant, il était là. Il faisait un détour de 150 km pour passer me faire coucou dans le Pas-de-Calais. Il est resté deux jours. Ses clients ont attendu. J'étais en congés maternité. Il est reparti en me disant

-Redescend à Grenoble, t'as rien à faire là.

La suite lui a donné raison. C'est la seule fois qu'il a donné un avis sur mes choix. Mais il était toujours là pour recevoir mes appels.

Puis il s'est marié.

- Tu vas voir, tu vas retrouver Bernard, rencontrer sa femme et ses enfants. Tu ne connais pas sa femme, n'est-ce pas ?!

Taquin.

Mais je ne me sentais pas d'y aller. Six mois plus tard je quitterai mon mari. Je ne me sentais pas d'exhiber en public celui que je devais encore officiellement présenter comme mon conjoint. J'ai décliné l'invitation au dernier moment, sous un prétexte futile dont je ne suis pas fière aujourd'hui. J'aurais du y aller. Je l'ai appelé, on a parlé, il déménageait. On s'était dit « on se rappelle ». Comme toujours.

J'ai juste reçu une carte de Toulon, non signée. Pas besoin, je connais son écriture. « Il fait beau, il fait chaud, il ne neige pas ».

Puis c'est moi qui ai déménagé. Changé d'adresse et de numéro de téléphone. Plusieurs fois.

Je me suis laissée engloutir dans le tourbillon de mon divorce. Dans ces moments-là, on gère l'urgence. Envie de ne voir personne. On met sa vie sociale sur Pause. Juste un temps. Le temps d'être à nouveau présentable, d'avoir envie de parler. J'avoue que j'ai envoyé bouler nombre de personnes à ce moment-là. J'ai fait la morte.

Puis, le bonheur m'a à nouveau envahie. Je me suis à nouveau sentie de reprendre le fil. J'ai eu à nouveau l'envie de l'intégrer à mes bonheurs. Je me disais que la naissance de ma fille serait un bon départ, un faire-part... Puis le temps a passé. Filé. Depuis deux ans je me dis qu'il faut vraiment vraiment que je contacte ses parents pour retrouver ses coordonnées. Mais la procrastination est ma mauvaise habitude. Je ne peux pas m'en passer.

La semaine dernière, j'ai eu une surprise. J'ai reçu un coup de téléphone. Depuis un an, « Copains-d'autrefois » veut être mon ami et ressurgissent des bouts de mon (long !) passé.

- Allo ? Bonjour, c'est Bernard.

(Bernard... Bernard.. Bernard qui ? )

Après les échanges cordiaux d'usage et chapelets de souvenirs moins précis pour moi que pour lui, j'en viens à lui demander

- Tu as des nouvelles de Simon ? La dernière fois que j'en ai eu il avait déménagé sur Toulon après son mariage....


- Ah oui... pauvre Simon...

(là, j'ai failli dire « pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a ? Il a divorcé ? »)

- Qu'est-ce qu'il fait en ce moment ? Il est toujours là-bas ?


- Tu n'es pas au courant ?

- Euh.. non ?

- Il est mort. Ça va faire deux ans en septembre.


Mâchoire serrée, regard fixe, j'ai écouté le silence du téléphone. Un long moment. Depuis, j'accuse le coup.

J'entends sa voix sans cesse. Son image danse dans ma tête et se superpose au quotidien. Mais ça passera.


Avec le temps, avec le temps, va, tout s'en va.








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18 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Je m'attendais à cette fin là... :-(

16/7/08 11:25  
Anonymous Anonyme said...

Un jour après l'autre....., comme l'intitulé de ton blog, la vie est souvent mal faite. J'essaie de comprendre ce que tu ressens. - Bisous

16/7/08 11:56  
Blogger Neurone perdu said...

Bel hommage à quelqu'un qui te fut cher.

16/7/08 14:08  
Blogger luna said...

j'imagine la douleur, le remord...

y a des jours comme ça, où on regrette vraiment de s'être dit trop souvent "plus tard..."
:-(

16/7/08 15:55  
Blogger *isadora* said...

Ils sont durs, ces moments-là...
Je pense à toi

(et je t'écris un de ces 4, promis)

16/7/08 16:48  
Blogger bricol-girl said...

dans la vie c'est souvent le trop tard qui prévaut!

17/7/08 08:13  
Anonymous Anonyme said...

Pensées émues pour vous...

Saleté de procrastination...

17/7/08 08:30  
Anonymous Anonyme said...

Pensées émues pour vous...

Saleté de procrastination...

17/7/08 08:30  
Anonymous Anonyme said...

Wow.
Ne regrette rien, vous avez eu le meilleur...
Je t'embrasse, fort.
M'ados*

17/7/08 09:36  
Anonymous Anonyme said...

On a beau le savoir mais ça ne nous empêche pas de remettre au lendemain !!!
Bises

17/7/08 17:39  
Blogger Dam said...

touchant...et on revient toujours atant au temps ...mais pas dans le Pas de Calais ;-) pas bien !

19/7/08 16:58  
Anonymous Anonyme said...

Au fil de la lecture, je me disais à quel point ma vie aussi m'avait fait perdre contact avec des gens comme lui.
Les regrets ont commencé à apparaître, puis à la fin, ils ont disparu. Je préfère rester uniquement dans les bons souvenirs.
La plupart ont une moto, alors , je les laisse dans le tiroir passé , mais ça n'empêche pas l'envie de revoir des gens importants.

Je suis désolée pour toi,
gros bisous ma belle

20/7/08 11:17  
Anonymous Anonyme said...

Je m'y connais bien aussi en procastination......
mais ton texte me fait penser à une phrase dont j'ai oublié l'auteur:
"vis aujourd'hui comme si ce jour devant etre le dernier jour de ta vie" ou encore..."c'est aujourd'hui le début du reste de ta vie"....
Frédéric

21/7/08 09:11  
Anonymous Anonyme said...

On fait tous ça il me semble, on laisse la vie nous emporter et on remet au lendemain comme si on avait l'éternité devant nous. C'est humain je pense.
Je crois que demain, je vais rappeler quelques personnes...

24/7/08 22:16  
Blogger tanette said...

Emportés pas le tourbillon de la vie on en est tous à regretter un jour de "ne pas avoir....", c'est ainsi...
Vos vies se sont croisées un instant, il est bon de se dire que tu as su être à son écoute, comme il a été à la tienne...un certain temps...

27/7/08 16:52  
Anonymous Anonyme said...

Ce sont des nouvelles qu'on ne veut pas entendre.
Je ne suis pas un exemple, mais si je romps une relation pour quelque motif que ce soit, je tourne la page définitivement.

30/7/08 22:27  
Blogger FD-Labaroline said...

A tous, merci pour vos commentaires, ça me touche... Désolée de n'avoir pas répondu plus tôt, prise dans le tourbillon de la vraie vie, vite , avant que le temps ne nous vole des instants non-vécus.

31/7/08 10:55  
Blogger SarahBlue said...

Tu ecris tres bien...Et c'est trop triste!je suis émue !!!
Bisous bonne journée

4/10/08 10:39  

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