Adventice
Une adventice est, en botanique, une espèce végétale étrangère à la flore indigène d'un territoire dans lequel elle est accidentellement introduite et peut s'installer.
En agronomie, ce terme désigne une plante herbacée ou ligneuse indésirable à l'endroit où elle se trouve. Il est aussi utilisé comme synonyme de mauvaise herbe. (Wikipedia)
J'ai récupéré ma nichée. Nos poussins. Tous. Ravie. Comblée. Tellement heureux de se retrouver à nouveau ensemble, ici. Chez nous. Chez eux. Ma joie de les revoir a hélas été plombée par la réapparition des scories. Des herbes indésirables qui ressurgissent malgré les labours, alors que l'on pensait les avoir oubliées, éradiquées, déracinées pour toujours. Ces herbes de friches qui se jouent de la chaux, des désherbants et de la fourche. Qui vous défigurent une belle pelouse obtenue à l'huile de coude et à la patience.
Ces indésirables aux longues racines pivotantes. Laiterons, cirses, rumex, ou la toxique phytolaque.
ELLE a réapparu lorsque les garçons m'ont dit :
- Papa t'attend à la porte, il veut te voir.
Et quand je l'ai vu, j'ai su que ça recommençait. Que tout allait encore être à refaire. Souvenez-vous, ses histoires d'ELLE. Et les dégâts collatéraux qu'Elle traine, éponge depuis plus de cinq années. Relisez ces 3 épisodes, pour comprendre. Je vous en laisse le temps.
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Il se tenait devant la porte, Elle ne l'a pas fait entrer. Elle ne le fait jamais. Il avait noué en queue de cheval famélique ses cheveux blondis à l'eau oxygénée. Parceque c'était plus féminin, probablement. Sa machoire saillante contrastait avec les sourcils finement épilés, et l'emplâtre de fond de teint masquait mal la pilosité naissante sur ses joues creuses. Les paupières étaient ombrées et la lèvre ourlée de rose. Ses épaules carrées et son torse étaient moulés dans un T-shirt qui laissait à dessein ressortir les attributs pour lesquels il avait tant lutté. Embryons d'une poitrine qui se veut féminisante, mais qui ne sera jamais rien d'autre qu'un amas de tissus adipeux, dépourvu de légende. Parcequ'on ne fait pas d'un oiseau un poisson, quelle que soit l'energie et la foi que l'on y met. Il lui avait expliqué un jour qu'il portait des "bouts de tétons", de ces embouts silicone que portent certaines mères allaitantes. Elle en avait eu froid dans le dos. Aujourd'hui, il ne devait plus quitter ses prothèses, il portait fièrement en avant ses pointes rondes qui dardaient sous le vêtement. Le pantalon taille basse laisser apparaitre dans le bas les sandales bleu marine qui enserraient une pointure 45. Debout devant la porte, il jouait avec la bretelle beige de son sac à main. Il avait quelque chose à dire, quelque chose comme un mauvais cadeau. Comme les mulots et lézards vivants qu'offrent quotidiennement les deux chats. Un cadeau dont elle se passerait sans mal. Elle savait ce qu'il allait dire.
Elle le savait. Elle s'en doutait. Depuis plus de 5 ans il faisait des aller-retour entre ce qu'il pensait être et ce que la société attendait de lui. Avec depuis 2 ans une certaine stabilisation dans l'androgynie. Elle savait la peine de ses fils, elle le savait pour les mener chaque semaine voir des psychologues. Chaque semaine pendant 4 ans. A fonds perdus. Ils évacuent comme ils peuvent. A leur manière pas forcément verbale. A la façon frontale qu'ils ont, à l'entrée de l'adolescence, de se heurter à l'adulte, à celui qui met les barrières et qui dresse les garde-fous, à celui qui les empêche de basculer. Qui dresse pour eux des parapets. Mère et beau-père. Cette façon inquiétante qu'ils ont aussi parfois de retourner la violence, la colère et leur incommensurable impuissance contre eux-même.
- Tu en as parlé aux enfants ?
Elle a posé la question pour dire quelque chose, en même temps qu'elle a croisé les bras devant sa poitrine, parcequ'elle n'en pouvait plus de sentir son regard appuyé comparer, jauger, mesurer son corps à elle. Regarder l'original avant de copier. Elle sourit intérieurement en se disant que si menue qu'elle soit, sa poitrine à elle avait nourri des enfants, son corps avait fabriqué et nourri la vie, ce qu'aucune opération transgenre n'apporterait au nouveau sexe. Pas plus que l'orgasme vaginal. Un nouveau sexe fabriqué en salle d'op' mais qui serait vide, vide d'histoire, de passé, vide d'avenir et vide de sensations. Fantasmé, certes, mais une copie. Rien qu'une copie.
Elle avait soudain les pieds dans le béton. Et la marée qui montait... montait. Bientôt l'eau lui arriverait au menton et il faudra qu'elle donne un coup violent pour échapper à la suffocation, pour sauver ses enfants d'une apnée trop longue. Comme souvent. Elle savait qu'elle pouvait le faire. Qu'elle avait chaque fois suffisamment d'energie. Parce qu'elle n'était pas seule.
- Oui, j'en ai parlé avec eux, ils m'ont dit que ça ne les dérangeait pas.
En un éclair, elle s'est dit "Faites qu'une vache tombe du ciel, là, tout de suite..."
- Ont-ils le choix ?
- Oui ils l'ont. Non, tu as raison, ils n'ont pas le choix. Mais on a bien discuté et ce qui les dérange le plus c'est surtout que je puisse un jour leur ramener un garçon à la maison.
Elle l'a laissé dire, laissé croire. Comme toujours. Il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Il n'a toujours entendu que ce qu'il lui convenait. Même quand Elle avait dit qu'elle partait il n'a pas voulu l'entendre. Il n'entend pas ses enfants, parceque "les enfants ça s'adapte aux parents, pas l'inverse." Définitif et péremptoire. Une règle de vie. Elle a chargé sa mule, encore une fois. Comme toujours. Elle sait ce qui se passera ensuite. Elle sait de quelle humeur ils seront ce soir. Et les jours prochains. Elle sait qu'à la rentrée elle devra rappeler les psy pour poursuivre leur thérapie. Vaine béquille...
- Le service qui me suit à Lyon aura besoin de rencontrer les enfants, il faudra voir comment on s'arrange (silence). J'ai de la chance, poursuivit-il avec une pointe de fierté mal venue, normalement l'opération ne se fait pas si on a déjà été marié, et surtout si on a des enfants... J'ai de la chance... (nouveau silence qu'elle ne rompt pas...) Ils vont peut être vouloir te rencontrer aussi, si tu veux bien ...
- Pense à leur donner les coordonnées des psy des garçons... Elle avait eu envie de dire "pourquoi me rencontrer, me demander mon avis... Je ne suis là que pour éponger les dégâts. C'est tout. Comme chaque fois. C'est ma croix". Mais elle n'a rien dit de tel. Elle investit un nouvel espace de silence.
- Bien sûr, si tu veux...
(à partir du moment où le bilan de l'équipe pluridisciplinaire s'avère favorable, il est remis au futur opéré un papier engageant la CNAM à prendre en charge à 100% les frais des différentes opérations et des traitements hormonaux à suivre à vie. NDLR)
Elle a refermé la porte et s'est adossée contre. Son regard s'est porté dans le vague, sur la porte de la buanderie. Puis, Doux est apparu dans son champ de vision... Doux et sa patience. Doux et ses grands bras chauds de Messie. Doux et sa paternité d'adoption, par amour pour elle. Doux qui la prend avec ses casseroles, ses marmites en fonte qui bringueballent bruyamment contre le bitume de leur vie. Doux qui affronte de plein fouet au quotidien les dégâts collatéraux. Les portes qui claquent. Les remarques acides de l'adolescent en construction.
Elle devra apprendre à ses enfants à vivre avec un papa qui n'en est plus un, un papa qui se fera appeler... comment se fera-t-il appeler, d'ailleurs ? Comment peut-on apprendre à des enfants à vivre avec ça ? Elle avait déjà cherché la réponse sans la trouver. Nocif. Avait conclu, péremptoire, l'un des psychologues quelques années auparavant, recommandant contre toute attente une rupture avec le "père". "Il n'y a pas danger avéré", avait rétorqué le juge aux affaires familiales, tout aussi péremptoire... Alors ils ont colmaté les brèches, sans relâche, son skipper amoureux et Elle. Leur famille est un frêle esquif. Frêle, fragile et rapide par vent arrière. A peine ralenti par vent debout.
E la lotta continua...
Libellés : Elle, Mes poussins