jeudi, avril 30, 2009

Madeleine de...

J'ai fait du rangement dans mes billets (je sais, ça ne se voit pas !) J'en ai relu certains. Je vous donne à nouveau à lire mon tout premier billet. Le déclencheur. Je venais de revoir Carole et j'avais eu besoin de l'écrire. Avec du recul, de mettre des mots sur cet étrange été-là...



Hier j'ai croisé Carole. Enfin, quand je dis «croisé», c'est un bien grand mot, je l'ai plutôt aperçue à travers la vitre du café. Et tout d'un coup, là, moi qui n'avais que très peu pensé à elle depuis près de 20 ans, tout m'est remonté d'un coup dans la gorge, comme un étrange relent...

Nous étions en 4è et 3è ensemble. Pas tout à fait amies, tout juste copines, au début. Elle faisait partie de ces filles émancipées que l'on regardait avec un mélange de fascination et de curiosité... tellement lointaines. Elles fumaient, elles sortaient déjà avec des garçons, elles choisissaient elles-même leurs vêtements, personne chez elles ne pointaient leur heure de rentrée... Et surtout... elle avait un GRAND FRERE... qui venait l'attendre à la sortie du collège, et ensuite, à la sortie du lycée. Dans des circonstances que je ne me rappelle plus, j'avais été invitée chez elle à cette époque. Ils habitaient tout un étage composé de deux appartements réunis. Carole partageait avec son frère une entrée indépendante de l'appartement familial et une sorte de studio rien qu'à eux. Plus tard, au lycée, nos chemins se sont croisés à nouveau, entremêlés pendant plusieurs semaines d'été, avec son frère, que j'avais réussi à approcher par le concours d'une amie commune (aaah, les mélis-mélos d'ados !) Michel, son frère, qui trainait son romantisme dégingandé à la sortie du lycée; Michel qui adorait sa soeur (qui le lui rendait bien... et je constaterai un peu plus tard à quel point ces deux-là s'aimaient...).

Cet été-là, j'avais passé mon bac de français, j'avais des points d'avance, je passais en terminale, tout allait bien, mes 18 ans me souriaient à pleines dents. Carole sortait avec Bruno. Cet été-là, nous l'avons passé tous les 4, à la piscine, à faire du lèche-vitrine en ville, au cinéma beaucoup (Michel, érudit cinéphile, y avait ses entrées...), à écouter Al Jarreau. Michel cuisinait pour nous dans leur studio, invitant parfois quelques copains étudiants, fascinants, drôles et cultivés.

Ai-je dit que le frère et la soeur s'adoraient ? Carole adorait son copain Bruno; Michel m'adorait. Moi, j'étais sous le charme. Flattée. Le frère et la soeur étaient très généreux... Et libres. Bruno était sympa, même s'il aimait un peu trop dangereusement les armes à feu à mon goût. Nous nous aimions tous... bien. J'ai compris par la suite qu'affection, amour, tendres sentiments ne s'exprimaient de manière identique pour tous : si nous nous aimions tous, nous étions donc tous interchangeables...
Je mis du temps à décrypter ce qui se passait entre nous 4..., ce dont j'étais partie prenante sans m'en rendre compte; il a fallu que je me retrouve un après-midi dans une situation toute nouvelle pour moi, à laquelle je n'avais jamais pensé et qui ne me tentait guère. Cela semblait tellement naturel pour eux 3 que j'ai eu des scrupules à refuser leur jeu. C'était une journée très étrange, d'oisiveté, d'ennui collectif...
Bruno avait décroché le fusil de son père... fanfaron, il a voulu montrer également qu'il savait où les balles étaient cachées. Qu'il savait charger une arme, viser. ça les faisait rire... Pas moi. Pour moi, la magie commença à s'étioler. Le charme se rompra totalement un peu plus tard. Sans arme. Oisifs, le frère, la soeur et l'ami ont proposé un drôle de jeu de rôle. A quatre. Configurations multiples et au choix. Combien de possibilités ? Si j'avais les vélléités d'émancipation propres à mon âge, ça n'était pas ça du tout que j'envisageais comme découverte du monde ! Je n'ai pas compris tout de suite où ils voulaient en venir... Il a fallu qu'ils m'expliquent, goguenards (l'oie blanche que j'étais a dû les amuser beaucoup). Ils se sont regardés... puis les choses en sont restées là... 3, 4 interchangeables, méli-mélo, salade de bras et...

Je me suis éloignée d'eux, personne ne m'a courru aprés ; l'été a passé en demi-teinte, avec cette sensation lourde et désagréable d'en avoir appris plus que souhaité.

J'ai croisé à nouveau Michel, inchangé, 3 ans plus tard au détour d'une rue piètonne... Il habitait avec sa soeur, elle était tombée enceinte deux fois mais n'avait pas gardé les bébés... Il en était chagriné. Un soupçon d'effroi m'a parcourue à ce moment-là. Oncle et père à la fois... ai-je pensé.

«Tu veux venir prendre un thé à la maison, ça fera plaisir à Carole ? sinon passe un de ces soirs, on se fera une bouffe brésilienne ».

Je ne suis jamais passée et je garde de ces semaines de l'été 1982 une aversion incontrôlable pour l'eau de toilette au vétyver et Al Jarreau. Et j'ai aperçue Carole hier en ville... le même visage sec et émacié, juste vieillie, un peu. L'homme qui l'accompagnait n'était pas son frère...

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15 Comments:

Anonymous Soeur Anne said...

Ah je m'en souviens de ton billet...

Je trouve moi, que 20 ans après, à 40 ans, ça doit toujours faire aussi froid dans le dos...

30/4/09 15:26  
Anonymous Célestine Troussecotte said...

Ce message possède une force extraordinaire, suscite un sentiment de malaise indéfinissable, et il est la preuve d'un pouvoir d'évocation du passé quasiment...proustien. Bravo pour ce billet déclencheur, et merci au pur hasard de m'avoir fait te rencontrer.

30/4/09 23:30  
Blogger bricol-girl said...

La vie est un roman, pour certains et toi tu racontes bien l'inracontable.

1/5/09 06:33  
Blogger Delphine said...

Bouh, on n'a pas envie de découvrir la vie comme ça, aussi brutalement, aussi peu poétiquement. ca ressemble au cinéma belge et son climat aussi. L'un dans l'autre. mais est-ce la vie ou un film? Et à propos, bonjour FD, bravo pour la force de narration!

2/5/09 20:02  
Blogger FD-Labaroline said...

* Soeur Anne, jamais je ne me suis dit avec regrets que j'étais passée à coté d'une grande expérience ,en tous cas !!!

* BricolGirl, si ma vie était un roman, je pourrais en ré-écrire certains passages et en enlever certains personnages. Hélas...on fait le scénario que l'on peut avec les cartes qu'on tire au fur et à mesure !

* Célestine, je remercie également le hasard de nos pérégrinations bloguesques mutuelles.

* Delphine, bienvenue ici. Merci pour le compliment que je ne suis pas sûre de mériter. Juste des morceaux de vie qui engluent ma mémoire et dont je me décharge égoïstement ici !

2/5/09 21:00  
Anonymous mamansophie said...

euh sans voix ..mias j'ajouterai merci de l'avoir ré-edité ce biellet

4/5/09 13:03  
Anonymous titeknacky said...

Ca fait froid dans le dos !! et moi aussi je suis terriblement mal à l'aise.

Mais toujours excellemment raconté.

4/5/09 15:48  
Anonymous Béné said...

je vais te dire ce que ce billet (superbement écrit) évoque pour moi. Adolescente, j'ai aussi fait de ces rencontres bizarres, destabilisantes mais je n'ai jamais opté pour ces choix que je savais être sombres. Mes parents étaient fous d'inquiétude la seule chose qu'ils oubliaient c'est qu'ils m'avaient inculqué, éduqué, tansmis une force, une maîtrise, un amour qui me protégerait. Certes j'ai fait des conneries mais si j'ose dire de saines conneries ! Aujourd'hui avec mes enfants je me souviens de cela et je fais confiance à l'éducation donnée...

Bon je sais pas si t'as compris, c'est un peu confus....

5/5/09 07:50  
Anonymous Jéolianne said...

Merci pour ce post re-édité qui traduit parfaitement ce sentiment de malaise écoeurant. Et merci aussi aux commentaires suscités surtout celui de Béné dans lequel je me suis retrouvée. Adolescente timide qui s'est émancipée "tranquillement" en écoutant certaines frasques de ses amies sans les envier. Parce que justement ce socle existait. Alors d'y penser aujourd'hui alors que c'est moi qui vois mon aînée rentrer à 7h du mat, me rassure (un peu!) parce que je crois que ce socle existe aussi pour elle. Bref merci.

5/5/09 08:26  
Anonymous Anonyme said...

Quel talent.....
J'attends avec impatience ton premier roman...
Tu as le style et la matiere... peut etre n'as tu pas vraiment le temps....

Je me souviens de cette ville des alpes au début des années 80...Les murs gris béton et le ciel plombé. Surtout pour des adolescents en errance, à la recherche d'eux memes.

Ma fille est elle meme étudiante à présent.... j'en ai froid dans le dos quand je pense à ce qu'elle peut traverser et que j'ignorerai certainement toujours...

Bisous....

Pong

5/5/09 13:26  
Anonymous e said...

Je ne l'avais pas lu ce "billet", et je viens de le découvrir, comme toujours tu relates si bien qu'on y est presque.
Même la fin, pouvant paraître sordide, tu la survoles juste pour faire passer l'indispensable, une dure réalité. Et nous pouvons ainsi mieux sentir ce que tu as ressenti.

Une expérience que personne ne voudrait vivre.

10/5/09 09:15  
Anonymous eE said...

Je ne l'avais pas lu ce "billet", et je viens de le découvrir, comme toujours tu relates si bien qu'on y est presque.
Même la fin, pouvant paraître sordide, tu la survoles juste pour faire passer l'indispensable, une dure réalité. Et nous pouvons ainsi mieux sentir ce que tu as ressenti.

Une expérience que personne ne voudrait vivre.

10/5/09 09:15  
Anonymous Elysheba said...

mes coordonnées : com parti trop vite

10/5/09 09:16  
Blogger les carnets de traductions said...

Ton billet m'a rappelé mon adolescence à la fin des années 80. Issue d'un milieu petit bourgeois j'avais décidé d'aller dans un lycée parisien situé dans un quartier plus huppé, dans lequel beaucoup d'ado venaient de familles d'artistes, de profession libérale, etc.Bref, des gens "cools" pour moi à l'époque. En fait, un certains nombre de ces ados vivaient déjà seuls à 15-17 ans ou bénéficiaient d'une grande liberté. Ils ne rentraient pas coucher chez eux, avec la bénédiction de leurs parents, organisaient des fêtes, partaient en vacances seuls. A l'époque,je n'avais pas cette liberté et je me sentais marginalisée. Avec le recul et maintenant que je suis moi-même mère de famille, j'ai vraiment l'impression que ces parents-là abandonnaient leurs enfants et qu'eux-mêmes, rejetons de 68, devaient être un peu coupés de la réalité. A part cela j'aime beaucoup ton blog que je visite régulièrement. Merci pour tes billets, tu écris bien.

15/5/09 08:43  
Blogger FD-Labaroline said...

* Mamansophie, merci de tes visites et me ne remercie pas, y a pas de quoi ;-)

* Titecknaky, dans notre vie on frôle des situation parfois qu'on ne soupçonne même pas...la vie est une jungle !

* Ma Béné, j'ai la même peur aujourd'hui pour mes enfants parceque j'ai frôlé/cotoyé des choses dont les parents n'ont pas forcément envie pour leur enfant...mais faisons confiance à l'éducation que nous leur avons donnée... c'est ce que n'arrête pas de me répéter mon ainé quand j'ai du mal à la lâcher !

* Jeolianne, oui, on se dit qu'on a fait au mieux...mais...nous ne sommes vraiment jamais sûres, sinon nous n'angoisserions pas tant à chaque teuf qu'ils font entre potes... n'est-il pas ?!

* Anonyme... mon petit doigt me dit que la fin de ton adolescence n'a pas été ouatée ni si douillette que ça... mais au final, tu es devenu un adulte solide et "in the main stream"... encore une question de socle fiable, finalement... Ne t'inquiète donc pas pour ta fille...

*Elysheba, bienvenue ici. Sordide, peut être... on n'imagine pas tout ce qui se cache derrière le paravent des convenances et des apparences...

* Stephanie, bienvenu à toi aussi, merci de ce premier commentaire. Ben euh, n68 n'a pas eu que de mauvaises conséquences mais c'est vrai que cette ambiance post-soixantehuitarde déculpabilisait les plus démago des parents. les miesn étaient hyper-strics et je détonnais aussi dans un environnement social et culturel plus laxiste. No regrets.

15/5/09 08:59  

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