mercredi, septembre 13, 2006

Chez le psy



Il avait attendu d'être installé dans la voiture, de retour de son cours de gym du mercredi.

- Maman...
- Oui mon Chéri ?


- Chais pas pourquoi mais des fois j'ai envie de mourir... c'est comme si j'arrivais pas à être heureux. J'ai pas envie de vivre, ça sert à rien mais je sais que tu serais triste si je meurs...
(les enfants ont l'art de faire des révélations ou de poser des questions au moment où vous vous y attendez le moins...)

Son sang s'est glacé, figé. Son coeur de mère a émis une légère contraction douloureuse, comme un pincement. Ça n'était pas la première fois que son petit bonhomme de 6 ans parlait ainsi. Jusqu'à présent elle l'avait pris pour un mal-être passager, comme lorsqu'il lui disait, fâché «maman je t'aime pas ! »
Elle prenait ça pour elle, comme une accusation d'incompétence parentale, son incapacité à rendre son propre enfant heureux, comme l'évidence assourdissante d'un gâchis monumental. Au fond, tout au fond d'elle, elle savait. On n'élève pas un enfant, on ne fait pas un enfant heureux dans une ambiance d'hypocrisie et de faux-semblants , de bouts de quotidien sans âme enfilés les uns à la suite des autres. Surtout pas lui, son «bébé-Séccotine», son «bébé-panda» comme disaient les pédiatres, son miroir à elle, fusionnel, le plus sensible de ses fils, celui qui va mal quand elle va mal, celui qui se tord de douleurs abdominales quand elle est angoissée, celui dont les médecins demandaient chaque fois «y a-t-il quelque chose de changé dans son quotidien ? Un événement qui l'aurait marqué ?» Et chaque fois elle répondait "non, rien".
Non, rien dans les faits, ça ne se jouait pas au niveau de l'observable, de l'évident. Elle savait donc qu'il était temps, qu'il était temps que les choses soient claires pour tout le monde, pour permettre à son enfant de grandir sereinement au lieu de porter des douleurs qui n'étaient pas les siennes, au lieu de le laisser crever d'impuissance. Il était temps, temps de se sauver, de sauver son fils et d'en finir avec une décennie d'un rôle de composition trop étriqué.

Elle avait besoin d'une aide extérieure, neutre. Elle avait alors pris rendez-vous chez un pédo-psychiatre pour lui. La première séance, la prise de contact, s'était passée avec lui blotti sur ses genoux, elle ses bras enroulés autour de lui. Fusionnels ils étaient tous les deux, chacun relié à l'autre comme à une bouée. Il les avait regardé ; il lui avait donné à elle l'adresse d'une consoeur, psychologue, «allez la voir de ma part , elle vous prendra rapidement , je la préviendrai que c'est urgent ».
Il avait compris, elle en avait les larmes aux yeux de gratitude, sans rien dire vraiment elle avait raconté leur vie de famille , d'un ton qu'elle voulait très neutre, RAS, famille unie et parents aimants. Vraiment elle ne comprenait pas pourquoi cet enfant n'arrivait pas à être heureux, elle avait l'impression terrible de faillir à son rôle protecteur de mère incapable de faire le bonheur de ses enfants, malgré ses efforts. Quand il lui avait répondu « mais vous ne pouvez pas l'aider tant que vous n'ètes pas claire avec vous-même, il faut dénouer vos propres noeuds, madame », elle était en train de happer l'air désespérement pour pouvoir respirer, elle suffoquait. Dévoilée. Découverte . Elle avait beau se cramponner à son fils pour se donner une contenance, se pincer discrètement la peau fine du dessus de la main pour déclencher la douleur qui détournerait les larmes, elle avait beau papillonner des cils au rimmel, regarder avec une concentration feinte les grandes toiles abstraites et colorées aux murs, l'homme, délicatement, avec une finesse experte, la conduisait doucement vers la rive, la sauvait du naufrage. Au moment de partir et de fixer le rendez-vous suivant, pour son petit patient, le petit bonhomme de 6 ans avait dit « tu vas m'aider à être heureux ? ».
Elle en ressortit plombée, lourde, du sable plein la gorge et des graviers dans le coeur. Comme encastrée dans un mur. D'ailleurs, sa mère lui avait téléphoné, affolée un matin, quelques jours plus tôt « j'ai fait un cauchemard cette nuit, j'ai révé que tu étais plantée dans un mur et que je tirais de toutes mes forces sur tes bras pour t'en sortir mais c'était trop bien planté. Tu vas bien ? Tu es sûre que ça va ? » Elle avait répondu oui, bien entendu...

Quelques semaines plus tard, le pédospychiatre avait demandé à la voir 10 mn, avant la séance de son fils. Là, il l'avait faite asseoir sur la méridienne de velour rouge, juste en face du grand tableau qui représentait des entrelacs rouges et oranges.

- J'ai un problème avec votre fils.
- Ah bon ?
Elle avait l'impression d'être au bords du vide, elle serrait très fort sa corde de rappel. Tant que tout restait dans le non-dit, elle gérait bien, ça lui allait. Mais poser des mots, nommer les situations, les sentiments, c'était ouvrir la boite de Pandore, la chambre de Barbe Bleue...

- Je ne retrouve pas ce que vous m'avez dit de votre famille chez votre fils. Il n'a pas une image de la famille unie, chez lui cette image est déstructurée, quasi absente; il est perdu. Il ressent des choses mais vous ne vous en faites pas l'écho, vous lui renvoyez de lui l'idée qu'il fait fausse route, ce qui est faux et vous le savez. Il faut que vous l'aidiez, que vous m'aidiez. Sinon je ne peux rien pour lui. Vous m'avez dit la dernière fois que ça allait dans votre couple, aucune contrariété ? Il vous faut régler ça d'urgence, madame, votre fils est dans un état dépressif.

Elle était ressortie en titubant. Elle s'était levée comme une automate sans dire un mot, elle avait fait entrer son fils qui attendait à coté, «à tout à l'heure, chéri». Elle s'assit lourdement sur une chaise de la salle d'attente mais elle ne pouvait pas tenir en place alors elle se leva et sortit. Elle avait terriblement envie d'une cigarette. Cette envie de recommencer à fumer lui était venue quelques mois auparavant, en même temps que cette envie très bizarre de ne pas tourner le volant de la voiture dans les virages ou de lancer le véhicule contre le pilier des ponts qu'elle rencontrait sur les 50 kms d'autoroute qui la séparaient de son boulot. Parfois il lui arrivait même de ne mettre que 20 mn porte à porte pour aller travailler, traversée de la ville comprise. Un drôle de jeu, vraiment.

Elle appuya sur le bouton de l'ascenseur et là, tout d'un coup, une vanne lâcha. Comme un barrage qui cède. Mal construit, mal calculé, en terrain peu stable. Elle s'effondra sur les marches de l'escalier de cet immeuble cossu, et elle pleura bruyamment. Elle y noya son rimmel, elle vida son cerveau, elle lava à grande eau ses dernières années , sa vie qui ne lui ressemblait en rien, sa force d'hypocrite et sa faiblesse de mère. Et par la suite, elle pleura à nouveau beaucoup, elle n'aurait jamais cru qu'un corps puisse fabriquer autant de larmes, à l'infini, tant qu'il en avait besoin pour diluer la peine, jusqu'à l'innondation. Et parfois, de l'innondation nait la mangrove, un nouveau paysage, méconnaissable mais pourtant au même endroit que le précédent.

Lorsqu'elle récupéra son fils une demie heure plus tard à la fin de sa séance, elle s'était fait la promesse de mettre les choses au net le plus rapidement possible, pour lui, pour ne plus le faire souffrir ainsi, pris en étau entre ce qu'il préssentait et les mensonges que lui disait sa mère. Sa décision était prise, et le joli destin allait l'aider à se désengluer, en lui offrant le plus beau des courages.

Aujourd'hui, son fils est un pré-adolescent heureux, toujours très attaché à sa mère. Il est en train de devenir quelqu'un de bien et elle en est très fière. Pour lui elle a traversé le marécage pieds nus, pour lui elle a affronté les cris et les coups de bec des charognards. Et elle a bien fait,
comme elle a bien fait !!

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7 Comments:

Blogger LiliLajeunebergere said...

je t'admire d'avoir eu ce courage pour ton fils... c'est souvent plus facile de continuer à faire comme si....

14/9/06 19:18  
Blogger Neurone perdu said...

Je découvre ton blog et j'aime beaucoup ton écriture, bravo.

14/9/06 21:04  
Blogger tanette said...

Très émouvant, bien écrit, on comprend cette détresse, on la vit en lisant.

15/9/06 06:57  
Blogger FD-Labaroline said...

Liliduciel : il y a un moment où on ne peut plus continuer à faire semblant, c'est une question de survie plus que de véritable courage. Mais il faut des années pour passer à l'acte... que de temps perdu.

Amandine : bienvenue ! je connais ton blog mais je n'y commente pas, j'y passe souvent incognito.

Tanette : (de retour ?)l'écriture sert à crever des choses, en même temps, me replonger dans tout ça n'est pas si simple, ni totalement indolore...

15/9/06 08:06  
Blogger tirui said...

on ne peut jamais rien cacher aux enfants, c'est terrible, mais salutaire aussi.

16/9/06 15:13  
Blogger FD-Labaroline said...

DM : il suffit de trouver la bonne aide. J'espère qu'à présent tes yeux sont plus ouverts...

Tirui : effectivement,on essaie pourtant très fort de leur camoufler certaines vérités mais les enfants ont un 6è sens...

16/9/06 18:49  
Anonymous Anonyme said...

Bonjour,

je découvre ton blog, et ce que tu écris correspond tellement à un vécu récent, encore que beaucoup moins "grave", que je pense que je vais l'imprimer, et y réfléchir...

17/9/06 10:09  

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