vendredi, mars 19, 2010

Somewhere over the rainbow...

On m'avait prévenue.
- Ne t'inquiète pas, il ne parle pas.
- Comment ça, il ne parle pas ?
- Enfin, il parle mais pas aux adultes.
- ?!

En effet. Il y a très longtemps déjà, il était haut comme 3 prunes, il a décidé de ne plus parler aux adultes. Enfin, pas à tous les adultes. Aux adultes de son milieu scolaire. Que s'est-il passé ? Quand ? La réponse, s'il y en a une, n'est pas parvenue jusqu'à nous. Elle s'est probablement perdue dans les limbes du temps, dans les méandres d'une scolarité fragile, dans l'oubli d'un dossier scolaire muet. Il ne NOUS parle pas, mais il parle à ses camarades. Un peu. Oh, il est loin d'être expansif... mais il leur dit des mots. Rares en présence d'adultes, toutefois.

Je ne travaille pas avec eux de façon "frontale". Eux alignés en rangées parallèles et moi devant. Chez moi, ils sont en rond, par table de 4, ou de 5. Et moi je navigue d'une table à l'autre. Et je m'accroupis près d'eux. Parce que je déteste leur parler de haut, que je baisse les yeux et qu'eux les lèvent vers moi. Avec eux, toutes les semaines je lis des histoires. Cette année, j'ai décidé que ça serait l'année "romans policiers". Je leur lis des romans policiers adaptés, des romans courts, des histoires de bonbons volés et de cadavre dans l'arrière boutique, des histoires de poupées décapitées dans la cour de récré, des histoires de ... Parce que la lecture, pour certains, c'est dur. C'est insurmontable. Mais ça ne doit pas les empêcher d'accéder à ce qu'il y a à l'intérieur des livres. Parfois ça déclenche des choses. Des curiosités. Des envies d'essayer. A la longue.
Lui, il lit. Il emmène des livres chez lui. Il fait signe de la tête qu'il a lu.
Il ne parle pas. Il fait oui de la tête. Ou il fait non de la tête. Il fait des rébus pour nous dire des choses, à nous les adultes. Des jolis dessins. Il est fort, en rébus. Parfois il me prend le bras pour me montrer un rébus. Il a des choses à dire. Il lève les yeux, les sourcils soulevés, le regard en attente. Quand je trouve, je souris. Lui aussi. Il est content et moi aussi. Il faut juste lui poser des questions fermées. Oui. Ou non. Parfois il hausse juste les épaules.

C'est déstabilisant. Mais, bon, c'est comme ça. Il faut le savoir. Il a le regard qui pétille tellement. Il sourit en grand, ça lui éclaire les yeux ça fait chaud au coeur. On dirait que ses tâches de rousseur pétillent sur ses joues. Parfois c'est comme si les mots affleuraient... Là, juste là, si près. Emprisonnés.

Ce matin je me suis mise accroupie. A sa gauche. Si doucement que je crois qu'il ne m'a pas entendue. La conversation était si animée qu'il parlait. Un peu. A ses camarades. J'ai écouté sa voix. Dans la même tonalité, sur le même registre, je lui ai posé une question. Il était en train de parler à ses camarades et dans son élan il a dit OUI. Il m'a répondu !!! Sans faire exprès. J'en suis restée bouche-bée. J'en avais les larmes aux yeux. Confus, il a baissé la tête.
C'était fugace. J'ai cru avoir rêvé. Je sais bien que ça ne se reproduira plus.

Je n'arrêterai pas de me demander ce qu'il enferme comme traumatisme dans sa mémoire. Ce qu'il y a de si grave que nous n'avons pas le droit de savoir.

ça faisait longtemps que je ne vous avais pas parlé de mes 6èSegpa...

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